Minier Bernard – "
Nuit" – XO-éditions / Pocket, 2017 (ISBN 978-2-266-28378-6)
Un roman vraiment étonnant.
En effet, dès les premières pages, l'auteur commence d'emblée à un niveau de conformisme, de lieux communs et d'imbécillité plutôt élevé : le personnage de la fliquette norvégienne 'libérée" pourrait nous valoir une protestation officielle et une brouille diplomatique sévère avec ce pays pourtant flegmatique.
Le lecteur se croit ainsi installé dans une lecture rasoir et barbante standard (le héros vient de réchapper bien entendu d'une balle en plein coeur) : mais lorsque, parvenu péniblement à la page 103, il tombe sur
"Charlène, la trop belle femme de son adjoint, se tenait sur le seuil. Charlène, dont la longue chevelure rousse comme les flammes d'un feu d'automne se mêlait à l'épaisse fourrure fauve et blanc de son grand col, dont la peau de lait et les immenses yeux verts promettaient le paradis à chacun"
et ce après des tournures du genre (p. 78)
"un nouvel éclair illumina le salon ; seules les têtes d'épingle de ses yeux naviguaient dans sa face crayeuse, roulant de l'un à l'autre"
là, le brave lecteur moyen explose de rire et laisse tomber, capitulant devant un tel niveau de médiocrité. Eh bien ! ce lecteur a tort.
En sautant pas mal de ces paragraphes verbeux, mal écrits, étalant de vagues Grandes Connaissance sur la Mort (un chapitre entier "dans une région contiguë de la mort" p.84 !), la Grande Musique (pôvre Mahler) ou diverses maladies, en une prose tout juste digne des revues pour salon de coiffure, bref, en affrontant le reste de ce récit, le lecteur fera une découverte majeure : bien que parti d'un niveau de crétinisme déjà élevé, l'auteur réalise le tour de force de progresser (si, si, si), et le retournement final offre une véritable apothéose de sottise (le héros se baladant alors qu'on vient de lui enlever la moitié du foie n'est qu'un des éléments annexes de ce feu d'artifice).
Personnellement, je pense n'avoir jamais constaté ce niveau d'idiotie depuis vilaine lurette, et pourtant, j'en avale, des bouquins de toute sorte !
Plus rigolo encore : ce brouet est constamment parsemé de noms prestigieux, on croise bien sûr Gustav Mahler (les Kindertotenlieder se voient usés jusqu'à la corde), Rousseau-BobMorane-Jules-Verne (tout ça p.188, excusez du peu),
Gaston Bachelard et Prométhée (p.340),
Stefan Zweig accompagné d'une kyrielle d'artistes autrichiens (p. 345 – la liste se termine par
Freud qualifié de "renifleur de petites culottes"),
Truman Capote (p. 365), même le brave Marcion (p. 455), et tant et tant d'autres : quelle Vaste et Belle Erudition !!!
Cela me fait penser au
Onfray de "
Cosmos"...
Par ailleurs, les dires de cet auteur sur les appétits charnels supposés de nos chères compagnes doivent sans doute correspondre à ses phantasmes, mais risquent de lui valoir un podium bien mérité sur "balance-ton-porc".
Reste tout de même une possibilité de rédemption : au début du chapitre 31 (p. 365), notre héros l'enquêteur Servaz termine la lecture d'un livre écrit par un personnage nommé Labarthe.
Les réflexions pondues alors par
Bernard Minier s'appliquent avec tant de justesse à son propre bouquin, qu'il est légitime de se demander dans quelle mesure il ne se fiche pas du monde : on ne lui en tiendra pas rigueur, il faut bien qu'il gagne sa vie :
"Labarthe y avait toutefois ajouté des réflexions personnelles, en se mettant dans la peau du tueur. A l'arrivée, un truc ronflant et prétentieux, qui se prenait pour de la littérature"
On ne peut mieux résumer ce bouquin.
Poubelle.