Grand-mère l'accueille sur le seuil de la cuisine, avec le regard d'un capitaine de vaisseau monté sur le pont pour recevoir un messager venu du rivage.
Grand-mère exerce sur tout le monde une douce souveraineté et une tyrannie indulgente. « Pour attraper une alouette il faut avoir un miroir – dit Lazlo le Lettré – , pour cuisiner un plat il faut avoir une baguette magique et s'appeler Grand-mère-fée». Le matin, après son retour des courses, casseroles et autres ustensiles semblent apparaître par miracle sur les fourneaux d'une alchimie culinaire.
Elle goûte les sauces, rajoute une pincée de sel, quelques grains de poivre, des feuilles de laurier, un peu de vinaigre, et l'arôme monte de l'âtre ensorcelé, ou seuls des envoûtements ont pu rassembler les effluves et les délices de tous ces savoureux moussakas ou dolmades ou cochons de lait, que suivent des puddings, des soufflés, des strudels, des galettes. Grand-mère garde ainsi non seulement le souvenir, mais également la présence de la plaine où elle est née et dont elle ne se séparera jamais…