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sur 1478 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Sans doute le roman le plus humain que j'ai lu sur la Seconde Guerre Mondiale, d'autant plus poignant lorsqu'on remet en perspective les conditions de sa rédaction, puis de son édition tardive 62 ans plus tard, couronnée par le Prix Renaudot 2004.

Il y a peu de destins qui m'émeuvent autant que celui d'Irène Némirovsky. Prenez seulement deux minutes pour consulter sa fiche Wikipedia, et vous comprendrez à quel point l'on peut être ému à la lecture des "Feux de l'automne" et de "Suite française", ce dernier restant inachevé car conçu comme une série dont seuls les deux premiers tomes ont eu le temps d'être écrits.

C'est pourquoi en ouvrant "Suite française", vous découvrez deux romans pour le prix d'un : "Tempête en juin" et "Dolce", ce dernier ayant récemment fait l'objet d'une adaptation cinématographique avec Michelle Williams, Matthias Schoenaerts et Kristin Scott Thomas en têtes d'affiche. Mais vous limiter au film serait une grave erreur tant le roman est davantage dense. D'autant que "Tempête en juin" est un riche témoignage, quasi journalistique, de la débâcle ayant suivi l'entrée de l'armée allemande dans Paris, et entraîné un exode sans précédent de la population civile française. D'ailleurs, hasard ou hommage discret, au moment où l'on redécouvrait "Suite française" en librairie sortait le film "Bon voyage" de Jean-Paul Rappeneau mettant en scène un scénario proche de "Tempête en juin".

"Suite française" est peut-être le cinquième ou le sixième roman d'Irène Némirovsky que je lis et au-delà de sa parfaite maîtrise de la langue (elle maîtrisait sept langues et écrivait en français) et de son talent de narratrice, je reste surtout touchée par la grande humanité qui transparaît derrière chacun de ses personnages, qu'il occupe le premier plan ou non.

Avec quel oeil critique et ironique l'auteur scrute-t-elle les événements qui l'entourent ? Réfugiée avec son mari et ses deux filles dans un petit village du Morvan, en Bourgogne, vivant journellement dans l'insécurité et le manque de liberté, Irène relate ce qu'elle a elle-même vécu, et ce qu'elle vivra jusqu'à son arrestation en 1942 et sa déportation à Auschwitz où elle sera assassinée parmi tant d'autres.

Ce roman est un coup de coeur ; et s'il y a bien un auteur que je voudrais voir pleinement reconnu et lu à travers les générations, c'est bien elle, la courageuse et talentueuse Irène Némirovsky, morte avant quarante ans, victime de l'inhumanité des hommes. C'est le plus bel hommage que l'on puisse lui rendre.


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Juin 1940 : les Parisiens fuient en masse la capitale bombardée par les Allemands. Il y a la famille Péricand, l'écrivain Gabriel Corte et sa maîtresse Florence, Jeanne et Maurice Michaud et bien d'autres qui s'élancent vers les provinces. « Ainsi, pendant un naufrage, toutes les classes se retrouvent sur le pont. » (p. 40) Quitter Paris, quitter sa vie, c'est éreintant : que faut-il prendre ? Les objets de première nécessité ou plutôt les souvenirs ? Ou plutôt les valeurs et les biens précieux ? Comment être sûr que tout restera en place avant un éventuel retour ? À pied, en voiture, en charrette ou en train, chacun fait son chemin comme il le peut. « Cette multitude misérable n'avait plus rien d'humain ; elle ressemblait à un troupeau en déroute, une singulière uniformité s'étendait sur eux. » (p. 95) Parfois pris dans un convoi mitraillé ou arrêtés en rase campagne sans essence, les fuyards sont tous égaux dans la peur qui, sous la poussée allemande, les pousse sur les routes et qui les expulse de Paris.

Il y a la faim, il y a la peur, il y a l'incertitude. La générosité est soudain un bien qui se vend très cher : chacun vit pour soi dans l'exode et la débâcle. Devant la même menace et l'imminente défaite française, comment préserver la dignité et les apparences ? Et pourquoi ? Alors que certains s'accrochent à leur luxe et à leurs privilèges, la mort fauche à grandes brassées. « En un mot, que les catastrophes passent et qu'il faut tâcher de ne pas passer avant elles, voilà tout. Donc d'abord vivre : Primum vivere. Au jour le jour. Durer, attendre, espérer. » (p. 269) Et les morts ne traînent pas : certaines sont absurdes, d'autres sont hideuses.

Dans la deuxième partie, l'exode a laissé place à l'occupation. Lucile Angellier et sa belle-mère sont contraintes d'accueillir Bruno von Falk dans leur grande demeure. Il en va de même pour Madeleine et Benoît Labarie dans leur ferme. Quelle attitude les Français doivent-ils adopter avec les occupants ? Faut-il composer ? « On a été battus, n'est-ce pas ? On n'a qu'à filer doux. » (p. 452) Faut-il les défier et les mépriser ? « La force prime le droit. » (p. 330) Ou faut-il les accueillir les bras, voire les draps, grands ouverts ? « On nous complique assez l'existence avec les guerres et tout le tremblement. Entre un homme et une femme, ça ne joue pas, tout ça. » (p. 399) Chacun voit l'ennemi à sa porte et choisit son camp. Les occupants, sous leurs terribles habits verts, sont pourtant très courtois. « Il met des gants blancs pour exercer ses droits de conquête. » (p. 374) Mais personne n'oublie que la guerre gronde ailleurs en Europe. « En temps de guerre, aucun de nous n'espère mourir dans un lit. » (p. 359) du point de vue de Lucile, à laquelle la seconde partie s'attache particulièrement, la question est simple : est-il possible d'aimer l'ennemi ?

Ce roman est inachevé : l'auteure a été arrêtée, déportée et exécutée en 1942. Il manque clairement un pan à ce tableau en trois volets. Lire les notes finales, premières ébauches de la main de l'auteure est éclairant, mais j'ai préféré ne pas poursuivre ma lecture et m'en tenir à l'oeuvre partiellement achevée. Il y a quelques destins croisés entre les familles. le texte est surprenant et suit presque au jour le jour l'exode et l'occupation. La guerre est vue de l'intérieur, mais loin des tranchées et sans héros. Les petites résistances ou les premières collaborations n'ont aucun éclat : finalement, le quotidien reste le même, la banalité est juste légèrement ébranlée par quelques coups de canon. Cette Suite française est un roman poignant, au style percutant. Irène Nemirovsky a très largement son prix Renaudot posthume en 2004.
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C'est un roman, mais avec une charge émotionnelle particulière. Disparue à Auschwitz en 1942, Irène Némirovsky a raconté ce que les Français ont vécu quelques mois auparavant : la débâcle, la défaite, l'occupation. Elle n'a eu le temps de terminer que deux livres de sa Suite française : Tempête en juin et Dolce.
Tempête en juin : En juin 1940, les troupes allemandes s'approchent de Paris, deux millions de Parisiens se jetèrent sur la route pour échapper à l'ennemi. Parmi eux, une famille bourgeoise catholique bien-pensante, les Péricand ainsi que d'autres personnages qui, tous, se débrouillent comme ils peuvent.
Un récit presque à chaud de la débâcle de 1940.
Dolce : À Bussy, les habitants doivent composer avec les Allemands et leur « verboten » sous peine de mort. Certains leur vendent des produits à prix d'or, d'autres restent sur leur réserve en songeant aux morts et aux prisonniers.
Lucile et Bruno Falk font connaissance.
Loin d'être un livre manichéen, les Allemands ne sont que des soldats qui font leur métier de soldat, parfois sans états d'âme et les Français ne sont que des hommes et des femmes qui font ce qu'ils peuvent pour vivre le moins mal possible. Bizarrement, la Résistance est absente de ce livre, bien que les paysans aient gardé leurs fusils et que de loin en loin, on entend des émissions de radio interdites.
Une description fine des relations entre occupants et occupés.

Lien : https://dequoilire.com/suite..
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Inutile, je crois, de revenir une fois encore sur l'histoire très particulière de ce texte, miraculeusement échappé à la destruction tandis que son auteure disparaissait à Auschwitz en 1942. En ce qui me concerne, c'est sur Babelio que je me suis intéressé pour la première fois à Irène Némirovsky (et je suis d'ailleurs impressionné de voir à quel point la fréquentation de ce site a guidé et réorienté mes lectures en à peine deux ans, avec un saut qualitatif qui me laisse rêveur).
Si l'histoire éditoriale de ce roman sort de l'ordinaire, son propos n'est pas davantage en reste : Suite française est le récit de l'exode des civils lors de la débâcle française de 1940, suivi de la première année d'occupation du territoire par l'armée allemande. Selon le projet de l'auteure, l'entreprise devait comporter au moins quatre volets, les deux derniers n'ayant jamais été écrits. En l'état actuel, et à tout jamais, l'oeuvre se constitue donc de deux brefs romans (Tempête en juin et Dolce), qui se partagent quelques personnages tout en demeurant indépendants l'un de l'autre. Il est important de préciser que ces romans sont suffisamment autonomes pour que le lecteur ne retire pas de sa lecture la frustration de l'inachevé. Ils sont aussi suffisamment complémentaires pour que l'on conserve le regret de ne jamais connaître la suite.
Voulant connaître un peu Irène Némirovsky avant ma lecture, j'ai appris qu'on l'avait accusée de ce paradoxe : être à la fois juive et antisémite. Cette idée me laisse assez perplexe, je dois bien le dire. Certes, dans les premiers temps de l'Occupation, elle a continué à envoyer ses textes à des revues notoirement antisémites, dont Gringoire. En lisant la correspondance reproduite dans les annexes du roman, il me semble pourtant qu'il n'y avait là surtout qu'une question alimentaire : Némirovsky se démenait pour faire jouer des liens personnels afin de pouvoir nourrir sa famille. Sur le contenu antisémite de ses écrits, je ne me prononcerai pas, tout simplement parce qu'il n'en est pas question dans Suite Française.
Les deux tomes sont de ton et de propos très différents. J'ai également apprécié les deux, quoique pour des raisons différentes : joyeusement corrosif, le premier raconte la fuite éperdue d'une poignée de personnages hors de Paris en juin 1940. Némirovsky déploie ici un rare talent pour dépeindre la petitesse, l'égoïsme et l'étroitesse d'esprit de la bonne bourgeoisie parisienne. Les seuls personnages qu'épargne son ironie grinçante sont des gens de peu : des paysans et surtout un couple de petits employés parisiens au désarroi très touchant. Pour le reste, on savoure la verve de Némirovsky dans sa détestation des grands bourgeois. C'est un véritable régal de méchanceté vacharde, dont Pierre Lemaître aurait pu s'inspirer.
Le second volume, lui, fait le récit des débuts de l'Occupation dans un bourg de campagne. Némirovsky délaisse cette fois la noirceur drolatique pour un tableau psychologique bien plus nuancé : aux yeux des paysans et des notables, ces soldats allemands qui s'installent dans leur village sont certes des ennemis que l'on n'aimera jamais. Mais il apparaît aussi que ce sont des hommes, ni pires ni meilleurs que beaucoup d'autres. Et des liens se nouent malgré tout entre occupants et occupés, liens à la fois circonspects et coupables. L'histoire est moins chorale, s'attachant surtout à un couple de personnages : la belle Lucile et le lieutenant qu'elle est contrainte d'héberger. Relation complexe, faite d'attirance contrariée, entre deux êtres qui croient se comprendre mais pensent pourtant différemment. Difficile de ne pas faire le parallèle avec Vercors et son Silence de la mer (que je dois relire pour approfondir ou pas la comparaison).
Naturellement, il faut être conscient du biais historique que présente ce deuxième volume : en fait de soldats allemands, il n'est question ici que de la Wehrmacht, et on ne trouvera pas l'ombre d'un SS ni d'un gestapiste à l'horizon. Des autorités de Vichy, il est à peine fait mention, et sur la déportation pas un mot. Voilà en somme une occupation qui se montre sehr korrekt... Il est vrai que l'action se situe à la charnière de 1940-1941, c'est-à-dire avant la guerre contre l'URSS, au moment où l'Allemagne est encore persuadée de sa victoire imminente et définitive, et où les exactions nazies sur le territoire français restent limitées. Sans être historiquement faux, le tableau doit donc être replacé dans ce contexte précis. le sujet du livre, cependant, n'est pas là : c'est à la complexité des rapports humains que s'intéresse l'auteure, et au développement d'un réseau de lézardes subtiles dans l'édifice des idées reçues.
Un mois avant d'être arrêtée par la gendarmerie française, sans doute consciente que l'Occupation risque de ne pas rester très korrekt en ce qui concerne sa famille, Irène Némirovsky résume elle-même l'esprit de son entreprise, dans son journal à la date du 2 juin 1942 : « Ne jamais oublier que la guerre passera et que toute la partie historique pâlira. Tâcher de faire le plus de choses, de débats... qui peuvent intéresser les gens en 1952 ou 2052. »
C'est réussi.
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Début de l'Occupation:
d'un côté, c'est l'exode, la peur des bombardements, les rues et les immeubles de Paris désertés et la foule qui parcourt les routes quand les trains ne circulent plus. Ebahissement de ceux qui marchent et espèrent encore, pour les plus aisés, être bientôt accueillis dans un hôtel luxueux ou pouvoir s'offrir de bons restaurants pour soulager leur exil, mais sur la route, tout a déjà été vendu, pillé, mangé, occupé, et il ne reste plus qu'à marcher encore, dormir à la belle étoile, se contenter d'un bout de pain.
Les ponts sont bombardés, l'incompréhension et la peur règnent.
D'un autre côté, les villages occupés par les Allemands, les chevaux réquisitionnés ainsi que les chambres libres qu'un Bruno, Willy ou Siegfried viendra loger pour quelques mois. Mais l'hiver ne dure pas éternellement, la haine non plus, et avec la végétation qui refleurit, le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles, l'abondance des vergers, les villageois - d'abord les jeunes filles et les enfants, puis, peu à peu, les commerçants, les vieilles - commencent à apprécier ces jeunes Allemands à peine âgés de vingt ans, polis et courtois avec qui ils partagent plus d'une bouteille de vin et de photos de famille.
Les deux portraits de l'Occupation allemande que trace Irène Némirovsky sont d'un pur réalisme, l'un présentant un versant cynique et l'autre optimiste des relations humaines en tant de guerre. les saisons qui passent, indifférentes au malheur qui s'abat sur le pays, déroulent le temps et les évènements, le retour après l'exode, les blessures de guerre. Il est assez incroyable de penser que ce long texte ait pu être écrit au moment même de l'occupation tout en ayant un regard déjà si distancié, objectif et sans haine.
Quelle maîtrise et quel sang-froid quand on sait qu'Irène a été déportée en 1942 et connaissait les risques qu'elle courait en tant que juive de confession. On comprend, dans les notes annexes, qu'elle écrit pour les générations futures un roman qu'elle veut intemporel. On y apprend aussi qu'elle voulait aborder le communisme et la résistance, ce qu'elle n'a pas eu le temps de faire.
Si nulle part n'est évoqué le sort de la population juive persécutée et des déportations, le regard d'étrangère que porte Irène sur ces évènements offre un portrait intime et profond de la population française, on pénètre dans leurs maisons et leur famille, leurs sentiments ambigus envers ses envahisseurs qui pourraient être leur fils ou mari.
On ne saura pas ce qu'il adviendra de ces jeunes soldats allemands, roses et souriants, qui prendront un soir la route pour la Russie, mais les notes nous en apprend un peu plus sur le sort que l'auteure réservait aux autres personnages.
En dehors du récit, l'histoire de ce manuscrit enfermé pendant plus de trente ans dans cette lourde valise que les deux fillettes d'Irène Némirovsky ont traînée partout avec elles jusqu'à la fin de la guerre est tout simplement époustouflante, et bouleversante.
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Juin 1940, l'exode. Plus que les faits historiques, ce sont les personnages qui intéressent l'auteure, les vaines mondanités du célèbre écrivain Corté, du banquier Corbin et sa danseuse Arlette Corail, de la famille Péricand subissant, autant que le pauvre couple Michaux, les mêmes bombardements, hôtels bondés, magasins dévastés.

Dans la deuxième partie, un petit village, la cohabitation avec les boches distribuant des friandises aux gosses, la collaboration qui se met en place dans la bourgeoisie et la petite noblesse, le désarroi de la jeune Lucile Angellier dont l'homme est prisonnier, hébergeant un officier allemand raffiné, coupé de sa famille depuis des mois.

L'écriture est classique et très belle et sa vision est excellente, raillant les petites médiocrités, à la recherche de l'essentiel. Ce n'est pas si noir, c'est fort, ça sent terriblement le vécu.

En annexe une émouvante correspondance, les derniers moments de l'auteure arrêtée et déportée en juillet 1942.
Emouvant aussi de comparer l'accueil des réfugiés en 40 avec ce que peuvent ressentir les Ukrainiens.
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Irène Némirovsky a écrit Suite française à la fin de sa courte vie – elle est morte à 39 ans à Auschwitz. le manuscrit n'a été retrouvé et publié qu'en 2004. Ensuite, toute l'oeuvre de cette autrice a été petit à petit redécouverte. J'ai présenté dernièrement le passionnant recueil, Les vierges et autres nouvelles, en partie autobiographique.
Cette édition d'origine de Suite française est précieuse par l'excellente introduction de Myriam Anissimov et du dossier de notes de l'autrice ainsi que des correspondances 1936-1945 permettant de mieux comprendre l'oeuvre.
Irène Némirovsky se trouve aujourd'hui sous les feux de la rampe : plusieurs biographies, des dizaines de traductions, des millions de livres vendus, trois films et de nombreuses pièces de théâtre tirés de ses romans. Une nouvelle version remaniée – selon une dactylographie enregistrée à l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (IMEC) – de cette Suite française vient même de paraître en novembre 2020, avec la première partie, Tempête en juin, corrigée par l'autrice et son mari.
Devenu un véritable classique du XXème siècle, ce roman a fait l'objet de bien des polémiques – du fait notamment de l'absence directe d'analyse et de révolte par rapport à la situation. Cela me fait penser à un autre classique du XXème siècle, 1984 de George Orwell qui, sur un tout autre sujet, a suscité et suscite encore de multiples interrogations, interprétations, critiques ou récupérations.

En exergue, voici ce que dit sa fille Denise Epstein – ce serait par elle que le premier manuscrit a pu refaire surface :
« Sur les traces de ma mère et de mon père, pour ma soeur Elisabeth Gille, pour mes enfants et petits-enfants, cette Mémoire à transmettre, et pour tous ceux qui ont connu et connaissent encore aujourd'hui le drame de l'intolérance. »

Une première partie, Tempête en juin, où elle décrit la débâcle de juin 1940, sorte de tableaux de la panique à l'annonce de l'arrivée des allemands et de l'exode, ceci dans différents milieux.

La deuxième partie, romanesque, intitulée Dolce, a pour sujet la confrontation de la population française avec l'occupant. le récit se termine en juin 1941 – elle n'aura pas le temps de rédiger les trois autres parties prévues, Captivité, Batailles et Paix, étant arrêtée en 1942 par la police française et déportée en raison de ses origines juives –. Les personnages sont bien décrits et très vraisemblables. L'autrice dépeint ce qu'elle voit, très fidèlement, notant les lâchetés, l'hypocrisie et l'égoïsme tel qu'elle les observe. Grands bourgeois dégoûtés par la populace et tentant de sauver leurs bibelots, amant pressé de quitter Paris en famille et pour cela larguant vite fait sa maîtresse, curé convoyant des orphelins, officier allemand cultivé hébergé dans une maison bourgeoise, tentant de séduire la belle fille sous les yeux de sa belle-mère. le tout constituant une fresque réaliste passionnante de l'époque.

Dans ce contexte, les rapports des allemands et des français ne sont pas décrits comme particulièrement terribles. le sort terrifiant des déportés juifs n'était pas connu à cette époque, sinon Irène Némirovsky aurait-elle pu écrire ce livre de la même façon ? En a-t-elle trop vu depuis la révolution russe qu'elle a vécue directement, ainsi que la fuite définitive de son pays ? Introspection pour continuer à vivre face à une enfance malheureuse, des parents riches et égoïstes ? Elle ne juge pas, elle ne se révolte pas si ce n'est dans le mordant de l'écriture !

Ce qu'elle écrit c'est simplement l'effet des évènements sur chaque personnage, le formidable écho des frictions des destins individuels avec les destins communautaires, les réactions de l'homme face à la tragédie et non les faits en eux-mêmes. L'attention d'Irène Némirovsky ne porte pas sur L Histoire, mais plutôt sur les comportements humains. Honoré de Balzac ne procédait-t-il pas de cette façon ?

Les notes et la correspondance en fin de volume sont très intéressantes. Son mari dans l'illusion de la faire libérer argumente sur leur conversion au catholicisme, sur l'antibolchevisme notoire de leur famille (ils ont fui la Russie après la révolution d'octobre). Sans succès..., il sera lui aussi déporté à son tour le 6 novembre 1942 et ne reviendra pas. Les gendarmes ont continué à rechercher ses deux fillettes. Elles passeront plusieurs mois cachées dans la région de Bordeaux. Leur grand-mère avait passé la guerre à Nice dans le plus grand confort. Drôle de milieu et pas étonnant de retrouver ironie et pessimisme chez Irène Némirovsky. C'est un témoignage exceptionnel, par une conteuse de talent, une Suite française que je vous invite à découvrir, de préférence dans l'édition 2004.
*****
En illustration de cette chronique vous découvrirez sur le blog Clesbibliofeel "Stranger in paradise" de la violoniste et chanteuse Ada Pasternak, extrait de son superbe album "Sweet dreams". D'origine russe, elle aussi a du s'exiler et son talent est remarquable !


Lien : https://clesbibliofeel.blog
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Pour soulever un poids si lourd
Sisyphe, il faudrait ton courage,
Je ne manque pas de coeur à l'ouvrage
Mais le but est long et le temps est court .
le vin de solitude par Irène Némirovsky pour Irène Némirovsky

Suite française, roman publié à titre posthume, devait compter 4 parties: l'exode, Dolce, Captivité et Paix? Seules les deux premières parties
Tempête en juin et Dolce ont pu être rédigées , Irène Némirobsky ayant été arrêtée en juillet 1942 et déportée en Pologne .Née Russe et de confession juive elle se savait en grand danger , son époux Michel Epstein fut arrêté quelques mois plus tard .Seules leurs 2 petites filles Delphine et Elisabeth grâce à leur tutrice purent passer à travers les mailles du filet.
Juin 1940, capitulation de l'armée française. Les français sont sur les routes précédant de peu l'entrée des allemands dans Paris .Les riches avec leurs voitures, leur argent, leurs biens les plus précieux, les pauvres le plus souvent à pied car les trains ne fonctionnent plus . Irène Némirovsky nous relate cette période de migration forcée avec une acuité, une analyse au pied levé qui laisse pantois.
Dans Dolce, un petit bourg en zone occupée tout près de la ligne de démarcation voit les allemands arriver, s'installer. Les soldats s'installent chez l'habitant .Un modus vivendi s'installe. L'occupant est tantôt subi haï ou admiré selon. Imaginez aussi un bourg où depuis longtemps il n'y a plus aucun homme à se mettre sous la dent alors un jeune homme en uniforme peut faire tourner bien des têtes occupation ou pas...
Suite française est donc une analyse admirable rigoureuse, sans concessions, sans atermoiements et réaliser que ce texte a été écrit dans l'urgence, dans l'immédiateté me laisse pantoise.
Un roman magnifique, un portrait émouvant et fidèle d'une société dans la tourmente et comme à chaque fois il y a des bons et des méchants, des honnêtes gens et des pourris en fin rien que d'humain, de tristement humain.
Sûr que je n'oublierais ni ce roman ni Irène Némirovsky
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Suite française est un ouvrage très émouvant à lire. En premier lieu parce que l'on sait qu'il est écrit sur le vif, contemporain des événements servant de base aux intrigues romanesques qu'il met en oeuvre. En second lieu et surtout parce que l'on sait que la plume d'Irène Némirovsky est restée suspendue dans l'attente d'une suite qu'elle avait imaginée et qui ne verra pas le jour.

Les notes fournies en annexe de l'édition Folio portent à notre connaissance les réflexions que l'auteure se faisait à elle-même pour parfaire son ouvrage, mais aussi pour lui apporter la suite que les vicissitudes de l'histoire lui dicteraient. Il est encore plus poignant de lire ses notes que le reste de l'oeuvre. On y découvre l'espoir d'avenir qu'elle avait échafaudé pour son ouvrage, et donc pour son pays d'adoption, avec ce plan qu'elle avait envisagé :

« Pour bien faire, se disait-elle, il faudrait faire 5 parties.
1) Tempête
2) Dolce
3) Captivité
4) Batailles ?
5) La paix ? »

L'ouvrage édité à titre posthume, très tardivement par ses filles, est donc partiel, et pour cause. Il ne comporte que les deux premières parties qu'avait imaginées l'auteure. Il est clair qu'en 1941, au temps de la rédaction de son ouvrage, Irène Némirovsky ne pouvait que se perdre en conjectures quant à la poursuite du conflit qui venait de conduire notre pays à la déroute. C'est ce que laisse imaginer les points d'interrogation qu'elle a laissés dans ses notes, escomptant quand même un sursaut - les batailles - qui remettrait son pays d'adoption debout pour enfin retrouver la paix, à défaut de sa superbe. Ce panache qui lui a tant fait défaut depuis le début du conflit et qui laisse au coeur d'Irène Némirovsky une profonde amertume.

Une chose est sure, cette photographie de la société française dans la disgrâce ne sera pas affectée par la connaissance de l'issue de la guerre. Son auteur n'aura pas eu la chance de la connaître. Son actualité est celle d'un pays humilié qui voit encore en Pétain son sauveur. le renégat de Londres n'est pas évoqué. le 2 juin 1942, quelques semaines avant son arrestation, elle écrit dans ses notes : « Ne jamais oublier que la guerre passera et que toute la partie historique pâlira. » Irène Némirovsky sait bien que toutes les guerres ont une fin. Elle est loin d'imaginer l'avenir de ce présent qui la consterne.

Tempête, la première partie, est une compilation d'instantanés surprenant des parisiens dans leur fuite de la capitale devant l'avancée des troupes allemandes. Des parisiens dont le désarroi se traduit par des situations criantes de vérité, mises en scène par l'oeil sévère d'Irène Némirovsky sans doute sans autre modification que les noms des protagonistes. Dénonçant le chacun pour soi qui prévaut, grandement aggravé par les différences de condition sociale et favorisant une fois encore les possédants.

Dolce stabilise l'intrigue dans un village en zone occupée. La France est encore coupée en deux par la ligne de démarcation. Les habitants du village apprennent à vivre avec l'occupant. Avec ce que cette situation comporte de drames mais aussi de fraternisation. Irène Némirovsky n'est pas insensible au destin de ces soldats en uniforme vert-de-gris, parfois très jeunes, eux-aussi dépassés par le drame dont ils sont souvent des acteurs contraints. Déplorant la déroute de notre armée, elle a à l'égard de l'armée allemande une forme d'admiration horrifiée pour cette machine de guerre si bien huilée.

La lecture de ses notes est à ce propos évocatrice de l'état d'esprit qui anime l'auteure à l'heure de la mise au point de son ouvrage : « Je fais ici le serment de ne jamais plus reporter ma rancune, si justifiée soit-elle, sur une masse d'hommes, quels que soient race, religion, conviction, préjugés, erreurs. Je plains ces pauvres enfants. Mais je ne puis pardonner aux individus, ceux qui me repoussent, ceux qui froidement me laissent tomber, ceux qui sont prêts à vous donner un coup de vache. »

Ce coup de vache il est arrivé. Certainement pas de la part de qui ni avec la violence qu'elle pouvait redouter. C'est celui du 13 juillet 1942 lorsque les gendarmes sont venus la chercher en son refuge d'Issy-L'évêque. Ce coup de vache l'a conduite à Auschwitz, avec la fin que l'on connaît quelques semaines plus tard seulement.

Avec suite française nous lisons aujourd'hui l'ouvrage d'une personne qui se sait menacée. Qui a quand même la volonté de mettre en page une fiction-témoignage des événements qui la submergent. Une suite qui n'en aura pas justement, dans ce pays où elle avait trouvé refuge avec sa famille. Où elle pensait avoir enfin trouver la sécurité qui avait fait défaut à son enfance. Mais son refuge l'a trahie. La suite est tragique et honteuse. Elle est à mettre au crédit des autorités françaises. Ironie du sort. Mais ça elle ne l'envisageait certainement pas.

Cette suite qu'Irène Némirovsky n'avait pas augurée est une pensée obsédante tout au long de la lecture de cet ouvrage. Cela nous le fait lire au travers du prisme d'une funeste prémonition.
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Magnifique roman, écrit dans l'urgence sur un cahier et qui a connu une destinée particulière car il a été emmené dans une valise par les filles de l'auteur, après son arrestation et publié bien plus tard.
Magnifique à plusieurs titres: l'écriture est impressionnante de justesse, de précision, de poésie aussi.D'origine juive ukrainienne, Irène Némirovski manie la langue française avec élégance et grande maîtrise.Le sujet de l'exode, durant la seconde guerre mondiale, en France, ( qu'elle a connu) est traité en profondeur, alternant les points de vue de différents personnages, au coeur de cette débâcle sur les routes, au milieu des bombardements. Peu de gens seront épargnés par l'auteur, qui montre bien les bassesses de chacun, les lâchetés et les trahisons.Seul, un couple modeste conservera sa dignité.
Avec lucidité, l'auteur explore l'âme humaine et ce dont elle est capable, dans des circonstances particulières. Un roman implacable et édifiant.
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