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EAN : 9782258204140
272 pages
Presses de la Cité (02/03/2023)
4.17/5   42 notes
Résumé :
Dans le Salento, à la pointe des Pouilles, une terrible maladie ravage les oliviers, obligeant le père d’Elisa à abattre plus d’un millier d’arbres centenaires du domaine familial. Autant dire qu’il a d’autres préoccupations que d’autoriser la jeune fille à réaliser son rêve : partir étudier le chant à l’institut de musique classique de Milan.
Seule sa grand-mère Raffaella, consciente de son don, la soutient. En cachette, elle lui offre son médaillon porte-b... >Voir plus
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Toute la sensualité et la beauté d'une terre. Une lecture qui n'est pas sans me rappeler le soleil des Scorta de Laurent Gaudé.
Avec verdi et les oliviers en toile de fond qui lient le destin des deux femmes.
Dans les pouilles, on arrache les oliviers atteint de xylella, au même moment Raphaella entre en maison de retraite suite à une mauvaise chute et sa petite fille souhaite poursuivre ses études à Milan.
En trois dates : 1955, 1968 et 2017, nous connaîtrons le secret de la nonna, son histoire, ses choix et l'aide qu'elle apportera à Eliza afin qu'elle choisisse sa vie en dépit de ses parents.
L'Italie du Sud où la vie est rude, âpre, avec sa chaleur, les oliviers, la mer et ses traditions millénaires.
Ici il s'agit de la Tarentelle, cette danse qui permet aux femmes d'exorciser leurs vies difficiles, leur mal être. Cette nuit si spéciale à leurs yeux : La nuit de la tarentelle et son symbolisme.
Beaucoup d'amour mais aussi la douleur du déracinement. Par amour pour le chant Eliza va partir à Milan et en laissant ses racines en découvrir d'autres.
Un très beau roman de Christiana Moreau à la plume délicate et lumineuse qui partage son amour de l'Italie, de l'art et de ses personnages. Une auteure dont j'apprécie énormément les histoires.
Merci aux Presses de la Cité.
#Lanuitdelatarentelle # NetGalleyFrance
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Voici mon retour de lecture sur La nuit de la tarentelle de Christiana Moreau.
Dans le Salento, à la pointe des Pouilles, une terrible maladie ravage les oliviers, obligeant le père d'Elisa à abattre plus d'un millier d'arbres centenaires du domaine familial.
Autant dire qu'il a d'autres préoccupations que d'autoriser la jeune fille à réaliser son rêve : partir étudier le chant à l'institut de musique classique de Milan.
Seule sa grand-mère Raffaella, consciente de son don, la soutient.
En cachette, elle lui offre son médaillon porte-bonheur à l'effigie de Verdi et lui confie le secret qu'elle tait à tous depuis plus de soixante ans, lorsque la vie était encore plus rude pour les filles d'après-guerre.
Ce temps où danser la pizzica, une folle tarentelle issue du fond des âges, était le seul exutoire à l'oppression que leur imposait le joug de leurs pères, maris et frères…
Forte du secret de Raffaella, Elisa parviendra-t-elle à s'émanciper des traditions millénaires de ce pays brûlant de soleil menacé par l'avidité des hommes ?
La nuit de la tarentelle est un très joli roman qui nous parle de danse, de chant. Un bel hommage à l'art en général :)
Une fois de plus j'ai craqué pour la plume de Christiana Moreau. J'avais adoré Cachemire rouge, dont je garde un émouvant souvenir. Et je sais que je me souviendrais un petit moment de la nuit de la tarentelle.
La tarentelle..
Une petite araignée qui mort et qui fait danser les jeunes filles, follement.. Une petite araignée présente en fil rouge, entre les chapitres..
Je n'aime pourtant pas les araignées mais celle-ci m'a presque charmée..
Nous suivons Élisa, dont le rêve est de partir à Milan pour étudier la musique classique. Mais son père est trop occupée par ses oliviers et la maladie qui les ronge.
Alors, laisser partir la jeune fille n'est pas du tout sa préoccupation.
Heureusement Raffaella, la grand-mère, adore la musique, la danse, Verdi.. Elle écoute la jeune fille, lui confie un grand secret.. et va lui permettre de réaliser son rêve..
J'ai aimé ce roman, que j'ai trouvé excellent.
Je n'ai pas été gênée par les allers retours car ils sont bien indiqués. Au contraire il est plaisant de suivre aussi bien Raffaella qu'Elisa.
L'histoire est simple mais bien ficelée, avec un secret de famille, des rebondissements, de jolis passages..
J'ai beaucoup aimé la petite araignée présente entre les chapitres. Même si j'avoue avoir fait un bond la première fois que je l'ai vu car.. j'aime pas les araignées !
Mais elle a toute sa place ici, apporte un vrai plus, un peu de poésie.
Une fois la surprise passée, j'avoue que la trouver ici et là ne m'a plus dérangée. Au contraire.
La nuit de la tarentelle est un très joli ouvrage qui m'a charmé de la première à la dernière page.
J'ai adoré ma lecture, que je vous recommande et note cinq étoiles :)
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Avec Verdi comme ange gardien

C'est dans une oliveraie des Pouilles que Christiana Moreau situe son nouveau roman. On y suit en parallèle l'histoire de deux femmes passionnées de musique, Raffaella et sa petite-fille Elisa.

Connue depuis des siècles pour son huile d'olive, la région des Pouilles lutte depuis des années contre un fléau qui détruit les oliviers. C'est dans ce contexte difficile que Raffaella, la doyenne de la famille, est victime d'une nouvelle chute qui la fragilise et pousse son fils à la placer en maison de retraite. Où elle dépérit. Seule les visites de sa petite-fille Elisa lui apportent un peu de baume au coeur.
Elles partagent toutes deux une même passion pour le chant lyrique et notamment pour Verdi. Si Raffaella encourage Elisa à vivre sa passion, c'est aussi parce qu'elle-même a dû se résoudre à rester dans les Pouilles pour seconder le mari que sa famille avait choisi pour elle dans le but d'agrandir le domaine et à renoncer à Angelo, qui rêve d'être ténor, et auquel elle sera contrainte de renoncer. Elle va confier à sa petite-fille l'emplacement de son trésor, enfoui au pied d'un olivier, pour qu'elle puisse partir se former à Milan.
On va dès lors suivre en parallèle l'histoire de Raffaella en 1955, puis en 1968, et celle d'Elisa en 2017. Une construction astucieuse, qui permet chapitre après chapitre, de comparer les deux destinées. Après-guerre, au pied de la botte, le patriarcat reste la norme et n'offre guère aux femmes qu'un tout petit espace de liberté, la tarentelle. C'est aussi cette danse traditionnelle qui va rapprocher les deux femmes. C'est là que Raffaella va rencontrer l'amour de sa vie et c'est là qu'Elisa va trouver la force de s'émanciper.
Dans ce beau roman de transmission symbolisé par un pendentif de Giuseppe Verdi offert à Raffaella puis à Elisa et accompagné d'un lourd secret de famille, Christiana Moreau fait montre des mêmes qualités narratives que dans ses premiers romans, La sonate oubliée et Cachemire rouge (disponibles au Livre de poche). Sa sensibilité d'artiste et le lien très fort qui l'unit à l'Italie forment un terreau fertile à cette histoire de patriarches qui se heurtent aux velléités d'émancipation des femmes.
On suit avec beaucoup d'intérêt leur combat, qui est aussi parsemé de doutes, jusqu'au dénouement. Une ultime occasion de retrouver les deux héroïnes de cette émouvante saga qui allie féminisme et musique, émotion et secrets de famille.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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La tarentelle est une danse traditionnelle de la région des Pouilles, notamment de la ville de Tarente, dont l'origine remonte à la Grèce Antique. Selon la légende, elle fût autrefois un rituel de purification et de guérison car la morsure de la tarentule pouvait développer certains troubles…

« Comme Pénélope, en attendant, je tisse une toile nouvelle […] Aujourd'hui, j'ai frappé. […]
Elle dansait, dansait et dansait encore. »

Avec le même talent romanesque découvert avec « La sonate oubliée » et ses deux romans suivants, Christiana Moreau m'a emmenée avec « La nuit de la tarentelle » dans les Pouilles en Italie, péninsule du Salento.

Dans le décor des champs d'oliviers du domaine familial de Marzo dont l'oléiculture est le métier depuis le XIXème siècle.
L'olivier c'est toute une symbolique. Longévité, espérance, véritable symbole de paix et de réconciliation, de force et de fidélité.
« Depuis l'Antiquité, il représente la force et la victoire, la sagesse et la fidélité, l'immortalité et l'espérance, la richesse et l'abondance. »
Dans ce roman, deux histoires – deux époques s'entrelacent, la petite-fille Elisa et sa grand-mère Raffaella.

Elisa rêve de partir étudier au Conservatoire de Musique de Milan lorsque son père, plutôt opposé, se voit contraint d'abattre plus d'un millier d'oliviers centenaires malades de xylella.
Raffaella, sa grand-mère, va alors confier son médaillon et un secret…

« La croyance prétend que la tarentule peut entrer en communication avec sa victime pour lui dicter des instructions en modifiant son comportement […] Je sais que je lui appartiens désormais et j'ai hâte de retrouver toute la panoplie de mélodies qui me rendront de nouveau le pouvoir de provoquer, d'ensorceler, de séduire et de me libérer du carcan que mes parents m'imposent. »

C'est plein de passion, d'amour et de douleur, de vie et de mort, autour du secret familial, de mythes et traditions ancestrales, et un côté pittoresque plein de caractère.
Une histoire familiale de transmission baignée de musique, de chant et de danse, avec une écriture lumineuse et rythmée, et la bienveillance de Giuseppe Verdi.

*
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Une fois de plus, Christiana Moreau nous emmène en Italie, dans le Saleto, cette fois.
je découvre un région un peu aride, une région de soleil, de sécheresse, peuplée d'immenses oliveraies. Mais ces oliviers centenaires sont malades, une mystérieuse bactérie les détruit peu à peu...
C'est dans ce contexte dramatique que l'histoire débute.
D'emblée, j'ai retrouvé la belle plume de l'auteure : précise, délicate, poétique, imagée mais il me manquait un déclic pour que cette lecture soit un coup de coeur. Comme l'apprécie beaucoup cette auteure, j'ai attendu et je me suis mise à l'écoute des personnages qu'elle décrit si bien !
L'auteure raconte le quotidien, les rêves, les déceptions de deux femmes : une grand-mère et sa petite-fille. Leurs histoires nous plongent dans le passé de l'une et dans l'avenir de l'autre . A travers elles, l'auteure dresse le portrait d'une société où l'homme, la famille, les traditions, la superstition, la résilience, le devoir occupent une place prépondérante et dans laquelle les femmes doivent se taire, obéir, courber l'échine.
Peu ou pas de place pour les émotions !
Au fur et à mesure des pages, j'ai vibré avec elles et le coup de coeur s'est annoncé ! L'auteure a su rendre parfaitement leur cheminement. Ces femmes sont exceptionnelles, elles portent leur destin, elles éprouvent un amour particulier pour leur terre. Sous l'apparence d'une certaine réserve , elles se montrent fortes, résolues et terriblement entières et c'est surtout cet aspect qui est bien rendu !
Je recommande cette lecture féministe qui aborde aussi des thèmes écologiques, philosophiques, sociologiques qui portent à réflexion !
Sous oublier la musique italienne, le chant lyrique avec Verdi, la cuisine si gouteuse et savoureuse et la tarentelle ! Cette danse si particulière , si dense, porteuse de symboles et de messages qui n'est pas s'en rappeler le flamenco en Andalousie !
Petit plus pour les interventions de la tarentule qui apportent un côté ésotérique à l'histoire , parfois inquiétant, parfois charmant...
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Quand je vins au monde, mes parents avaient déjà deux fils ; ils ne furent donc pas désappointés et s’accommodèrent d’une fille puisque mes frères, Paolo et Piero, reprendraient la masseria à leur suite.
Les hommes du Salento sont taciturnes et rudes.
À cette époque, chaque famille vivait repliée entre les murs de sa propriété et n’appréciait guère que l’on cherche à deviner ses secrets. Les travailleurs employés aux champs s’activaient sur les terres de leurs patrons avant de s’en retourner chez eux au village sans jamais poser de questions.
Durant la guerre, notre province ne fut guère impactée. Hormis les tickets de rationnement qui mettaient un frein à la contrebande de cigarettes, nous avons poursuivi nos activités agricoles qui nous nourrissaient au fil des saisons. C’est à peine si nous avions entendu parler de la bataille dont le port de Tarente avait été le théâtre. De même qu’après la destitution de Mussolini et l’armistice, la désignation par le roi Victor-Emmanuel III de Brindisi comme capitale éphémère du royaume d’Italie nous indifférait. Les cent kilomètres qui nous en séparaient nous paraissaient infranchissables. Loin de notre réalité, la fureur des combats et les luttes politiciennes ne nous atteignaient pas.
Les Apuliens sont plutôt petits, robustes, trapus et bruns avec des yeux noirs perçants. Ils tiennent sans doute cet aspect de leurs lointains ancêtres. Dans la province de Lecce, il existe une enclave linguistique de neuf communes, la Grecìa Salentina, où est parlée une langue néo-grecque : le griko. C’est cette caractéristique qui les façonne en êtres taciturnes, qui se ressemblent tant qu’on croirait qu’ils sont parents.
Les femmes demeurent discrètes. On les rencontre peu sur les chemins. Enfermées à l’abri des volets clos, elles s’affairent à la cuisine pour nourrir les ouvriers. L’été, elles s’occupent des champs de tomates et des potagers pendant que les hommes entretiennent l’oliveraie et pressent l’huile. Toutes portent un chignon serré sur la nuque sous un foulard noir et une robe qui leur descend aux chevilles, noire également. Toujours en deuil d’un père, d’un frère ou d’un mari, elles marchent avec des sabots en évitant les regards. Bien que la mer jouxte le village, elles ne vont pas à la plage et ne savent d’ailleurs pas nager.
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Maria, bras levés, claque ses castagnettes et Pino accélère ses battements sur la peau tendue de son instrument redonnant vie aux sonorités qui ressuscitent les cultures et les peuples ayant habité cette terre : grecs, arabes et albanais. Rares sont les percussionnistes qui réussissent à conjuguer l'essence sauvage de cette cadence avec une musicalité sans faille. Bébé, Pino a été bercé avec une tammora en guise de hochet ; c'est un vrai artiste traditionnel. Les danseurs ne font que s'effleurer le bout des doigts tout en lançant des œillades de capitulation puis de rébellion, simulant une parade amoureuse.
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(Les premières pages du livre)
Attente.
Ici, dans le noir, je ne fais qu’attendre.
La lumière m’aveugle, mais je dois l’affronter, parfois.
Comme Pénélope, en attendant, je tisse une toile nouvelle. L’ancienne est trop déchirée.

Celle-ci, je la ferai plus solide, il faut qu’elle me porte bien, qu’elle soit invisible et mortelle. Je ne sais pas ce qu’est la patience, mais on dit que je suis silencieuse et patiente. La patience fait partie de mon caractère, j’observe avec détachement ce qui m’entoure, mais je fais attention à chaque geste : la plus petite vibration de l’air peut m’apporter quelque chose de nouveau.
Aujourd’hui, j’ai frappé. Ils étaient nombreux à danser et chanter, mais elle, elle reposait tranquille, dans l’herbe fraîche, sous un olivier, à l’ombre, dans le chaud commencement d’un après-midi d’été.
Lentement j’ai caressé sa joue, j’ai humé le parfum de ses cheveux, effleurant ses oreilles, touchant son épaule. Là, je me suis arrêtée, en reniflant l’air chaud et, plus par jeu que par désir, j’ai embrassé sa peau.
Elle a bougé tout de suite et les autres, en courant, l’ont encerclée chantant et jouant, d’abord tout bas, puis de plus en plus fort.
Elle dansait, dansait et dansait encore.
Je sais bien que pour chercher un antidote à mon baiser ils doivent « jouer », ils doivent « danser », ils doivent « chanter ». Ce sont toutes des invocations à mon pouvoir. Je sais que je leur fais peur et qu’ils vont continuer, si nécessaire, des jours et des nuits entières.
Mais ces sons me dérangeaient, je me suis éloignée, je ne voulais pas qu’ils me voient.
Je me suis éclipsée, silencieuse et agacée, vers d’autres proies.
Marco BEASLEY
Traduction Maria Laura Broso-Bardinet
Extrait de La Tarantella: Antidotum Tarantulae
L’Arpeggiata, Christina Pluhar, Lucilla Galeazzi, Marco Beasley

Prologue
Je me suis allongée sur le lit et me suis assoupie. Je suis si fatiguée. Je voulais juste fermer les paupières quelques minutes.
Une aide-soignante entre dans ma chambre. Je n’ai pas entendu frapper, l’a-t-elle fait ?
Étendue sur la couverture en coton gris, l’esprit embué, les yeux hagards, je la vois poser un plateau-repas sur la table en formica.
L’espace d’un instant, je ne comprends pas.
Où suis-je ?
Je perçois le claquement pressé des galoches sur le carrelage.
Je parcours la pièce du regard à la recherche d’objets familiers. Les murs sont nus.
— Vous dormiez déjà, madame De Marzo ? Il faut d’abord manger. Je reviendrai plus tard vous apporter votre somnifère.
Je tourne mon visage ridé vers la cloison. Je n’ai pas faim. Je songe à ma vie.
L’araignée m’a quittée depuis une éternité. Il y bien longtemps qu’elle a relâché son emprise.
Je me sens vide.
Ce que je veux, c’est retourner dans ma maison qui domine la mer au milieu des oliviers et respirer le parfum salé au soleil couchant.

1
2017
Un soleil voilé se dilue dans le ciel plombé et la moiteur de l’air colle les vêtements à la peau. C’est sûr, la journée ne se terminera pas sans déluge. À la campagne, on sait que l’orage approche à la façon dont les oiseaux interrompent brusquement leurs chants. Ils se taisent, apeurés, et guettent ce qui va se passer. Tout devient silencieux, les animaux le sentent.
De la terrasse chauffée à blanc, Elisa observe son père réfugié à l’ombre de l’olivier millénaire. Appuyé contre l’écorce crevassée, il est soucieux. Son regard se porte au loin sur le sol de poussière ocre planté d’arbres qui supplient le ciel de leurs branches étendues comme de vieux crucifix. À gauche et sur plusieurs rangées, il ne reste que des squelettes ; la bactérie Xylella fastidiosa a sucé leur sève jusqu’à les dessécher. Est-ce que ce microbe véhiculé par les insectes piqueurs va se propager aux allées de droite encore saines ? Quel funeste destin sera celui des oliviers qui représentent l’emblème du Salento, sa richesse, sa pérennité depuis qu’Athéna en fit le symbole de la sagesse et de la paix ?
Elisa a d’autres préoccupations. On est déjà au cœur de l’été et il faudra prendre des dispositions avant l’automne ; il n’y a plus de temps à perdre. Elle doit parler à son père coûte que coûte, elle ne peut plus différer. Toute la semaine elle a oscillé entre la nécessité d’exposer son projet et la tentation de baisser les bras. Elle a mal dormi, essayant de maîtriser ses angoisses dans la nuit. Elle ne peut pas compter sur le soutien de sa mère, une femme docile et effacée qui n’a jamais osé s’opposer à son mari.
Elisa inspire une grande bouffée d’air et descend les marches du perron.
— Papa…
Vito se retourne, étonné de découvrir sa fille à ses côtés. L’esprit préoccupé, il ne l’a pas entendue arriver.
— Papa, mon professeur du conservatoire de Lecce me conseille d’aller étudier le chant à l’institut de musique classique de Milan. Les élèves qui réussissent l’examen final du cours pré-académique avec une note minimale de 8,5 sur 10 y sont acceptés… et moi j’ai obtenu un 9 ! Il dit que j’ai du talent et que je dois tenter ma chance… Je voudrais m’inscrire…
Elle se surprend à trembler. Vito n’a pas cillé, il fixe les rangées d’arbres malades. Le temps s’étire dans le silence et Elisa souhaite plus que tout que son père le rompe. Au bout d’un long moment, il prononce des mots chargés de reproches:
— L’enseignement à Lecce n’est plus assez bon pour toi ? Tu voulais pourtant y aller à tout prix. Ton professeur est venu jusqu’ici, faire le siège de notre masseria1. Il a sorti ses plus beaux arguments pour me convaincre. J’ai accepté, et aujourd’hui ce n’est pas encore assez ? Tu désires vivre dans le Nord ? Mademoiselle a peut-être honte de ses origines de culs-terreux ? Nous ne sommes plus assez bien pour elle ?

Le flot de paroles tant redouté tourbillonne autour d’Elisa. Elle savait que ça se déroulerait ainsi.
— Mais, papa… je veux être cantatrice, se défend-elle, c’est à Milan que ça se passe. La Scala, tu en as entendu parler ?
Vito darde sur elle un regard noir de colère contenue. Elisa le soutient. En cet instant elle hait son père.
— Et où crois-tu que je trouverai l’argent pour te payer des études de princesse ? Tu es tellement égoïste que ce qui nous arrive te passe par-dessus la tête ! Tu vis dans tes rêves alors que nous allons être anéantis par cette maudite maladie des oliviers !
— Je sais, papa… souffle-t-elle dans un sanglot qu’étouffe tout à coup un assourdissant coup de tonnerre.
Terrifiée, elle voit le ciel se déchirer dans un éclair aveuglant et l’orage se met aussitôt à les bombarder de projectiles gros comme des œufs de pigeon.
— La grêle, fulmine le père, il ne manquait plus que ça !
— Viens, papa ! hurle-t-elle. Tu vas finir foudroyé !
L’avalanche recouvre déjà le sol d’une épaisse couche de grêlons blancs. Si ce n’était la chaleur intense, on se croirait en hiver sous la neige. Martelée de toutes parts, Elisa fuit vers la maison.
Désespéré, Vito ne bouge pas, paralysé sous le déluge tandis que sa fille court se réfugier à l’abri. Elle gravit quatre à quatre l’escalier qui grince sous ses pieds. Les larmes affluent à chacun de ses pas sur les marches cirées. Elle se précipite dans la pénombre de sa chambre, se jette sur son lit, secouée de sanglots. Tout le ciel cingle les vitres, la demeure craque et le vent s’infiltre en gémissements déchirants par les fentes des châssis usés. Quand l’un des battants claque contre le mur, la jeune fille sursaute et bondit pour le caler. Penchée au-dehors dans la force de l’averse drue qui lui fouette le visage, elle s’acharne sur le loquet pour le bloquer avant de retourner s’allonger sur le dos. Elle écoute crépiter la pluie qui a succédé aux grêlons et qui tambourine sur les tuiles roses du toit. Épuisée par les pleurs, bercée par le son des gouttes qui flagellent les fenêtres, elle s’endort sur son rêve avorté.
Son sommeil est mauvais, agité et elle se réveille en sueur dans la chambre suffocante. Elle se sent vidée. La tête lourde, elle a les yeux rouges et les paupières gonflées. Endolorie, elle se lève en grimaçant et ouvre la fenêtre sur le ciel lessivé. Tout est redevenu calme. L’aube point à peine sur la ligne d’horizon. Dans le firmament rosé, ses premières lueurs s’étendent au loin sur la mer qui envoie vers les terres un léger vent frais. Les oliviers sèchent leurs feuilles luisantes dans les premiers rayons du soleil. Des voiles de buée montant du sol sinuent autour des troncs tortueux. Les champs recrachent un halo blanc qui flotte jusque dans les allées encombrées de branches cassées, de rameaux flétris et de petits fruits verts fauchés par le grain violent.
À l’orée de la plantation, l’olivier millénaire a résisté. C’est le préféré de sa nonna Raffaella.
Elle songe à celle que son père a emmenée si vite, sans que personne s’interpose. Mais qui l’aurait pu ? Pas sa mère en tout cas, pas mécontente d’être allégée de ce fardeau. Personne n’a bronché quand Vito a annoncé d’une voix calme qu’il la conduisait dans une maison de repos à Lecce. Raffaella n’a pas compris tout de suite ce que cela signifiait. Elle avait trébuché sur le carrelage, elle avait mal au poignet, il fallait radiographier et peut-être plâtrer. Elle tombait souvent ces derniers temps ; cette chute était celle de trop. Ça ne pouvait plus durer. « Tu verras, la rassurait Vito, tu seras bien soignée, on te donnera quelque chose pour atténuer la douleur, c’est pour ton bien. » Raffaella l’a suivi, silencieuse, les yeux hagards, le corps meurtri. Elle ignorait ce qui se cachait derrière les mots de son fils. Vito l’a poussée dans la voiture comme une enfant. Il s’est persuadé que la maison de retraite était la meilleure des solutions. Ici, tous travaillent dur à l’oliveraie, personne n’a le temps de s’occuper d’une dame de quatre-vingts ans. Là-bas, elle aura la compagnie d’autres personnes de son âge. Les vieux avec les vieux à la séniorerie, les jeunes avec les jeunes au boulot et les enfants avec les enfants à l’école. Il n’y a pas à discuter, c’est mieux ainsi.
Elis
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Elle a choisi cet air tout en tendresse et pureté pour se rassurer. Passé les premiers instants de trac, sa voix se libère peu à peu de l'étau qui l'étreignait et s'envole, critalline. Elle vocalise aisément dans les aigus et avec plénitude dans les suraigus. La beauté des harmonies palpite dans l'espace. Élisa se sent emportée par le délicatesse et le fluidité de cette mélodie séraphique. Elle savoure un moment de magie hors du temps. Après le finale, un étrange silence flotte dans la salle.
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Depuis deux mois le soleil martèle la terre et les oliviers. J'aime trop ce pays pour m'en échapper. Où pourrais-je aller avec un jeune enfant ? Notre sol nous aliène de travail, pourtant nous lui sommes dévoués, à la vie, à la mort. Il est ancré au plus profond de notre chair. Je suis fille du soleil. À perte de vue, il n'y a qu'oliveraies et mer entremêlées. Au large, une nappe d'eau engourdie miroite de lumière. Le bout du monde, la fin d'une civilisation.
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