Italie, fin XV°.
Qui est le génie? Qui sont les ténèbres?
Est-ce Michel-Ange ? Ou son rival plus vieux de 23 ans,
Leonard de Vinci?
Tout oppose ces deux artistes : le premier traîne ses bottes en peau de chien et son nez cassé à travers les rues de Florence, de Bologne ou de Rome. Il est sale et négligé. Toujours en colère, animé d'une foi ardente, il n'a qu'une obsession : sculpter des corps d'hommes nus pour se rapprocher de Dieu. Il travaille comme un forcené, cherchant à se démarquer absolument de ses prédécesseurs.
Léonard, lui, n'achève rien. Il est à l'aise dans les cours qui l'accueillent, élégamment habillé de rose et de violet, ses couleurs fétiches. À 30 ans, on le décrit comme un "personnage extravagant et inutile" à la cour de Milan, où il divertit les Sforza par ses talents de chanteur et d'animateur... C'est un touche-à-tout génial qu'une curiosité insatiable éloigne sans cesse de ses objectifs : il ne semble pas taillé pour le succès, incapable de trouver sa place dans le monde. Son but secret ? "Créer une oeuvre qui semble éternellement s'estomper, mais qui demeure à jamais".
Ils ont un seul et unique point commun: ce sont des artistes au sens moderne. Les deux premiers de l'Histoire, pour l'auteur. En effet, ils sont libres, étrangers au monde, hors des hiérarchies sociales, n'en font qu'à leur tête, tiennent la dragée haute à leurs puissants mécènes puisqu'une seule chose leur importe vraiment : atteindre leur Idéal.
Tout le talent de
Roberto Mercadini est d'utiliser les antagonismes opposant les deux génies pour mieux faire ressortir leurs singularités. Mais il sait aussi les oublier un moment pour nous parler de tout le reste : il offre ainsi au lecteur une déambulation passionnée à travers la Renaissance, période si raffinée et si barbare, avec cette liberté qu'il célèbre chez
Michel-Ange et Leonard. On y croise Botticelli, Raphaël et tant d'autres créateurs, des princes et des ducs illustres, voire magnifiques, des papes et même des fils de pape. On y observe les interactions entre artistes, la manière dont ils se jalousent, se distinguent ou s'influencent. On apprend leurs petites mesquineries (Leonard a fait poser une jupette de métal pour couvrir les fesses du David... ), leurs doutes et leurs échecs, bien avant le succès. Bref, tout ce petit monde, désormais muséifié pour cause de passage à la postérité, nous est rendu d'une manière vivante, pittoresque et drôle. Sans jamais se prendre au sérieux malgré son érudition impressionnante, l'auteur nous permet d'apprendre beaucoup en nous amusant.
Petit plus: une reproduction des oeuvres citées, en couleurs et sur papier glacé. On regrettera juste qu'aucun renvoi ne relie le texte à l'iconographie correspondante.
A lire en complément du roman "Veiller sur elle" de Jean-Baptise Andrea (pour la figure du sculpteur génial) ou du "Portrait de mariage" de Maggie O'Farrell (pour la période historique et les nombreux passages sur la peinture)
Lu dans le cadre du Grand Prix des lecteurs Pocket 2024 (catégorie non-fiction)