Orage sur La Provençale

Une bouffée d'air brûlant, chargé de parfums, s'engouffra dans la voiture.
La note boisée des chênes kermès, celle de la terre chauffée par le soleil, des cistes et des genévriers, du thym rouge, du laurier, du romarin s'entremêlaient, renforcées parfois par l'effluve plus âcre des cyprès.
Alexandra ferma les yeux. Dès sa plus tendre enfance, son père lui avait appris à identifier les caractéristiques olfactives de chaque espèce végétale.
Au fil du temps, son odorat s'était développé, affiné, elle avait réuni les qualités requises pour être un "nez". Mais la vie en avait décidé autrement ...

- Il existe sept grandes familles de compositions parfumées.
Chacune d'elles est subdivisée en sous-catégories répondant à un mode d'extraction particulier.
La première regroupe les hespéridés. Ce sont les senteurs d'agrumes ou de bergamote.
La seconde correspond aux dominantes florales, telle la lavande, la tubéreuse ou la rose.
Ensuite viennent diverses variétés de fougères, aux notes épicées, puis les chyprées, aux odeurs de mousse, les boisés, santal, cèdre, patchouli, vétiver.
Les ambrés, eux, libèrent de délicieuses fragrances chaudes et poudrées d'Orient et sont souvent vanillés.
Enfin, les cuirs évoquent l'odeur du tabac, de la peau.

Alexandra avait une prédilection pour les bouquets colorés, il comprenait pourquoi maintenant. En Provence, le blanc se faisait tout petit devant l'électricité des bleus, l'infinie variété des verts, la luminescence des jaunes, la volupté des rouges, l'impertinence des roses, la profondeur des ocres.
En Afrique aussi les couleurs tonnaient, mais l'humidité ambiante les alourdissait d'une mollesse voluptueuse. Ici, le mistral asséchait tout sur son passage, libérant la quintessence des vibrations colorées, aiguisées comme des épées.

Alexandra se tenait debout devant la grande baie vitrée qui donnait sur les champs de lavande. Elle s'était servi un second café (...) Elle ne parvenait pas à mettre ses idées en place.
Elle avait peur. Peur de tout perdre. Peur surtout de perdre Baptiste.
La mort s'imposait chaque fois que sa vie prenait une voie nouvelle.
Elle était marquée par la mort. Une malédiction pesait sur elle.
Sa mère n'avait-elle pas crié tout à l'heure qu'elle était maudite, comme si elle portait sur elle une faute inavouable qu'elle aurait transmise à sa descendance ?

Au diable la prédiction !
Une coïncidence. Oui, ce n'est qu'une simple coïncidence.
Qu'est-ce que Julien a manigancé ? Sa mère est-elle au courant ?
Julien se serait-il débarrassé de Yann Salque parce que le journaliste avait découvert quelque chose sur La Provençale ?