Le 11 mars 2011, Yasuo est sur la plage avec d'autres pêcheurs quand il sent la terre bouger sous ses pieds. Ce n'est pas la première fois que le phénomène se produit ces derniers temps sur les côtes de Sanriku, mais là, les secousses ne s'arrêtent pas et sont de plus en plus puissantes.
Yasuo prend alors la décision qui s'impose, alors que la mer commence à reculer inhabituellement, il pousse son bateau sur le sable pour rejoindre l'eau, et crie à ses camarades de le suivre. À cinq mille nautiques de la plage, tous se retournent et voit un immense mur d'eau noir et luisant qui occulte complètement la terre qu'ils viennent de quitter.
Trois jours après, à leur retour à terre, les marins découvrent un paysage de désolation. Leur village a été quasiment rasé, partout des gravats ont remplacé les bâtiments et les habitations. De la boue et des décombres émergent des cadavres dont les survivants n'ont pas eu le temps de s'occuper.
Pour Yasuo, c'est l'heure de la culpabilité et du découragement. Fallait-il partir en laissant sa famille se débrouiller seule face au tsunami ? Et maintenant devant l'immense tâche pour reconstruire, qui lui semble hors de portée, ne vaut-il pas mieux mourir ?
Kasumiko Murakami, journaliste pendant une vingtaine d'années à Paris, a écrit ce court roman pour rendre compte de l'horreur et du traumatisme engendrés par le tsunami de 2011 sur la côte Est du Japon. L'écriture est sobre, mais les mots disent avec force la réalité et le courage d'une population qui surmonte avec une infinie dignité la perte d'êtres chers et le total dénuement matériel.
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Le 11 mars 2011, dans un petit port de pêche de la région de Sanriku au nord-est du Japon, Yasuo vient déposer sa récolte de wakamés (des algues comestibles) qu'il fait chaque matin à bord de son petit bateau. Arrivé sur la plage, il ressent tout à coup des secousses. Dans la région, les tremblements de terre ne sont pas rares mais celui-ci est d'une intensité inhabituelle.Un phénomène étrange et inattendu se produit alors sous ses yeux : toutes les eaux du port commencent lentement à se retirer juqu'à plusieurs kilomètres de la côte. En observant ce phénomène invraisemblable, Yasuo comprend tout de suite : un tsunami va bientôt déferler. Il faut agir vite, mener les bateaux le plus loin possible et les maintenir à flots quoiqu'il arrive. Sous ses ordres (Yasuo est le directeur syndical des pêcheurs du village), les hommes se pressent.
Dans le village, les sirènes commencent à retentir et les haut-parleurs demandent à tous les habitants de quitter au plus vite leur habitation et d'aller se réfugier sur les hauteurs environnantes. Les bateaux ancrés à plusieurs kilomètres du port, un lourd silence envahit les alentours. Yasuo pressent que quelque chose d'inhabituel va survenir. Les premières vagues au loin arrivent, toujours plus puissantes. Et puis en survient une, haute de plusieurs mètres, d'une force inouïe, qui déferle en direction de la côte et du petit village portuaire.
"Et puis après" (Soshite, Sorekara) de Kasumiko Murakami est un court roman de 100 pages à peine qui rend compte de ce que furent les ravages du tsunami qui toucha en mars 2011 une partie de l'île de Honshu, au nord-est du Japon. C'est à travers le regard d'un pêcheur, Yasuo, que l'auteure décrit tout ce qui déroula avant et après le drame. L'homme est peu causant, plutôt réservé. Aussi, sur le tremblement de terre, sur les regards qui assistent impuissants à la déferlante du tsunami, sur le décor de fin du monde qui se révèle ensuite, sur les pertes en vies humaines, les premiers secours qui s'organisent difficilement ou encore les sentiments des victimes qui ont tout perdu, jusqu'à des proches, Kaumiko Murakami a choisi de les décrire avec parcimonie, avec une économie de mots qui vont tous à l'essentiel et font naître des images, des impressions toutes particulières chez le lecteur. Fallait-il en dire davantage sur ce drame du tsunami ? Une pléthore de mots, de phrases auraient-ils mieux rendu compte de cet évènement hors du commun ? Auraient-ils défait cette part d'indicible qui accompagne une catastrophe naturelle ? Sans doute pas.
Dans ce roman sans pathos aucun, le factuel vient déborder sur les sentiments des personnages (Yasuo, son épouse Tokie, son ami Jôkichi qui va lui narrer ce qui s'est passé sur terre, les victimes, les agents de secours,...), tous sont sous l'emprise de sentiments qui les dépassent et de choix qu'ils ne savent pas ou plus assumer, savoir s'ils sont les bons ou pas. Il faudra aux victimes se défaire de l'instant, renoncer à une partie d'eux-mêmes pour se reconstruire et croire à nouveau pour une part en l'avenir. C'est tout ce que ce roman de Kasumiko Murakami nous dévoile avec en fond, la réflexion qui nous échoit à nous lecteurs, celle de la vacuité de notre temps, de notre société qui nous font croire que nous sommes comme immortels, comme invulnérables face à la nature qui nous entoure.
Un roman à lire avec attention, un texte qui touche à l'intime et à l'universel.
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Lorsqu'il y avait un risque de tsunami, on sortait aussitôt le bateau et on gagnait le large. Cet enseignement était transmis entre pêcheurs dans les villages des environs depuis toujours. Mais on avait beau connaître cet usage, tant que personne ne prenait l'initiative, aucun ne bougeait. Même en sachant qu'en se dirigeant vers le large le bateau était en sécurité, quand le tsunami était sur le point d'arriver il fallait avoir du courage pour se précipiter sans hésitation dans sa direction.
À près de dix kilomètres au large, Yasuo coupa le moteur, jeta l'ancre et se tourna vers la plage, le paysage qui s'offrait à lui le laissa bouche bée. Bon sang ! À l'endroit où s'étendait la plage un instant plus tôt se détachait maintenant un mur noir et luisant. La vue était entravée et l'on ne voyait même plus la salle de réunion qui se trouvait sur les hauteurs. Il avait beau se concentrer, ce mur, plus qu'un corps liquide, faisait penser à la paroi d'un bâtiment.
Comme la vue était dégagée, du terrain de la maison, on apercevait désormais la mer au large et son étendue paisible. Yasuo, le regard fixé vers l'horizon, restait immobile. La mer, qui trois jours plus tôt s'était muée en fauve féroce et menaçant, semblait maintenant s'être relevée d'une fièvre maligne; elle avait de nouveau revêtu sa robe douce et rebondie telle qu'il la connaissait depuis son enfance et venait se jeter sur la plage à un rythme léger. Comme si rien ne s'était passé.
p. 45-46
Yasuo, comme pétrifié, s’était laissé tomber sur le fond du bateau et demeurait incapable de détourner le regard de ce funeste spectacle. N’était-ce pas ça qu’on appelait un cauchemar ? Cela évoquait l’image abstraite d’un éparpillement d’étincelles d’étoiles que l’on croyait percevoir lorsque l’on pressait fort ses paupières de ses poings.
Du fond de ce voile sombre, mêlées au vent, des gouttes d’eau froide venaient lui éclabousser les joues. L’air, maintenant glacial, devenait plus mordant.
Lorsque je me suis rendue à Paris, mes amis m’ont serrée dans leurs bras comme si j’étais une victime de la catastrophe, m’ont dit qu’ils voulaient aider. Dans les cafés, dans les files d’attente au cinéma, au marché, quand on savait que j’étais japonaise, on me disait qu’il fallait que mon pays se relève. Les Parisiennes et Parisiens qui avaient habituellement si mauvaise réputation avaient des visages humains. Et puis après porte aussi ce message : Merci à tous ceux qui se sont inquiétés pour nous, je n’oublierai jamais la gentillesse qu’ils m’ont exprimée à ce moment-là.
Et puis après, de Kasumiko Murakami