Pourquoi, en allant jusqu'au bout de ma pensée, ai-je toujours l'impression de trahir ce que j'aime le plus au monde et de me trahir moi-même sans que cette trahison soit "évitable"? Si vous sentiez toute l'angoisse vécue et à vivre dont ce pourquoi est chargé, vous essaieriez de répondre, mais il n'y a pas de réponse possible. C'est en soi que l'on porte l'opposition la plus dangereuse.
La vie répond — ce n’est pas vain
on peut agir
contre — pour
La vie exige
le mouvement
La vie c’est le cours du sang
le sang ne s’arrête pas de courir dans les veines
je ne peux pas m’arrêter de vivre
d’aimer les êtres humains
comme j’aime les plantes
de voir dans les regards une réponse ou un appel
de sonder les regards comme un scaphandre
mais rester là
entre la vie et la mort
à disséquer des idées
épiloguer sur le désespoir
Non
ou tout de suite : le revolver
il y a des regards comme le fond de la mer
et je reste là
quelques fois je marche et les regards se croisent
tout en algues et détritus
d’autres fois chaque être est une réponse ou un appel
Sachez le, j'ai horreur de l'apitoiement et - même actuellement - je ne me sens nullement pitoyable et même actuellement il m'est impossible d'envier aucun être au monde. J'envie peut être une chose, un état, c'est la santé -cela oui - Et encore! Mon mal est si profondément lié à ma vie qu'il ne peut être séparé de tout ce que j'ai vécu. Alors? Peut-être est-ce encore une de ces malchances qui se muent en chance.
Qu'est-ce qu'une conviction non prouvée ? Une certitude qui ne passe pas dans les faits ? Une solidarité verbale ?... La pensée entrave le geste et on reste là coincée. La pensée ? Pendant qu'on pense restent les faits, l'histoire, les hommes et leurs langages antinomiques. Finalement on reste là les mains bien propres devant une page toute blanche.
Les lettres de Laure n'ont pas de ciel. "Je me sais si égoïste, écrit-elle, que le doute le plus affreux est d'aimer égoïstement ... aimer parce qu'on se plaît à aimer. Dis moi là aussi se retrouve-t-on soi!"