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Tanguy Kenec'hdu (Traducteur)
EAN : 9782072888984
352 pages
Gallimard (05/11/2020)
4.5/5   12 notes
Résumé :
En 1970, à quarante-cinq ans, Yukio Mishima, le plus brillant écrivain de sa génération, déjà auteur d'une quarantaine de romans, de dix-huit pièces de théâtre, de vingt volumes de nouvelles et d'essais, trois fois pressentis pour le prix Nobel, horrifiait le monde entier en se suicidant en public par hara kiri : après qu'il eut enfoncé un sabre dans son abdomen et commencé à s'éventrer, un jeune officier qui l'assistait a achevé le rituel en lui tranchant la tête. ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Décidément, ce suicide – non pardon, ce seppuku – de Mishima, à l'instar de la séquence de l'explosion de la tête dans « Scanners » de Cronenberg, est une scène qui ne se laissera jamais oublier. Sa riche bibliographie non plus mais on a parfois l'impression que si ses écrits devaient un jour tomber dans l'oubli, ce combo sabre dans l'abdomen + tête tranchée lui survivra comme l'une des plus spectaculaires mise à mort public.
Et ça se conçoit. Après cet acte que personne n'escomptait, le Japon en fut gravement ébranlé. Cette nation dont les motifs de traumatismes ne manquaient déjà pas et qui devait maintenant composer avec la disparition de son illustre ambassadeur littéraire. C'est ce qui explique peut-être que John Nathan – premier traducteur officiel de Mishima aux States, comme d'ailleurs tous ceux qui ont un jour écrit sur lui – s'y attarde si longuement avec pour conclusion que la vie entière de l'écrivain tend en toute logique vers cette fin.
Possible puisqu'il est connu et reconnu que dès sa plus tendre enfance, Mishima entretenait un rapport quasi homo-érotique avec la mort, les ténèbres et l'abîme.
A 20 ans, il observe que « ma grand-mère et mon père avaient beau me couper les ailes, je pouvais toujours m'envoler vers mon Enfer imaginaire ». Enfer qu'il passera sa vie à chérir malgré une vie artistique et personnelle plutôt sage et rangée. Tout du moins dans ce qu'il laisse à voir car là aussi, il avoue que « la plupart des écrivains ont l'esprit parfaitement sain, et se contentent de se conduire en barbares. Moi, je me comporte de façon normale, mais c'est intérieurement que je suis malade ! »
Cette attirance morbide, John Nathan la place comme élément fondateur de toute l'oeuvre de Mishima dont il dissèque les ouvrages qu'il définit comme « sérieux », à contrario des publications plus ou moins harlequinesques que Mishima écrivait comme une détente face à son oeuvre véritable.
Passant au peigne fin « Les Voleurs », « Confessions d'un Masque », « Une Soif d'Amour » et autre « le Pavillon d'Or » Nathan analyse nombre de données, traquant les indications ayant à son avis poussé naturellement Mishima vers cet épilogue spectaculaire dont le biographe conclue qu'il était en définitive tout sauf inattendu. Marguerite Yourcenar dira d'ailleurs que le suicide de l'artiste n'est autre « qu'une de ses oeuvres et la plus soigneusement préparée ».

Du jeune Kimitake Hiraoka à l'illustre Yukio Mishima, John Nathan retrace le parcours d'un homme décidé dès son plus jeune âge à vouer sa vie à la littérature et dont, malgré la formelle opposition paternelle et les quelques ratages qui émaillèrent le début de sa prolifique carrière, il ne s'est jamais détourné, plus de trente ans durant.
Le premier et peut-être unique véritable amour qu'il connût.

Pour les admiratrices et admirateurs de Mishima et/ou de littérature japonaise, pas question de se priver de ce très sérieux ouvrage sur le souvent considéré comme plus grand écrivain japonais (il est pourtant bien difficile de reléguer Kawabata, Ōe, Akutagawa ou Tanizaki – pour n'en citer que quatre – au second plan, peut-être que pour ceux qui boivent maintenant leur saké directement à la racine des rizières, la mort fut moins spectaculaire) et, par extension, sur ce que le Japon a produit de sublime littérature.

Un grand merci (ça devient coutumier) à Babelio et aux éditions Gallimard, cette réédition était attendue.
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En passionné de Japon et de littérature japonaise, et a fortiori d'admirateur de l'oeuvre traduite de Mishima, la lecture de cette biographie m'était indispensable pour mieux cerner cet homme à la psychologie si complexe…Et je dois dire que si John Nathan, qui l'a connu un temps, signe un livre remarquable en bien des points, le mystère reste décidément difficile à percer.

C'est une grande qualité de cet ouvrage de ne pas faire de raccourcis faciles sur ce qu'on dit habituellement de Mishima : homosexuel, d'extrême-droite, prétentieux, etc…Grâce à un choix de présentation simple, par longs chapitres suivant la chronologie de la vie de l'auteur, de son enfance à sa mort, le conditionnement initial comme l'évolution psychique de Hiraoka Kimitaké, alias Mishima Yukio, sont mis en lumière. Ainsi il est possible d'analyser les relations de Mishima avec les femmes sous le prisme de sa relation affective particulière dans son enfance, tiraillé entre sa grand-mère Natsu et sa mère Shizué. C'est d'abord sa grand-mère qui l'élève jusqu'à l'âge de 11 ans. Femme forte, autoritaire, elle s'accapare Kimitaké, alors même que Shizué et son mari ne s'entendent pas très bien. Kimitaké semble bien aimer ces deux femmes, mais ici comme souvent dans ses rapports avec les autres, il est difficile de déchiffrer ses émotions, si tant est qu'elles existent. le petit a pourtant très tôt une riche vie intérieure, et va dès 12 ans se mettre à écrire. Son talent est repéré à 16 ans, mais son père désapprouve totalement les voeux de son fils, qui veut faire une carrière d'écrivain. Et être le meilleur. Bientôt ses dons littéraires se confirment et le Maître Kawabata Yasunari devient son mentor. le jeune Mishima est obnubilé par une forme d'esthétique de la mort, qui l'obsède. Il a aussi du mal à se sentir exister. Solitaire et bourreau de travail, qui passe toujours avant le reste, il est aussi capable de comportements excentriques et festifs. Il voue un culte à la défense d'un Japon éternel, mais voyage volontiers en Occident et s'habille à la mode occidentale. Ses romans ont une tonalité romantique, il se découvre une passion pour la Grèce et son architecture classique, qui représente si bien pour lui la beauté pure. Par la suite, il se forgera un corps d'athlète en pratiquant la boxe et le culturisme…mais ses jambes restent des allumettes.

La notoriété arrive en 1948 avec Confessions d'un masque, où son homosexualité se révèle. Pourtant, il prendra épouse, et Yôko lui donnera deux enfants. Mais ce mariage se fait dans l'urgence quand on diagnostique un cancer et un mois de reste à vivre pour sa mère…Diagnostic complètement erroné, mais les conventions sont sauves, le voici marié, ce petit homme par la taille qui restera finalement toujours « le garçon à sa maman ». Devenu célèbre et installé, il vit dans une grande maison de style japonais, en bon père de famille et en logeant sur une aile ses parents réconciliés. Mais malgré les apparences, Mishima n'a jamais apaisé ses démons intérieurs. Ils commencent, d'abord discrètement à émerger en 1959, dans son roman fleuve La Maison de Kyôko (non publié en français), qui se teinte de quelques relents extrémistes, puis cette fois clairement dans sa longue nouvelle Patriotisme, qui non seulement confirme ce culte du Japon traditionnel, mais surtout frappe les esprits par la description dans son intégralité d'un seppuku d'un réalisme saisissant et absolument insoutenable. Dix ans avant son propre suicide, il semble annoncer son dessein et pressentir son destin. Pourtant, personne n'aura vraiment vu venir le geste fou de 1970 de cet homme secret, pétri d'obsessions et de contradictions, et bien sûr de talent, talent qui n'aura malheureusement jamais été récompensé par le prix Nobel qu'il faillit obtenir à plusieurs reprises. Mishima aime avant tout faire parler de lui, il veut être remarqué. Il cultive l'ambiguïté et les interrogations sur son identité sexuelle, entre le respect des conventions rigides de la société japonaise et les libérations et modes occidentales qui émergent en ces années 60. Durant cette décennie, Mishima s'assombrit et inquiète de plus en plus, ce qui d'ailleurs nous offre quelques-unes de ses oeuvres les plus marquantes comme le Marin rejeté par la mer en 1963, et évidemment sa tétralogie de la Mer de la fertilité, point final pour celui qui aura vécu toute sa vie pour ressentir la beauté absolue et l'extase dans la sensation de mort.

L'ouvrage est simple dans sa structure, on l'a vu, très sobre, trop peut-être : est-ce un parti pris, on n'y trouvera aucunes photos de Mishima, hormis la célèbre photo de couverture (Mishima en 1965, en costume occidental), là où on s'attendrait à trouver quelques beaux clichés en noir et blanc en pages centrales. En revanche, le lecteur se délectera d'extraits omniprésents d'oeuvres et de notes diverses de l'artiste, et c'est un plaisir immense, tellement le génie se déploie à longueur de lignes. le point très fort de l'ouvrage, donc, est de le lire dans ses réflexions, où l'on découvre que le soi-disant prétentieux doute beaucoup et a une parfaite lucidité de ses travers, comme dans son journal, au cours de l'écriture de la Maison de Kyôko, où il se reproche d'entamer trop fort ses romans et de découvrir son jeu trop rapidement, ou encore de reconnaître que sa nature est portée sur le tape-à-l'oeil. Il existe chez lui une forme de masochisme, on ne sait pas finalement s'il s'aime trop ou pas assez. Son vocabulaire est riche, imagé, personnellement j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire ici, je n'oublie jamais mes lectures de cet auteur. C'est rarement le cas avec les autres, fussent-ils talentueux. Lire Mishima est une expérience à part, tellement il grave votre cerveau de sensations, dépeignant toujours avec une formidable puissance évocatrice les paysages balnéaires notamment, mais aussi les paysages intérieurs de ses personnages. Très prolifique, il écrira une quarantaine de romans, dont une bonne moitié de romans à l'eau de rose publiés en feuilletons, une vingtaine de pièces de théâtre, une vingtaine de recueils de nouvelles. Il reste donc sans doute quelques oeuvres intéressantes à traduire en français.

L'ouvrage est une réussite, John Nathan s'étant effacé le plus possible derrière la plume de Mishima. Cette biographie apparaît honnête, rigoureuse, solide. La préface de John Nathan introduisant cette nouvelle édition est elle-même ramassée, et montre combien il reste impossible de cerner complètement cette personnalité étrange. Yokô, décédée en 1995, et les parents de Mishima sans s'opposer à parler, restent dans une réserve toute japonaise, et on sent bien que des tabous ne seront jamais levés. Quant à la mort théâtrale et terrifiante de Mishima, Nathan avance l'hypothèse que son seppuku est la conclusion d'une « fascination érotique pour la mort » qui le poursuivait depuis l'enfance, dans une sublimation plus érotique que patriotique.

Je remercie Babelio et les éditions Gallimard pour l'envoi de cette biographie vantée comme la référence sur la vie et l'oeuvre de Mishima, et qui tient ses promesses.
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« Il est toujours difficile de juger un grand écrivain contemporain : nous manquons de recul », écrivait Marguerite Yourcenar vers 1979 en ouverture de son livre sur Yukio Mishima (1925-1970). Pourtant la mort en novembre 1970 de l'écrivain entraîne une profusion d'ouvrages. L'homme était extrêmement médiatique, son « geste ahurissant d'autodestruction » (Takeo Okuno cité par le John Nathan) semble quasi anachronique alors qu'au même moment l'Exposition Universelle d'Osaka venait de célébrer la modernité.
La complexité du personnage permet-elle de démêler la-les raison(s) de son suicide et sa violence : entre narcissisme, goût de la mort, patriotisme, homosexualité, folie ? Sans doute pas. Si explication il y a, elle se trouve dans sa vie entière.
La préface rédigée spécialement pour cette nouvelle édition – à l'occasion des cinquante ans de la mort de l'écrivain – est particulièrement intéressante sur la genèse du livre.
John Nathan a entre 1964 et 1966, alors étudiant en littérature japonaise, un peu fréquenté Mishima, sans en être un ami, suite à sa traduction d'un de ses romans. Fin 1971 il accepte le projet qu'on lui propose d'écrire une biographie. Grâce à l'entremise de Yoko Mishima, la veuve de l'écrivain, il obtient les contacts nécessaires pour rencontrer les parents, et celles et ceux qui ont connu Mishima. Il découvrira auprès d'eux un homme mystérieux – personne n'avait la moindre idée du suicide qu'il préparait – qui ne livrait que ce qu'il voulait bien livrer.
Pour John Nathan, le suicide Mishima « relevait davantage du privé que du social, de l'érotisme que du patriotique. » (p.17) Il reconnaît que cette thèse a influencé son approche de l'oeuvre de Mishima
et qu'il a de fait « choisi les romans qui convenaient le mieux à [son] interprétation de sa trajectoire finale. » (p.18)
Nathan rappelle aussi qu'une moitié de la production de Mishima était des romans sentimentaux, populaires, qui pour alimentaires qu'ils étaient, étaient aussi très bien écrits, et qu'ils ne sont quasi pas traduits, alors qu'il appartienne complètement à sa personnalité : « les histoires d'amour qu'il pondait en série peuvent être perçues comme l'équivalent littéraire de ses boutons de manchette et de ses épingles de cravate scintillants ou du buste kitsch d'Apollon qui avoisinait le cadran solaire de son minuscule jardin. » (p.19) (Une seule traduction en langue française de ces romans, Vie à vendre.)
Cette biographie est parue 4 ans après la mort de Mishima, mais seulement en 2000 au Japon, après la mort de Yoko Mishima et après que les ayants droits aient donnés leur accord pour sa traduction.
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L'ouvrage lui-même est très plaisant à lire, fluide, émaillé de nombreux extraits de romans, articles, carnets, analysés pour la démonstration, et riches d'informations, formant le portrait d'un homme attachant, charmeur, talentueux, mais aussi aimant se mettre en scène, provocateur, narcissique. Un homme torturé, qui chercha comment exister entre ses obsessions pour la mort et l'illusion.

Chaque biographe choisissant sa forme, Nathan a opté pour une présentation chronologique, découpant l'existence de Mishima en différentes périodes.
Difficile d'évoquer tout ce qui marqua sa vie personnelle et littéraire...

Parmi les romans sur lesquels Nathan a beaucoup travaillé il y a, publié en 1959, La maison de Kyoto, et dix ans auparavant, Confessions d'un masque : « La maison de Kyoto fut, pour un Mishima ayant passé la trentaine, ce que Confessions d'un masque avait été vers ses vingt ans. Ces deux ouvrages sont des autoportraits et témoignent d'un étonnante connaissance de soi ; ils constituaient intrinsèquement un processus de découverte de soi-même. » (p. 204)

Mishima n'était pas clairement un politique. Mais en 1960 il fait paraître la nouvelle Patriotisme autour d'une tentative de rébellion militaire en 1936 et qui se termine par un suicide rituel. C'est moins le contenu politique que l'idée d'une mort héroïque qui importe et transparaît pour le biographe. Au début des années 60 semble se produire un basculement progressif vers une idéologie d'extrême-droite. C'est de plus, un temps d'épreuves : ses livres rencontrent moins de succès, il perd un procès parce qu''un homme politique s'est reconnu dans un de ses textes, il rompt avec une troupe de théâtre de kabuki avec qui il travaillait depuis dix ans. Mishima trouvait la période d'après-guerre d'un mortel ennui : la paix, ou plutôt l'absence de guerre, et donc d'esprit guerrier, éloigne de la conscience de la mort. Nathan décrit Mishima comme une sorte d'incurable romantique, rêvant de gloire, et surtout de vision de mort érotique.

Au cours de ses années il publie des écrits politiques, mais pour Nathan « c'est une oeuvre d'imagination répondant à un besoin personnel qu'il est difficile d'en prendre au sérieux les implications idéologiques. » (p.249) Pour lui, Mishima cherchait à acquérir une foi avant de mourir, celle des martyrs dévoués à l'empereur, car pour l'écrivain seule la restauration du pouvoir impérial sortira le Japon du marasme spirituel de l'après-guerre.
Nathan, tout comme Henry Scott Stokes dans son livre, « Mort et vie de Mishima », suggère que c'est un contexte érotique qui explique le suicide, le double suicide d'amour de Mishima et de son amant.
Mishima traversa de nombreuses périodes de remise en cause. Mais une choses semble évidente : la conscience très jeune de sa propre mort, comme si elle était acquise et quasi programmée. Ce n'est pas la plume qui pouvait le satisfaire – il le découvre – mais bien le sabre qui lui donne le sentiment d'exister. C'est d'ailleurs en guerrier, en uniforme (celui de l'armée privée qu'il avait créé, financé, formé) qu'il est incinéré.

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Merci encore une fois à Babelio et aux éditions Gallimard.
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Probablement un léger biais sur la dernière partie du livre du fait de la vexation de Mishima après le refus de l'auteur de traduire un de ses romans et l'interruption de sa relation avec Mishima qui en suivi.
La dernière journée est racontée de façon trop brève et journalistique. Mais seul Mishima aurait pu lui donné toute sa saveur...
Marguerite Yoursenar parle de cet acte comme de son dernier chef d'oeuvre. C'était un homme de théâtre, un acteur. Mais ne serait ce pas lui enlever son souhait d'être au moins un instant en train de vivre ? Contradiction. Peut on vivre lorsque le masque colle au visage ?
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Un ouvrage très complet pour connaître le destin de cet auteur japonais aussi génial que subversif en son temps. Cette biographie est doublement intéressante en ce qu'elle permet également de découvrir la société japonaise durant et au sortir de la seconde guerre mondiale. Bref, une référence comme très souvent dans la collection des biographies Gallimard.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Les romantiques japonais édifièrent un ultra-nationalisme d'une complexité fantastique, en vérité impénétrable, où tout ce qui était traditionnel était exalté en un idéal absolu et suprême. Bien entendu, la divinité de l'empereur était article de foi. De même, en corollaire, l'incomparable beauté de la littérature traditionnelle. La beauté des classiques apparaissait comme le reflet et la confirmation du caractère divin de l'empereur, ce qui à son tour – et ceci est important – fournissait une cause qui fut digne qu'on meure pour elle. Non seulement les romantiques étaient obsédés de pureté et de filiation du sang, mais ils aspiraient à la mort. Après la guerre, un critique de gauche caractérisa ces écrivains avec sévérité mais non sans justesse comme « des hommes ardents à se précipiter au front vers la mort, avec sous le bras les grands classiques ».
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11 avril (vendredi)
Le premier chapitre de La Maison de Kyôko n'est pas encore terminé. C'est sans doute dû à ma tentative de réprimer un défaut commun à tous mes longs romans : la tendance, dans les premières pages, à cultiver l'exubérance de certaines ouvertures d'opéra ─ j'essaie donc, cette fois, de commencer de façon plus sobre, avec un brin de nonchalance. Et puis jusqu'à présent, tel un piètre joueur, j'ai toujours fait entrevoir trop tôt la totalité des cartes que j'avais en main. De ce fait, il y a de quoi s'inquiéter pour ce qui suivra. Il me faut donc parvenir, dans la mesure du possible, à bâtir une introduction tout en retenue. Ce qui m'oblige à aller à l'encontre de ma nature portée sur le tape-à-l'oeil.

Mishima en 1959, au début de l'écriture de La Maison de Kyôko (roman publié en français).
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Au cinquantième jour, Natsu l’enleva à sa mère et l’installa, berceau compris, dans sa sombre chambre de malade, en bas. C’est là qu'elle le tint prisonnier jusqu’a l’âge de douze ans, montant une garde jalouse, féroce, hystérique à l’encontre de ses parents et du monde extérieur. Peut-être espérait-elle inculquer à son premier petit-enfant les valeurs qu'elle croyait devoir être les siennes de par sa naissance, non comme à un humble Hiraoka mais à un noble Nagai, ce qui pouvait être une maniére de survivre en lui. Certes, son instinct possessif insensé suggére qu’elle agissait principalement par égoisme, comme si elle eut voulu que quelqu’un partageât le fardeau de ses douleurs physiques, de son humiliation, de son désespoir universel. La sœur de Kimitaké, Mitsuko, et son frére, Chiyuki, furent élevés en enfants de leurs père et mère, Natsu ne s’intéressant nullement a eux.
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Avant méme la dégringolade de son mari, Natsu était d’un naturel hautain, égoiste, promptement dédaigneux et, comme toujours, sujette a des crises d’hystérie. A mesure que déclinait le sort de la famille, son orgueil blessé ne s’en enflamma que davantage en méme temps que sa prodigalité. Elle avait la passion du théatre kabuki, des bons restaurants et dépensait sans compter : jusqu’à la naissance de Mishima, sa principale consolation fut de céder sans frein à ses goûts dispendieux. Pour ne pas arranger les choses, elle souffrait d’une sciatique chronique qui ne faisait qu’empirer et, par moments, des douleurs terribles lui faisaient mener une vie de demi-infirme. Par périodes, quand la douleur physique se relachait, Natsu pouvait être pleine d’entrain et se montrer trés attachante. Elle connaissait le français et l'allemand, lisait beaucoup, débordait d’imagination ; en outre, c’était une conteuse née. Pourtant, la plupart du temps, c’était surtout une femme désespérément malheureuse que les souffrances multiples rendaient d’humeur tyrannique, amére et furibonde.
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Je demeure convaincu que le suicide de Mishima par seppuku a été suscité par une fascination érotique pour la mort avec laquelle, depuis l'enfance, il avait entretenu un rapport de l'ordre du fantasme mais qui, par moments, le terrifiait ; le « patriotisme » quil professait avec une telle ardeur au cours de ses derniéres années continue de m‘apparaitre comme la voie menant au douloureux martyre qui s’inscrit dans le fantasme de toute sa vie. Je ne crois pas forcément que l'ultranationalisme de la fin de sa vie ait été de pure forme. Il me semble toutefois que son suicide relevait davantage du privé que du social, de I’ érotique que du patriotique.
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