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Les damnés de la Commune tome 3 sur 3
EAN : 9782413027171
Delcourt (06/11/2019)
4.53/5   43 notes
Résumé :
Ils ont eu soixante-douze jours pour renverser le roman national. À présent, Victorine, Lavalette et les Communards affrontent une armée. La Semaine sanglante a commencé. Avec les mots et les images de l'époque, ce livre retisse les fils de notre histoire. Pour nous, les orphelins de l'histoire, les enfants perdus de la Commune.
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Fin 2019, Raphaël Meyssan clôt sa trilogie des Damnés de la Commune chez les éditions Delcourt avec ce tome intitulé Les orphelins de l'histoire.

La fin d'une belle aventure
En 1870 et 1871, s'élèvent des mouvements populaires, notamment ouvriers, dans certaines grandes villes françaises. Raphaël Meyssan a construit cette évocation historique en trois actes (causes et origines dans le premier, lancement véritable dans le deuxième et dénouement dans le troisième) ; il est donc temps d'aborder dans ce troisième tome la conclusion de l'épisode des Communes (de Paris ou d'ailleurs) et de parler de la « Semaine sanglante ». Maintenant que la Commune de Paris est officiellement lancée (mars et avril 1871) avec son lot d'avancées sociales, l'armée versaillaise passe à l'action du dimanche 21 au dimanche 28 mai 1871 ; ce sont donc deux conceptions de la République française qui s'affrontent : la Commune la veut libertaire, égalitaire et fraternelle, les Versaillais sont davantage dominés par les monarchistes et quelques républicains modérés. C'est donc l'heure de suivre pas à pas l'avancée militaire de ces derniers dans les rues parisiennes faisant des milliers de morts et organisant des procès expéditifs.

Les bienfaits de la micro-histoire
À nouveau, Raphaël Meyssan mise avec brio sur la micro-histoire pour nous faire saisir la grande, c'est-à-dire se focaliser sur l'histoire de quelques individus en reconstruisant leur vie au jour le jour, ou en tout cas au plus près en fonction des sources disponibles. Ici, l'auteur traque les derniers moments communards de son voisin Lavalette, dont le nom est parfois malmené par les sources et la réputation salie par bien des retournements de situation. Il poursuit également l'épopée de Victorine dont la famille est marquée par les combats dans la capitale. Cartes postales de l'époque, gravure, estampes, extraits de notes privées, parfois des comptes-rendus publics ou des services secrets de la République… les sources sont nombreuses pour appréhender ce moment fatidique de l'Histoire. L'auteur les met en scène en multipliant les montages de ces sources entre elles ; c'est bien là le coeur de sa production : accorder le fond et la forme grâce uniquement aux sources historiques que nous en avons gardé (productions plastiques pour la forme et extraits de journaux personnels et de dépêches officielles pour le fond).

Les enseignements d'un événement politique
En cette période où la politique se tend franchement, entre crise sanitaire, inégalités économiques et bouleversement climatique, il est toujours intéressant de se pencher sur d'autres périodes qui peuvent paraître troublées, de loin, mais enseignent tant une fois qu'on les cerne mieux. Les épisodes des Communes de 1870-1871 (car il n'y a pas que celle de Paris, Raphaël Meyssan le rappelle bien, notamment dans le deuxième tome) sont un de ces rares moments d'égalité revendiquée et mise directement en pratique par les citoyens français. Or, face à eux, s'érige un pouvoir mixte, mélange de monarchistes et de républicains très embourgeoisés ; et quand cette République est en marche, elle tue la démocratie, celle des simples citoyens qui s'organisent en autogestion. Comme l'écrit l'auteur, « le seul moment où le gouvernement s'est retranché à Versailles, c'est lors de la Commune de Paris, pour y rejoindre une Assemblée nationale dominée par les monarchistes. À Paris, on rêve de république démocratique et sociale. À Versailles, on veut remettre le roi sur le trône » ; ainsi, la République est encore aujourd'hui versaillaise, avec un monarque à sa tête qui se veut surpuissant, jupitérien en somme. Mais n'est pas Zeus qui veut, et peut-être faudra-t-il de nouvelles Communes pour le lui rappeler.

En 2020-2021, sont commémorés les 150 ans des Communes (de Paris ou d'ailleurs). Les bouleversements politiques de 1870-1871 sont très peu connus par le grand public et cet album, conclusion d'une magnifique trilogie, permet de leur rendre une partie de la place qui leur revient de droit dans l'Histoire.

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A l'occasion de l'anniversaire des 150 ans de la Commune de Paris, on a beaucoup parlé ces dernières semaines de la diffusion sur Arte d'un documentaire retraçant l'avènement et la sanglante répression de l'événement. Mais avant le film, « Les damnés de la Commune » est avant tout une série de bandes dessinées réalisées par Raphaël Meyssan (également à l'origine de l'adaptation) et dont les tomes ont été publiés entre 2017 et 2019 : « A la recherche de Lavalette » ; « Ceux qui n'étaient rien » et « Les orphelins de l'histoire ». Outre le fait qu'elle se focalise sur une période généralement occultée et mal connue de l'histoire de France, la spécificité de l'oeuvre réside dans le choix de l'auteur de faire une bande dessinée… sans dessin. Ou du moins sans dessin de sa main. Chaque tome est en effet illustré uniquement grâce à des reproductions de gravures datant de l'époque, la plupart publiées à l'origine dans des journaux. le pari était osé : d'abord parce qu'il a fallu trouver une unité de ton entre des dessins réalisés par des dizaines d'artistes différents, ensuite parce que les goûts esthétiques d'hier ne sont pas les mêmes qu'aujourd'hui, si bien que l'auteur courrait le risque de voir sa bande dessinée rebuter par son aspect. Il n'en est heureusement rien, et le résultat est absolument bluffant, tant visuellement qu'en terme de narration. Car pour le scénario non plus, Raphaël Meyssan ne fait pas dans le conventionnel : plutôt que de relater simplement la succession d'événements qui ont abouti à la proclamation de la Commune, l'auteur préfère relater son enquête pour retrouver la trace d'un Communard en particulier, un dénommé Lavalette, qui a habité dans son immeuble en 1871. D'archives en archives, en passant par les articles de presse, les témoignages de contemporains, les rapports de police, les lettres ou encore les comptes rendus de débat à l'assemblée, l'auteur remonte la piste de son voisin communard, et nous plonge avec lui dans le bouillonnement du Paris de 1870-1871. L'immersion est totale, non seulement grâce aux illustrations mais aussi aux textes qui alternent entre « voix-off » de l'artiste qui contextualise, enquête, questionne (le fond des bulles de texte est alors de couleur marron orangé), et retranscriptions de sources contemporaines (sur fond blanc). le procédé est astucieux et permet de mêler l'émotion suscitée par les témoignages d'époque et l'analyse proposée par l'auteur. Difficile compte tenu de la masse d'informations collectée de ne pas être admiratif de l'érudition dont fait preuve ici Raphaël Meyssan, pourtant parfait néophyte en histoire communarde lorsqu'il se lance à la poursuite de son voisin d'un demi-siècle.

L'enquête est incroyable et pleine de rebondissements tant la figure de ce Lavalette s'avère difficile à saisir, et paradoxalement présent à chaque moment clé. Avec Raphaël Meyssan, on découvre donc le parcours atypique de ce presque anonyme qui aura suivi de près toutes les grandes figures révolutionnaires de cette fin de XIXe : « Si j'avais inventé un personnage de fiction, un héros de roman, présent à chaque moment de l'histoire, ayant connu tous ces grands personnages, aurais-je été crédible ? Lavalette est partout. » Et force est de constater que c'est vrai. En 1870, il gravite autour d'une des figures les plus emblématiques de l'opposition au Second Empire, le journaliste Henri Rochefort ; il participe ensuite de près à l'insurrection du 31 octobre 1871 (au cours de laquelle la Commune sera une première fois proclamée) ; il fait aussi évader de prison Gustave Flourens, chef des francs-tireurs de Belleville et figure phare de la Commune ; il prend la tête du 159e bataillon de la garde nationale, succédant ainsi au bras-droit d'Auguste Blanqui, l'Enfermé, le révolutionnaire le plus célèbre du XIXe (arrêté la veille de la proclamation de la Commune de Paris). Oui, Lavalette est partout. Et pour les milieux qu'il ne fréquente pas, les grands événements dont il est absent, il y a le témoignage de Victorine. Victorine, c'est la seconde grande figure de ce triptyque : une femme du peuple, qui a servi comme ambulancière dans un bataillon de la garde civile (comme beaucoup de femmes, à l'image d'Alix Payen dont je vous parlais récemment et dont le témoignage est ici aussi retranscrit en partie), et qui a, elle aussi, assistée à tout : le siège des Prussiens, la reddition par l'assemblée bordelaise, la nuit du 18 mars, les combats contre les Versaillais, et enfin la Semaine sanglante et ses suites. Son témoignage est bouleversant, et témoigne à la fois de la misère dans laquelle vivaient les classes populaires de l'époque, mais aussi l'enthousiasme incroyable qu'aura suscité l'avènement de cette Commune de Paris. Tour à tour galvanisantes ou tragiques, les retranscriptions de sources contemporaines permettent au lecteur de s'immerger pleinement dans l'ambiance et donc de vivre une expérience de lecture d'une intensité difficile à égaler. On s'émeut des deuils successifs qui frappe la pauvre Victorine, on se prend à rêver à cette république sociale qui anime les plus radicaux des insurgés, on verse d'amères larmes de rage de voir cet idéal si violemment réprimé, et on rit, parfois, notamment lorsque l'auteur se met lui-même en scène dans les gravures de l'époque, cherchant dans la foule Lavalette ou Victorine (et tombant même sur un autre dessinateur bien connu du grand public lors d'une scène d'anthologie).


A travers les trois tomes, le lecteur se voit expliquer par les contemporains de l'époque aussi bien que par l'auteur tous les tenants et aboutissants de la guerre franco-prussienne et de ses suites. On voit défiler toutes les grandes figures qui ont marqué la période, certains connus (Léon Gambetta, Adolphe Thiers, Victor Hugo, Auguste Blanqui, Louise Michel…), d'autres moins (le général Trochu, Jules Favre, Felix Pyat, Henri Rochefort, Gustave Flourens...) et d'autres encore qu'on ne s'attendait pas forcément à trouver là parce que leur heure de gloire viendra plus tard et qu'on oubliera qu'ils étaient aussi contemporains de ces événements (Clemenceau, Jules Ferry, Émile Zola….). Grâce à la diversité des témoignages, l'ouvrage se focalise aussi bien sur les grands événements et personnages que sur la réalité de la vie quotidienne de l'époque pour la population parisienne. Les informations fournies sont colossales, et pourtant à aucun moment le lecteur n'éprouve de lassitude ou n'a l'impression de se perdre dans cette masse de noms, de lieux ou de dates. le tout est présenté de manière extrêmement ludique par l'auteur qui, en plus de multiplier les sources, change régulièrement d'angle d'approche (procédant à des focus ou au contraire des élargissements pour mieux cerner les enjeux, ou s'attardant sur le portrait d'un personnage en particulier) et fournit au lecteur quantité d'annexes (intégrées à la narration ou présentes en fin de volume, c'est selon) qui permettent de se repérer visuellement dans le Paris de 1871 ou d'identifier telle ou telle figure (chaque tome comporte ainsi une magnifique carte de la capitale de l'époque, avec des encarts synthétisant les grandes dates, lieux et événements décrits, ainsi qu'une impressionnante liste de références bibliographiques). Raphaël Meyssan revient aussi régulièrement sur les idées reçues qui polluent l'imaginaire populaire concernant l'histoire de la Commune. Loin des clichés d'une révolution sanglante et égoïste menée par des Parisiens déconnectés du reste du pays, la Commune telle que dépeinte ici par l'auteur constitue une formidable expérience démocratique au cours de laquelle quantité de réformes de justice sociale furent prises en compagnie d'autres mesures qu'on ne retrouvera que bien plus tard ou qui paraissent aujourd'hui encore plutôt radicales : possibilité pour les électeurs d'imposer un mandat impératif aux élus, abolition de l'armée permanente et affirmation de l'importance de la garde nationale dont les officiers sont désormais élus et révocables, séparation des églises et de l'état (les églises servent à la messe la journée, aux clubs la nuit), reconnaissance de l'union libre, pension alimentaire pour femmes séparées et reconnaissance de droits aux enfants non légitimes… Difficile de ne pas être contaminé par l'enthousiasme qui transpire du témoignage de Victorine et des autres, même s'il serait erroné de croire que l'auteur se livrerait ici à une opération réhabilitation sans nuance. Raphaël Meyssan aborde aussi les aspects les moins reluisants de la Commune (comme les persécutions anticléricales ou l'exécution d'otages après l'entrée des Versaillais dans la ville) et interroge aussi bien les sources pro-Commune que celles laissées par les conservateurs, les modérés, les observateurs étrangers ou encore les journalistes.

Avec les trois volumes des « Damnés de la Commune » Raphaël Meyssan réussit plusieurs tours de force. D'abord, celui d'avoir réalisé une bande dessinée uniquement illustrée par des gravures d'époque, ce qui ne rend l'immersion du lecteur que plus intense. Ensuite, celui de réunir une masse d'informations et de sources impressionnantes sur le sujet, ce qui lui permet régulièrement de s'effacer au profit d'un ou d'une autre narrateur/narratrice qui ont directement vécu les événements. Enfin, celui de faire comprendre toute la complexité d'une époque et d'analyser les événements avec recul tout en laissant régulièrement la place aux émotions du lecteur qui ressortira bouleversé, presque hébété par ce douloureux mais magnifique voyage dans le passé. Une expérience de lecture qui ne se refuse pas, que vous soyez connaisseur de l'époque ou non, amateur de BD ou non, héritiers des Communards et Communardes ou non.
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Ce tome est le dernier d'une histoire complète en 3 tomes. Il faut avoir lu les deux premiers avant. La première édition date de 2019. Il a été réalisé par Raphaël Meyssan. C'est une bande dessinée en noir & blanc, qui compte 165 planches, construites en 8 chapitres. Il se termine avec une carte en double page situant les différents affrontements de la Semaine Sanglante. le tome se termine avec 3 pages en petits caractères listant les références pour chacun des 8 chapitres.

En première page, l'auteur évoque le fait qu'il ait vu brûler Notre Dame la veille : la disparition d'un repère, comme tous les repères disparaîtront. le temps passe, les amis s'éloignent, mais parfois on peut les retrouver, et l'auteur s'apprête à retrouver Victorine et Lavalette. Eux, bien sûr, ne le connaissent pas car il vivait il y a un siècle et demi en 1871, dans un Paris que l'auteur n'a pas connu, sans Tour Eiffel, sans Sacré Coeur, avec le palais des Tuileries qui clôt le Louvre, Notre Dame intacte. Au-delà des fortifications de Paris, deux armées encerclent la ville, allemande d'un côté, versaillaise de l'autre. En ce 16 mai 1871, tout Paris ne parle que de la colonne érigée par Napoléon qu'on s'apprête à renverser place Vendôme. L'auteur se retrouve projeté place Vendôme et il demande autour de lui si quelqu'un sait où se trouve Victorine. En réponse à une question, il explique qu'il vient du vingt-et-unième siècle. Un gamin le tire par la manche lui disant qu'il sait où se trouve Victorine. Un soldat qui supervise l'opération de mise à bas de la colonne lui conseille de vivre dans l'instant présent car il s'agit d'un moment historique. Il ajoute qu'il y a un dessinateur de presse dans la foule. L'auteur l'identifie comme étant Jacques Tardi, le dessinateur de le Cri du peuple, tome 1 : Les Canons du 18 mars écrit par Jean Vautrin. L'autre nie farouchement mais finit par se couper. Enfin la colonne s'écroule et l'autre se plaint d'avoir raté le moment à cause de la distraction occasionné par les questions insistantes de l'auteur.

L'autre s'emporte : l'auteur lui a fait rater un grand moment : c'est le symbole des guerres que la Commune vient de mettre à terre. Au lieu de lancer des conquêtes, la Commune jette les bases de l'école laïque, gratuite et obligatoire. Édouard Vaillant crée des écoles professionnelles pour les filles et impose l'égalité des salaires entre institutrices et instituteurs. Gustave Courbet (le peintre qui a lancé l'idée de déboulonner cette colonne) protège les oeuvres du Louvre et crée une fédération des artistes. Finalement il conseille à l'auteur de se rendre aux Archives de Paris pour y retrouver les traces de Lavalette, ce que fait l'auteur. Lavalette a été condamné par le troisième conseil de guerre pour avoir fait la révolution avec le Comité Central de la garde nationale, mais aussi pour s'être rendu complice le 17 mai 1871 de l'arrestation et de la séquestration illégales de plusieurs personnes à l'église Notre-Dame des Victoires, et s'être rendu complice le même jour et au même lieu de pillage en bande et à force ouverte. L'image du voisin communard s'effrite : il est un pilleur d'église et un tortionnaire, ayant participé aux persécutions anticléricales. Raoul Rigault, le plus anticlérical, était un jeune homme de 24 ans. Dans un autre document d'archive, il apparaît que Lavalette s'est opposé au pillage de Notre-Dame le 7 avril 1871. du coup il devient improbable qu'il ait participé à celui du 17 mai. 20 mai 1871, Versailles commence à bombarder Paris.

En entamant ce dernier tome de la trilogie, le lecteur sait à quoi s'attendre : une reconstitution de la dernière phase de la Commune de Paris, racontée à partir du point de vue d'une femme et d'un homme, sur la base de gravures d'époque réappropriées par l'auteur pour raconter son histoire sous forme de bande dessinée. Raphaël Meyssan semble déjà un peu nostalgique d'achever son oeuvre : il évoque la distance qui le sépare de ses personnages en ouverture, et il les quitte avec émotion à la fin. Les deux dernières pages évoquent les 8 ans qu'il a passé à réaliser cet ouvrage, huit ans pendant lesquels il a marché dans Paris avec Victorine à ses côtés. Elle l'a tenu par la main, lui a montré où regarder, lui a raconté son histoire, lui a dit l'histoire des communards. Il entendait littéralement sa voix. le lecteur ressent tout l'investissement de l'auteur, à quel point faire exister Victorine et Lavalette les ont rendus réels pour lui. Son immersion dans le récit a été totale, et le lecteur le ressent au fil des pages, ce qui génère une formidable immersion pour lui aussi. La vie de ces deux individus, reconstituée des décennies plus tard, ainsi que leurs engagements et leurs pérégrinations dans Paris ont fait s'incarner le peuple, dans sa misère, dans ses élans du coeur, dans ses convictions politiques très pragmatiques. le lecteur mesure à quel point évoquer les jours juste avant la semaine sanglante (du 21 au 28 mai 1871) et le devenir des communards après la semaine sanglante apporte du sens, pas qu'au contexte, mais aussi à la manière dont les historiens et l'État a choisi d'inscrire cette période dans L Histoire officielle, ou plutôt de la minimiser.

Comme dans les deux tomes précédents, le lecteur est impressionné et subjugué par la narration visuelle. Raphaël Meyssan réalise des pages et des séquences qui vont bien au-delà d'une simple opération de récupération et de collage : il compose ses pages comme une vraie bande dessinée. En fonction de la séquence, il utilise des cases rectangulaires sagement alignées en bande, des dessins en pleine page ou en double page (cette magnifique vue de Paris vue du ciel pages 8 & 9), des cases de la largeur de la page, des cases de la hauteur de la page (p. 138), des incrustations, des surimpressions, l'intégration de textes extraits de documents d'époque. Il utilise majoritairement de courts cartouches de texte, plutôt que des phylactères, même si ceux-ci sont régulièrement présents. Il découpe régulièrement des images de grande taille avec des traits de contour de case, et des lignes et colonnes blanches pour séparer lesdites cases ainsi créées. Il utilise ce procédé en pages 16 & 17 pour émietter un dessin et créer un effet de dislocation des plus réussis. Il l'utilise également pour guider l'oeil du lecteur de cartouche de texte en cellule de texte. Il l'utilise aussi pour créer un effet de mouvement ou d'impact, en particulier l'impact des obus lors des bombardements, par exemple en pages 88 & 89. Il peut également renforcer l'impression de chaos généré par la bataille avec des cases taillées en biais pour former des trapèzes. Il s'agit donc d'une narration séquentielle à base d'images, très vivante, malgré sa nature de récupération de dessins déjà existants.

Les gravures utilisées sont d'une finesse et d'une précision qui en imposent, avec une forte texture donnant de la consistance à chaque élément, chaque personnage tout en restant lisible. le lecteur éprouve la sensation de pouvoir laisser ses mains toucher la pierre des murs de Notre Dame, et des autres bâtiments tout du long du récit. Il se dit qu'il est en train de regarder un ciel nuageux tel que représenté par Gustave Doré en page 6. Il détaille les bâtiments de l'île de la Cité, de la Rive Droite et de la Rive Gauche dans la double page 8 & 9. Il voit le fracas de la colonne de la place Vendôme se briser en trois parties. Il sourit en voyant Quasimodo sur la cloche de Notre Dame, avec les fortes poutres qui s'entrecroisent pour la soutenir. Il admire la nef de Notre-Dame des Victoires. Il détaille la foule assistant à une allocution politique dans le Théâtre Lyrique, puis aux Tuileries pour un concert. Il ressent un malaise à voir les citoyens tomber sous les balles, à observer les cadavres mis en tas, à assister impuissant aux fusillades massives (avec un terrible commentaire d'un témoin sur celui de la caserne Lobau), ou encore à découvrir des citoyens déterrant les cadavres dans les jardins de Paris. L'auteur a également récupéré des gravures s'apparentant à des portraits de figures historiques. le lecteur peut ainsi voir Raoul Rigault (1846-1871), le général Jarosław Dombrowski (1836-1871), Adolphe Thiers (1797-1877), Auguste Blanqui (1805-1881), Jules Favre (1809-1880), Jules Ferry (1832-1893), Émile Zola (1840-1902), et bien sûr Louise Michel (1830-1905).

À nouveau, l'auteur se montre très habile et très élégant dans sa manière d'insuffler de la vie au récit, d'éviter l'effet livre d'histoire académique. Il continue de suivre ses principaux personnages, et il introduit d'autres témoins, comme Malvina Blanchecotte qui observe les événements se déroulant à Paris avec un autre regard que celui de Victorine et Lavalette. Il développe également l'histoire personnelle de ces deux derniers, à la fois leur avenir pour la première et leur passé pour le second. Ils sont bien les personnages principaux du récit, des acteurs d'une tragédie horrifiante, sans être parfaits pour autant. le lecteur est frappé par le fait que Meyssan ne se contente pas que de leurs deux points de vue pour raconter le récit. Il ne vire pas de bord pour se lancer dans une narration chorale, mais il intègre d'autres points de vue, élargissant le contexte historique, éclairant certaines prises de décision et certaines prises de position. Il est par exemple édifiant de découvrir l'avis d'Émile Zola ou de Victor Hugo sur la Commune de Paris. En intégrant des témoignages provenant d'autres individus ayant assisté à une partie de la Semaine Sanglante, la description de celle-ci gagne en épaisseur et en complexité. le lecteur est sous le choc des affrontements, de la répression puis de l'extermination. Quelles que soient ses opinions politiques, il voit les forces armées à l'oeuvre, que ce soit du côté des Communards, ou du côté des versaillais. L'auteur sait faire passer la réalité des blessures, des morts, des cadavres. Les gravures ne sont pas gore, mais elles provoquent l'imagination du lecteur, et les textes font office de reportage macabre. L'auteur fait plaisir au lecteur en accompagnant ses deux principaux personnages pendant une trentaine d'années après la Commune, en quelques pages : les deux lois d'amnistie de 1879 et 1880, et au-delà. La construction du récit sait allier des points de vue à hauteur d'individu (Victorine, Lavalette, Blanchecotte), avec des éclairages différents donnant une vue d'ensemble du mouvement insurrectionnel.

Ce troisième tome vient conclure l'histoire de la Commune de Paris, avec le même niveau de qualité que les 2 autres, sans facilité, ni raccourci. Raphaël Meyssan se montre aussi bon bédéaste qu'historien, un conteur rigoureux et sensible. Même s'il n'a pas côtoyé Lavalette et Victorine pendant huit comme l'auteur, le lecteur n'est pas près de les oublier, ni ces visions de Paris détruites, baignée par des flots de sang.
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J'ai déjà eu l'occasion de donner mon avis - excellent - sur les deux premiers tomes des Damnés de la Commune, extraordinaire travail de mémoire de Raphaël Meyssan.
Le troisième et dernier tome ne fait pas exception. La qualité de la narration est toujours là, le sens du découpage, le choix des gravures. On aurait pu craindre une certaine lassitude, à voir les mêmes procédés. Tel n'est pas le cas.
Il faut dire que le matériau historique est en lui-même extraordinaire. Ce rêve d'une démocratie directe, sociale, soucieuse des plus faibles. Tout en n'étant pas exempte d'excès.
Je ne suis pas assez spécialiste de la période, que je n'ai jamais abordé dans le détail en fac d'histoire, pour me prononcer sur le contenu purement scientifique. Mais j'ai le sentiment que Meyssan évite tout manichéisme dans son travail. Et que son parti pris d'aborder cette histoire par ses acteurs anonymes n'empêche en rien d'en saisir toute la subtilité, la portée, les contradictions internes.
C'est pour ces raisons que je vais visionner le documentaire que Meyssan a tiré de son travail, visible sur Arte jusqu'en mai prochain. Et ce à l'heure où de grands historiens, comme Pierre Nora, ne comprennent pas l'intérêt d'une commémoration des 150 ans de la Commune.
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J'avais lu les deux premiers tomes avec enthousiasme, séduite par les gravures faisant office d'illustrations. Ce troisième tome relate la Semaine sanglante, événement tragique et notable de la Commune de Paris.

Dans ce dernier volume, Raphaël Meyssan nous présente la Semaine sanglante vécue par les personnages que nous suivons depuis le début, notamment Lavalette, Communard recherché par l'auteur depuis le début.

Encore une fois, les alternances entre le présent et le passé rythment le récit. L'auteur utilise des évènements historiques (la Commune réprimée par les Versaillais, les massacres et les horreurs commises pendant la Semaine sanglante...) pour les mêler à la fiction, comme on le comprend lorsqu'on voit un auteur contemporain à Paris en 1871. J'ai été particulièrement amusée par la rencontre entre Raphaël Meyssan et Tardi (qui a réalisé la bande dessinée le cri du peuple) et le dialogue qui s'en est suivi.

C'est le tome le plus sombre de la trilogie, comme on pouvait s'en douter. L'auteur relate les crimes commis pendant la Semaine sanglante, personne n'étant épargné... D'archives en archives, il remonte la trace de son voisin Communard. C'était vraiment une chouette histoire et l'utilisation des gravures de l'époque rend l'ensemble très réussi et original !
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critiques presse (2)
Bedeo
31 mars 2022
Avec ce dénouement écrit d’avance, Raphaël Meyssan ne cherche en aucun cas la surprise, qui s’était invitée plutôt au premier tome. Non, il cherche à rappeler les exactions et le courage d’une ville, le temps d’une semaine, d’une vie, d’un souffle.
Lire la critique sur le site : Bedeo
BDGest
03 décembre 2019
La recherche du bédéiste est colossale. Certes, le chroniqueur relate les principaux événements, mais il s’attarde également aux toutes petites anecdotes, souvent glanées dans la correspondance de l’époque. [...] Le travail d’illustration est impressionnant. Plutôt que de sortir pot d’encre et pinceaux, l’artiste a amassé un vaste corpus de gravures qui lui permettent d’illustrer tous les lieux.
Lire la critique sur le site : BDGest
Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
Un siècle et demi plus tard, certains revendiquent encore l'héritage des Versaillais, qui à réécrire l'histoire...
"Versailles, c'est là où la république s'était retranchée quand elle était menacée."
L'homme qui vient de prononcer cette phrase n'est pas inculte. Il est président de la République et chef du parti politique La République en marche.
L'histoire est différente... Le seul moment où le gouvernement s'est retranché à Versailles, c'est lors de la Commune de Paris, pour y rejoindre une Assemblée nationale dominée par les monarchistes. À Paris, on rêve de république démocratique et sociale. À Versailles, on veut remettre le roi sur le trône.
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Je ne voulais pas voir, mais comment dégager sa pensée ? Que vont devenir ces trois grands garçons fusillés, ce que je ne puis m'empêcher de vois à chacun de mes moindres mouvements vers les fenêtres ? l'un était ce pauvre artilleur de vingt ans, si songeur hier. Lorsqu'on lui cria Rendez-vous !, il ouvrit sa veste, découvrit sa poitrine et fut frappé au cœur. Les bras ouverts, la face haute, le corps droit, il a encore fière allure. Le cœur n'est qu'une grande plaque de sang. Toute sa jeunesse a jailli là. Le deuxième était un gros ouvrier en blouse bleue. Le malheureux avait mal aux dents. Il a un bandeau sur la joue. La tête contre terre, une main sur ses yeux, on dirait qu'il dort. Le troisième, oh ! le troisième… chose horrible, sa tête es décollée. Son bras qui faisait un signe a conservé l'attitude de ce geste. Un mouchoir a été jeté sur cette pauvre tête hérissée. Mais, à chaque instant, des femmes du peuple le soulève. Elles cherchent dans chaque tas leur mari ou leur père. Il y a, de tous les côtés, de sombres tas immobiles. Les fosses des barricades sont combles. Aujourd'hui, les omnibus vont. Ils vont même beaucoup. Non pour les vivants. Ils vont pour les morts. Les véhicules ne suffisent pas, barricade après barricade, pour tout ramasser. Aussi voit-on d'énormes fourgons de la compagnie funèbre et de grands breaks de chemin de fer. Des toiles sont jetées par-dessus, mais tout ballotte, tout cahote, tout dépasse. Les empreintes de toutes ces formes restent visibles sur le sol, comme des peintures. Le Luxembourg est transformé en cour martiale. On entend les feux de peloton.
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Hier, j'ai vu brûler Notre-Dame. Tous nos repères disparaîtront. Jusqu'au dernier. Tout disparaîtra. Il reste ceux qu'on aime. Et un instant fragile. Les mois ont passé. Les années parfois. Les amis se sont éloignés. Il y a la distance. Il y a le temps. Il y a le tourbillon de nos vies. Mais il y a aussi une petite flamme qui brûle notre poitrine à l'idée de les retrouver. Aujourd'hui mon cœur s'embrase. Aujourd'hui je vais retrouver des compagnons que ni la distance, ni le temps n'ont réussi à effacer. Aujourd'hui j'ai rendez-vous avec Victorine et Lavalette. Ils ne savent pas que je les attends. Ils vivent il y a un siècle et demi. Je sais qu'ils sont là, quelque part dans cette ville que je ne connais pas. Paris en 1871. Mes repères n'existent pas encore. La Tour Eiffel n'a pas été construite. Le Sacré-Cœur ne domine pas la butte Montmartre. Je ne reconnais pas le Louvre, clos par le Palais des Tuileries. Notre-Dame n'a pas brûlé. Au-delà des fortifications, deux armées encerclent Paris : allemande d'un côté, versaillaise de l'autre. Où retrouver Lavalette et Victorine dans cette ville en guerre ?
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Maison d'arrêt de Versailles, à Théophile Ferré

Si j'allais au noir cimetière,
Frère, jetez sur votre sœur,
Comme une espérance dernière,
De rouges œillets tout en fleur.

Dans les derniers temps de l'Empire,
Lorsque le peuple s'éveillait,
Rouge œillet, ce fut ton sourire,
Qui nous dit que tout renaissait.

Aujourd'hui, va fleurir dans l'ombre
Des noires et tristes prisons,
Va fleurir près du captif sombre
Et dis-lui que nous l'aimons.

Dis-lui que par le temps rapide
Tout appartient à l'avenir
Que le vainqueur au front livide
Plus que le vaincu peut mourir.

Louise Michel
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- Vous êtes des hommes, qui allez me juger. Vous êtes des hommes et moi, je ne suis qu'une femme. Et pourtant je vous regarde en face. Je ne veux pas être défendue. J'appartiens toute entière à la révolution sociale et je déclare accepter la responsabilité de mes actes. Je l'accepte toute entière et sans restriction. Ce que je réclame de vous, c'est le champ de Satory, où sont déjà tombés nos frères. Puisqu'il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n'a droit qu'à un peu de plomb, j'en réclame une part, moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance.
- Je ne puis vous laisser la parole si vous continuez sur ce ton.
- J'ai fini. Si vous n'êtes pas des lâches, tuez-moi.
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