Tu ne peux pas te tromper, tu prends la route, celle qui est caillouteuse et poussiéreuse et qui s'enfile sous l'horizon du soleil couchant. Au deuxième jour tu tournes sur la droite, et vers 14h30 tu prends la troisième sur la gauche. Ou la quatrième, je sais plus bien. Une fois revenu sur tes pas, tu n'es plus très loin de Cuatrocasas. Un village laissé à l'abandon où seule la poussière s'épanouit sous le regard de trois ou quatre vieux qui se demandent pourquoi ils sont encore en vie dans ce coin.
D'ailleurs,
tu te demandes encore pourquoi tu t'es arrêté là.
D'ailleurs,
Il n'y a rien là-bas.
Une prison
abandonnée,
un bar sans nom, et sans client
un lieu au nom évocateur,
Les Vingt Nymphes,
une gare où le train ne passe plus depuis des lustres,
la garnison s'est sauvée, reste bien une vieille prostituée.
En dehors, la poussière règne, un vent qui semble rendre fou, qui semble rendre triste. Tout est triste ici, même les amours.
L'esprit est décousu, certainement le vent ou la poussière dans les yeux qui donne cette impression. Pourtant, tu es là, je ne sais toujours pas pourquoi, à lire, dans cette poussière, dans cette ambiance, au fin fonds de la pampa, attiré probablement par ce soleil couchant, ce comptoir esseulé derrière une gare où le train ne prend même plus le temps de s'arrêter ni même de traverser. du temps tu en as, alors tu te poses, dans cet endroit que même la mer a désertée et tu observes une galerie de portraits, des indiens, des prostituées, des militaires, des vieux, des prisonniers et des clients du bordel. C'est cruel, c'est triste, c'est moite, c'est la Patagonie, tout en buvant une Quilmes. C'est ton truc la Quilmes, tu te prends ainsi pour un gaucho au visage buriné marqué par le vent et la lune, alors tu te poses «
à l'ombre du loup », à l'ombre du soleil et tu savoures ce nulle part… ou pas… Souviens-toi du chemin qui t'a mené jusque-là, car l'ombre change à chaque heure, et le retour n'est plus possible comme un western des extrêmes. J'aime beaucoup cette phrase éditoriale : "Ils connaissent peu de choses du monde, ils savent tout de la vie". Voilà l'esprit de la Patagonie.