Né en 1825 et mort en 1886,
Alexandre Ostrovski est souvent présenté comme le véritable fondateur du
théâtre russe, auquel il va fournir un répertoire d'environ cinquante pièces. Fils d'un avocat au tribunal de commerce de Moscou, dans lequel il va travailler par la suite, il a l'occasion d'observer l'univers et les moeurs du monde des marchands, qui va lui offrir le décor de la plupart de ses pièces. Ses débuts d'auteur dramatique sont difficiles, sa première pièce Entre proches on s'arrange, est interdite par la censure tsariste, à cause entre autres de son grand réalisme. Ostrovski met en évidence deux traits de l'univers qu'il décrit : le manque de probité des marchands, pour lesquels la malhonnêteté dans les affaires est non une tare, mais une qualité indispensable pour réussir, et la dureté des relations familiales. le modèle traditionnel patriarcale qui règne dans les milieux qu'il dépeint est très cruel et très rétrograde. Son
théâtre s'impose progressivement sur les scènes de son pays, même si certaines de ses pièces sont censurées, et à la veille de sa mort il est nommé au poste de directeur du répertoire des
théâtres impériaux de Moscou. Il semble toujours très joué en Russie, même si sa renommée n'a pas beaucoup franchi les frontières, il est surtout connu pour sa pièce La tempête, en partie parce qu'elle a été adaptée en opéra par Leoš Janáček sous le titre de Katia Kabanova.
La forêt, une des pièces les plus importantes d'Ostrovski, a été publiée et jouée pour la première fois en 1871. Nous sommes en province, chez une riche veuve, Raïssa Pavlovna. Elle a recueilli une jeune fille, Aksiucha, à qui elle veut faire épouser, Aleksei, le fils d'une de ses amies, pauvre lui aussi. Mais Aksiucha aime Piotr, le fils d'un marchand des environs, avec qui Raïssa Pavlovna est en affaires. Arrive soudainement son neveu, à qui elle doit une part de son héritage, il s'est fait comédien, ce qu'il cache soigneusement à sa tante. Cette dernière se fait voler par le marchand à qui elle venait de vendre un morceau de forêt, mais son neveu récupère l'argent dû. Mais Raïssa Pavlovna dévoile ses batteries : elle s'est mise d'accord avec Aleksei pour se marier avec lui, malgré la différence d'âge, et elles s'apprête donc à chasser Aksiucha sans la doter, ce qui est la condition que met le père de Piotr pour autoriser le mariage des jeunes gens. Aksiucha, enceinte, au bord du désespoir, balance entre le suicide et un départ avec les comédiens. Mais son frère la sauve : il arrache sa part d'héritage à Raïssa Pavlovna, qui aurait bien aimé le garder, et en fait cadeau à Aksiucha, en repartant aussi pauvre qu'il est venu.
La pièce est incontestablement d'une grande efficacité, et d'une vraie puissance dramatique : l'intrigue s'emboîte parfaitement, et la pièce contient une succession de scènes fortes, avec une charge émotive réelle. On pourrait toutefois trouver un manque de subtilité, en particulier dans les personnages, Raïssa Pavlovna est à proprement parler monstrueuse, d'égoïsme, de volonté de dominer. le père de Piotr, insensible et malhonnête, n'a presque rien d'humain. Mais c'est un peu le principe de ce
théâtre, de dessiner des personnages un peu extrêmes, des caractères en somme. Sans doute un peu univoque, il doit être difficile de multiplier des lectures différentes de ce texte. Même si l'univers le décor, est un peu proche, nous n'avons pas les clairs-obscurs que
Tchekhov va y mettre.