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Carlotta Santini (Autre)Marc de Launay (Traducteur)
EAN : 9782251451978
414 pages
Les Belles Lettres (11/06/2021)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Les leçons de l'Histoire de la littérature grecque de Friedrich Nietzsche sont le cours le plus long parmi ceux que le philosophe, alors jeune professeur de philologie, donna à l'Université de Bâle. Organisé sur trois semestres, de l'hiver 1874-1875 à l'hiver 1875-1876, ce cours montre comment ces travaux sur le monde grec ont innervé la pensée du philosophe bien au-delà de son livre sur La Naissance de la tragédie. L'expérience esthétique du monde grec est un phéno... >Voir plus
Que lire après Ecrits philologiques, tome 11 : Histoire de la littérature grecqueVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Les Belles-Lettres, après avoir donné au public une version française des poésies complètes de Nietzsche, ont entrepris de publier tous les cours de littérature et de civilisation grecques qu'il fit à Bâle entre 1869 et 1879 : seuls quelques volumes sont parus à ce jour, sur Platon, sur l'art oratoire en Grèce (Rhétorique), une analyse d'Oedipe-Roi de Sophocle, et enfin celui-ci, qui est une histoire de la littérature grecque, cours donnés pendant les hivers 1874-75 et 1875-76. Ces leçons permettent au jeune professeur Nietzsche de faire la synthèse de ses nombreux travaux philologiques sur des auteurs antiques et des débats savants, comme celui qui agitait alors l'université allemande, la "question homérique".

*

On lira ce volume, bien entendu, si l'on s'intéresse à Nietzsche : que nous apprend ce philosophe (encore en devenir) sur la Grèce ancienne, qui sera présente, centrale et essentielle dans son oeuvre philosophique ultérieure ? La littérature et la culture grecques antiques ne sont pas ici des objets morts et fossilisés : l'esprit grec vit toujours dans la pensée et la culture allemandes du XIX°s (voir Novalis ou Hölderlin), et dans la mesure où Nietzsche philosophe nous parle encore haut et clair, "le Grec en lui" fait de même pour nous, ignares que nous sommes, venus après l'effondrement contemporain des études classiques. Donc "le professeur Nietzsche", attelé dans sa jeunesse à une besogne pédagogique sans gloire, pose en fait les fondements de sa philosophie naissante, qui nous interpelle.
*

Si la Grèce est le pays natal de la philosophie, il a vu naître aussi une culture et une littérature étudiées et transmises pieusement pendant deux mille ans, jusqu'aux années 70 du XX°s. Cette transmission, Nietzsche nous le montre clairement, s'est faite (comme toujours) au prix d'une déformation et d'une réinterprétation des oeuvres originales, dont nous n'avons qu'une idée déformée et souvent fausse. Grâce à son savoir phénoménal, Nietzsche tente de reconstituer l'ambiance, les conditions et les circonstances dans lesquelles ces oeuvres, non encore classiques, naquirent et furent données à un public habitué à la littérature orale, aux concours poétiques, aux déclamations, et surtout, à la musique et à la danse. Il ne nous reste plus rien que des textes écrits, le reste, éphémère magie de la représentation ou de la joute, ayant disparu.

*
Ainsi, comme l'observe Thibaut Gress, dont je reprends le texte :
" L'expérience esthétique du monde grec est un phénomène d'une extraordinaire complexité, dont l'implacable étrangeté devient palpable quand on la confronte à la vision moderne. « Littérature », « classique », « originalité », « auteur », voilà des catégories qui ne peuvent s'appliquer directement à l'expérience esthétique du monde ancien. le malentendu le plus considérable est l'idée même de « culture », telle que nous la connaissons aujourd'hui, liée à la transmission, la conservation et l'accumulation du savoir grâce aux outils de la lecture et de l'écriture. Deux notions de l'art et de la culture s'opposent : d'un côté, une pratique ancienne fondée sur l'oralité, sur le rapport étroit entre l'artiste et son public, son époque, sa cité ; et, de l'autre, la notion moderne de l'homme cultivé, issue d'une éducation littéraire, qui se fonde sur l'étude des textes, des « classiques », des Anciens, de ce qui s'est mué en « tradition ».

*
Alors, même avec des connaissances minimales de la littérature grecque, on sera souvent bouleversé par le grand nettoyage que Nietzsche opère dans la culture académique. Aborder littérairement la prose historique et philosophique, par exemple, est un changement de perspective remarquable. Nietzsche fait proprement revivre les Grecs.
*

Aujourd'hui, après la disparition de l'homme cultivé, de l'éducation littéraire, des classiques, les cours de Nietzsche sur la littérature grecque nous viennent d'un univers disparu où le débat était encore possible.

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Que dire de plus après l'excellente critique d'Henri L'Oiseleur ?
Pas grand chose, si ce n'est être d'accord et applaudir à l'analyse et à la présentation de ce très beau volume de l'édition de tous les cours de Nietzsche.
On y découvre le professeur, et déjà la masse terrible de travail qu'il abattait pour ses élèves et sa culture propre.
Lecteur des classiques grecs et latin, il est à même de restituer un panorama complet de la littérature grecque, telle qu'on la voyait à son époque. Ou plutôt telle qu'il la voyait, rétablissant la "vérité" auprès de ses étudiant, idée qu'il ne cessera de marteler dans tous ses livres: nous ne comprenons plus les grecs et ne les avons jamais compris. Ils nous sont parvenus déformés, pervertis ou nimbé d'un prestige et d'un classicisme issu de la renaissance. Il faut se replonger dans l'histoire, dans l'origine de ces écrivain, dans la vie de leurs oeuvres pour saisir la véritable nature de ces textes que nous lisons... Ou plutôt ne lisons plus, car qui lit encore le grec aujourd'hui ?
Imagine-t-on en effet des étudiants suivre ce cours de premier cycle ?
Bref, ce n'est pas le débat.

On peut lire ce livre comme un précis de littérature, ou en y cherchant les prémisses du Nietzsche de la Naissance de la Tragédie. Ou les deux !
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
La littérature classique des Grecs n'est pas apparue en fonction de lecteurs : c'est ce qu'elle a de plus spécifique. Les oeuvres classiques n'ont pas du tout été conçues comme constituant une littérature : c'était au départ une sorte de méconnaissance du fait qu'elle serait plus tard considérée comme purement littéraire et qu'elle jouerait, sur un mode livresque, le rôle de base d'une culture.

Les auteurs qui écrivent pour des lecteurs s'imaginent un public idéal, ici ou là, et qui peut surgir longtemps après la mort de l'écrivain : c'est véritablement ce qu'il y a d'excitant dans toute activité littéraire, le stimulus sans lequel aucun effort n'est possible - que l'on pense aux journalistes ; une possibilité tout à fait foisonnante d'influencer, d'exercer par après des effets. On déplore le mime qui n'est qu'instantané, dont l'art n'a pas de postérité.

Or la littérature classique des Grecs est, comme l'art du mime, destinée à l'instant, à l'auditeur et au spectateur présents, sans considération de la postérité (ou seulement de manière médiate). Un hymne homérique, un chant de choeur composé par Pindare, une tragédie de Sophocle, un discours de Démosthène doivent satisfaire un public bien défini et unique : ces oeuvres sont créées en fonction de cet effet-là. Il ne s'agit pas d'un public idéal indéterminé. En même temps nous y constatons une articulation des différents arts, du moins celui de la représentation et de la déclamation, mais aussi, par ailleurs, la musique, le chant, l'orchestique. On fera plus tard abstraction de cette union des arts lorsque l'on érigera les oeuvres littéraires purement classiques en canon, et en les destinant à un lectorat.

C'est donc en un double sens que l'on a méconnu plus tard les oeuvres de la langue grecque (Kunstwerke der Sprache) : 1) on les a détachées de leur occasion spéciale, de leur public particulier, et on les a considérées comme si elles eussent été composées pour un public indéterminé ; 2) on les a détachées des autres arts qui en faisaient partie et on les a prises comme si elles avaient été rédigées pour des lecteurs. Zénon le Stoïcien interroge l'oracle : que devait-il faire pour vivre de la meilleure manière ? La réponse qu'il reçoit est celle-ci : "en t'appariant aux morts". Il a compris qu'il devait lire les Anciens. L'aspect non naturel est fortement souligné, de même la prise en considération d'une littérature déjà reconnue pour être classique et formatrice.

pp. 246-247
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Prose et poésie (dans leurs différences).
En général, l'expression /légein kai aeidein/, dire et chanter, /logos kai aoidê/, discours et chant, désigne la différence entre prose et poésie, donc selon la technique de présentation (...) Prose : /logos/ (discours), /logographos/, le logographe, celui qui écrit des discours /katalogadên/ en prose. Plus tard, /poiein/ (faire, créer) devint le terme pour désigner l'activité créatrice du poète ; poiêtês, poète, poiêma, poème sont apparus seulement chez les Attiques auxquels Hérodote se rattache. La période plus ancienne ne connaît que des termes comme aeidein, chanter, aoidos, chanteur, rhaptein aoidên, chanter des rhapsodies ... Puis poiein (faire, créer) est utilisé pour désigner les différents genres de l'art : epopoios (poète épique), elegeiopoios (poète élégiaque), iambopoios (poète iambique), epigrammatopoios (poète d'épigrammes), melopoios (poète mélique), tragôdopoios (poète tragique), kômôdopoios (poète comique) : c'est ce que l'on trouve chez les meilleurs écrivains. Les formations avec le suffixe -graphos (écrivain) sont tardives. Car l'écriture est une caractéristique essentielle des prosateurs travaillant pour des lecteurs ; ce qui n'est pas le cas des poètes qui pensent à des auditeurs... La prose s'appelle /pezos logos/, discours qui va à pied : elle va à pied, tandis que le poète est au-dessus et avance sur son char ; l'image du char est déjà connue d'Homère ... d'où la formule usuelle (Odyssée VIII 500) /enthen elôn/ (en roulant à partir de là). Pindare emploie /ela/, il roula, pour /lége/, dis. On trouve souvent /arma Moisan/ (char des Muses) chez Pindare, chez Empédocle, et, chez Parménide, une grandiose ouverture lorsqu'il dirige, conduit par les filles du Soleil, ses chevaux et son char vers le temple de la sagesse.
pp. 62-63
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[L'écriture de l'histoire]
De tous les auteurs cités, Hérodote compris, on peut dire qu'ils sont les descendants des poètes épiques, et surtout dans leur intention de tendre à l'exposé oral et de se distinguer dans la joute : ils écrivent pour être lus devant un public choisi et en être honorés. Ce qui les exclut aussitôt du rang des rédacteurs de chroniques. Ils veulent divertir et plaire (...)
Que s'ensuit-il d'un exposé face à un auditoire, surtout un public de l'endroit ? Il s'attend à un texte si possible cohérent, dont la conclusion est si possible satisfaisante ; il désire si possible quelque chose d'extraordinaire ; il suffit de voir l'état d'excitation des gens dans l'Odyssée quand quelqu'un a raconté une histoire : ébranlement et larmes sont fréquents. Il désire que soit magnifiée la cité à laquelle il appartient, les héros du lieu ; il veut la justification des actions de sa cité, leur enjolivement. Il veut croire que tout cela a bien été réel, donc une description aussi exacte que possible, aussi précise que si l'on avait assisté aux évènements. Il a sa propre vision des affaires morales, et veut donc que le déroulement du récit corresponde à cette croyance. - C'est l'atmosphère au sein de laquelle est apparu l'art historien dans le style d'Hérodote. Je décris ici la situation la plus ancienne. On se trompe ... surtout si on imagine, chez les plus anciens historiens, un mode d'exposé qui eût été celui, sèchement érudit, des chroniques. Non, il s'agit de la continuité de l'epos et du style ionien de la nouvelle ; le premier historien, Hécatée, apparaît comme un maître du récit. Ces historiens ne sont pas des esprits qui se sont développés dans leur cabinet d'étude ; ce sont des gens qui ont beaucoup voyagé, qui savent écouter, observer, et interroger, et qui, leur vie durant, se sont exercés au récit et à l'écoute des récits. C'est précisément cela, l'/Historia/.
pp. 210-211
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Les leçons de l’Histoire de la littérature grecque de Friedrich Nietzsche sont le cours le plus long parmi ceux que le philosophe, alors jeune professeur de philologie, donna à l’Université de Bâle. Organisé sur trois semestres, de l’hiver 1874-1875 à l’hiver 1875-1876, ce cours montre comment ces travaux sur le monde grec ont innervé la pensée du philosophe bien au-delà de son livre sur La Naissance de la tragédie. L’expérience esthétique du monde grec est un phénomène d’une extraordinaire complexité, dont l’implacable étrangeté devient palpable quand on la confronte à la vision moderne. « Littérature », « classique », « originalité », « auteur », voilà des catégories qui ne peuvent s’appliquer directement à l’expérience esthétique du monde ancien. Le malentendu le plus considérable est l’idée même de « culture », telle que nous la connaissons aujourd’hui, liée à la transmission, la conservation et l’accumulation du savoir grâce aux outils de la lecture et de l’écriture. Deux notions de l’art et de la culture s’opposent : d’un côté, une pratique ancienne fondée sur l’oralité, sur le rapport étroit entre l’artiste et son public, son époque, sa cité ; et, de l’autre, la notion moderne de l’homme cultivé, issue d’une éducation littéraire, qui se fonde sur l’étude des textes, des « classiques », des Anciens, de ce qui s’est mué en « tradition ». La dialectique entre oralité et littérature nous parle de deux mondes en conflit, dont chacun a ses propres lois, nées d’une nécessité historique. Finalement, qu’apprend-on des Anciens ? Voilà la question capitale de ces leçons. La réponse ne se trouve pas dans un savoir positif, ou dans une pratique savante. Les Grecs nous enseignent leur différence irréductible, et c’est pour cela qu’ils sont pour nous les maîtres du savoir le plus risqué.
Thibaut Gress, ActuPhilosophia, juin 2021.
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Le terme de littérature.
Littérature : apparaît une fois chez Tacite (Annales, 11-13), équivalent d'alphabet. Sinon, le terme désigne l'art de lire et d'écrire, c'est la traduction de /grammatiké/. Quintilien II-1 "Grammatice, quam in latinum transferentes litteraturam vocaverunt" (la grammaire, qui dans la traduction latine a été appelée littérature). Sénèque, Lettre 88, "prima illa, ut antiqui vocabant, litteratura, per quam pueris elementa traduntur" (les premiers rudiments du langage qui sont donnés aux enfants, les Anciens les appelaient littérature). Important, Cicéron, Philippiques (II-116) sur C. César : "fuit in illo ingenium, ratio, memoria, litteratura, cogitatio, diligentia" (il avait du génie, de la finesse de jugement, de la mémoire, de la familiarité avec les lettres, de l'acuité, de l'application assidue). Ici on comprend le terme comme savoir livresque, connaissances des textes ; mais le meilleur codex, le Vaticanus et VIII° et IX°s, lit "littere cura", c'est-à-dire "litterae, cura" (soin des lettres, ou bien lettres, soin). C'est de ce passage que provient sans doute l'usage du terme dans l'acception "savoir littéraire". Tout comme l'usage d'encyclopédie remonte à un passage altéré de Quintilien I-10, /enkuklios paideia/, mais de mauvaises copies suivies par H. Stephanus* comportent /enkuclopaideia/ qui n'est pas un mot existant, tout aussi peu de /monologos/ (monologue),
/biographia/ (biographie).

*Henri Estienne, éditeur humaniste du XVI°, qui publia des classiques grecs à partir de manuscrits de mauvaise qualité.
p. 48
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