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EAN : 9782021170375
386 pages
Seuil (08/01/2015)
4/5   4 notes
Résumé :
Ce livre constitue une tentative originale de construire une "phénoménologie des nourritures", en partant d'intuitions de Levinas sur les dimensions qui inscrivent l'existence individuelle dans un "vivre-de" : dépendances à l'égard du monde, des aliments, d'autrui, qui rompent avec toute image du sujet maître et autonome au profit d'une subjectivité toujours prise dans des relations. Cette philosophie du corps implique de réviser l'approche de "l'être-là" étrangemen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« Nourritures » est le titre paradigmatique d'une philosophie de l'écologie en profondeur. Celle-ci remonte en effet à notre relation existentielle au monde, qui est « vivre de ».
Corine Pelluchon tente explicitement de dépasser la philosophie dite « Ecologie profonde » (Deep Ecology) initiée dans les années 70-80 par le philosophe norvégien Arne Naess, notamment à travers son livre « Ecologie, communauté et style de vie »

Hicham-Stéphane Afeissa, traducteur du livre de Arne Naess estimait que cette philosophie était restée « lettre-morte ». Luc Ferry, dans un style kantien jusqu'au-boutiste, se déclarait horrifié et criait au fascisme. Corinne Pelluchon, également d'obédience kantienne mais pas seulement, reste en froid avec « l'écologie profonde », mais en tentant une approche originale.

Ces deux lectures de notre relation au monde ont non seulement pour vocation à se traduire sur le plan politique mais aussi sur le plan individuel de façon tout à fait originales. Signalons en effet que Corine Pelluchon fait le lien de sa phénoménologie des nourritures vers les questions spécifiques de l'anorexie et de la boulimie, et que Arne Naess faisait le lien vers le plan individuel par l'approche connue sous le nom de « gestalt-thérapie ».

Les deux approches, la phénoménologie et la théorie de « Gestalt », ont l'objectif de décrire l'expérience vécue. La première, suivie par l'auteure, a prioritairement une prétention scientifique, marquée par Edmond Husserl, et même si l'auteure s'en écarte et la radicalise, elle conserve néanmoins l'objectif de trouver des faits « universalisables ». La seconde, suivie par Arne Naess, a prioritairement une dimension subjective à laquelle l'auteur donne une portée philosophique.

La première approche, phénoménologique, permet à l'auteure de passer d'une compréhension d'éléments structurant nos existences à une réflexion sur les institutions politiques et une théorie de la justice. Cette première approche développe en priorité la dimension nationale et secondairement les dimensions locales et cosmopolites. La seconde approche, suivie par Arne Naess, propose aux activistes une méthodologie, afin d'être plus pertinents dans leur relation avec les politiques et les économistes. Cette seconde approche développe en priorité une dimension locale et sans frontières.

Pour comprendre comment fonctionnent ces deux approches complémentaires, il faut rappeler que l'auteure s'intéresse prioritairement à la vie rurale et aux espèces domestiquées alors que Arne Naess s'intéresse prioritairement à la vie sauvage et à sa biodiversité. Corine Pelluchon considère d'abord la condition des animaux selon notre relation à eux (anthropocentrisme), alors que le philosophe norvégien évoquait « une égalité biosphérique de principe ». Corine Pelluchon cherche prioritairement à détacher des catégories animales, supposées homogènes, pour régler leurs conditions par la justice, alors que Arne Naess reconnaît a priori que les personnes affectées par des situations affectant la biosphère, peuvent se saisir elles-mêmes du problème, en bonne intelligence.

Pourquoi faut-il d'ailleurs déployer tant de trésors de la pensée pour venir à bout des enjeux écologiques ? Après tout, cette perception des enjeux ne fait que manifester notre empathie animale, celle-là même que l'éthologie met en évidence, et que nous pouvons sentir sans qu'il y ait besoin d'en faire un objet intentionnel de la conscience, ou de faire la part exacte entre le cognitif et le pathique. Cette empathie animale, qui est originaire dans la phénoménologie des nourritures, rappelle aussi le processus d'identification qui se trouve au coeur de l'écologie profonde chez Arne Naess.

Les trésors de la pensée mobilisés autour de l'écologie, sont précisément ceux qui ont permis de développer de tels niveaux d'abstraction, qu'il n'y a plus de rapport immédiat, par exemple, entre un certain steak haché dans notre assiette et certaines pratiques d'élevage et d'abattage en périphérie des villes, de même entre le pot de pâte à tartiner d'une certaine marque et les forêts de Bornéo abattues pour produire l'huile de palme.

Deep ecology or shallow ecology, that is the question. Par nature, la question de la profondeur est une question de degré, mais c'est à chacun d'en faire l'expérience. Il y a tant de possibilités, comme celle qui permet de trouver une alimentation savoureuse qui ne soit pas nécessairement carnée, ou plus généralement une alimentation savoureuse et responsable.

Penser écologique, pour l'auteure comme pour Arne Naess, c'est penser joyeusement. Il n'y a pas de rupture, entre le goût et plus largement la jouissance de la vie, et l'éthique. « Vivre de » la nourriture produite par les autres c'est engager sa responsabilité avec les autres au sens large, des animaux d'élevage jusqu'à ceux qui, à leur tour, vivent de ce travail, même lorsqu'on ne les rencontre pas en chair et en os. Depuis sa naissance, « L'intersubjectivité et, même, le lien intergénérationnel sont inscrits au coeur du cogito engendré, en son sein, dans sa chair ». le nouveau-né témoigne de la générosité de la nature en gloutonnant au sein de sa mère. C'est encore cet élargissement de Soi que Arne Naess visait par la norme primordiale « Réalisation de Soi !». (Une personne est un noeud relationnel)

Il y a un rapport à la vie, qui permet ou pas, de dépasser toutes les formes d'« obsession du pouvoir », qui sont impliquées dans les formes variées des philosophies de la liberté. L'auteure pousse la démonstration avec la philosophie de Martin Heidegger, avec lequel on éprouve le sentiment d'être jeté dans un monde hostile où la peur et l'envie domine (sentiment de déréliction). Elle évoque également l'expérience décevante de la vie devant un en-soi-des-choses inatteignable, qui est l'expérience du monde kantien. Corine Pelluchon éprouve sans doute une tendresse très particulière à l'égard de Kant, pour ne pas évoquer également son horreur du « goût barbare », son dégoût devant une mère qui berce son enfant, ou devant des « gens du commun qui jouent avec leurs enfants comme avec des singes », son dégoût lorsqu' « ils chantent devant eux, les pressent sur leur coeur, les embrassent et dansent avec eux. », etc…Pas étonnant que certains, comme Nietzsche, aient senti dans l'impératif catégorique, au fond du kantisme, « un relent de cruauté » .

Il est peut-être pragmatique de ne pas creuser au fond des croyances qui poussent ces philosophes à répéter la même chanson « Je ne suis pas un animal », mais plutôt de diversifier les expériences qui permettront de regénérer ces croyances.

Songeons à la souffrance des animaux dans les conditions de l'élevage industriel et dans certaines traditions également cruelles. Songeons maintenant à « l'enfouissement de la pitié », que ces pratiques impliquent, la réification (chosification) du vivant, et ses conséquences à la longue sur les rapports humains.
Il est clair que le végétarisme est la seule philosophie qui permet de modifier radicalement cette expérience. Il est clair aussi que beaucoup (comme Kant) se déclarent opposés à la cruauté contre les animaux sans que ça change quoi que ce soit, notamment parce que ces pratiques cruelles sont abstraites par la distance qui les sépare des êtres en chair et en os.
L'activisme pour le droit des animaux est, pour l'auteure de ce livre, une alternative concrète. Elle s'inspire en particulier du livre « Zoopolis, une théorie politique du droit des animaux », avec l'idée de droits des animaux différenciés selon nos relations différenciées avec eux, prenant en compte notamment la vulnérabilité des animaux domestiqués.
Néanmoins, ce livre n'insiste pas assez sur le fait qu'on ne peut parler de droit universel que si les conditions d'accès à ce droit sont universelles. On n'y parle pas non plus de certains effets indésirables comme celui de créer une zone de confort pour les industriels jusqu'à la limite du droit, en contradiction avec d'autres formes d'activisme. La nouvelle situation pourrait même encourager les acteurs de la filière à se concentrer précisément sur la frontière du droit, pour rester compétitifs, tant que l'alimentation reste une marchandise comme une autre.

L'auteure souligne assez les aberrations de la marchandisation de la nourriture, jusqu'à provoquer la faim dans le monde, ou la faillite des agriculteurs, alors que le monde entier produit assez de nourriture pour tout le monde. Sa réflexion écologique est intéressante dans sa dimension micro-économique, notamment avec Amartya Sen, mais évidemment trop courte au regard des problèmes posés. D'autre part, l'auteure expose clairement les raisons de croire avec John Locke à « l'autonomie sans le gaspillage et l'expropriation » mais sa fameuse clause, qui légitimise tous les appétits tant que chacun a sa part du gâteau, sème le doute. En effet, toutes les expressions de ces appétits sont dotées par avance d'une justesse intrinsèque, par un droit de nature, qui n'a d'ailleurs aucune considération pour la nature. Même un pragmatiste américain comme John Dewey est moins tendre que l'auteure à ce propos.

L'auteure connaît l'art de la composition qu'est la politique, mais elle expose aussi clairement les limites des philosophies de la liberté qui conduisent à définir le problème politique « exclusivement par le souci de rendre possible la coexistence pacifique des libertés individuelles », et « qui privilégient les droits formels et conduisent à une théorie de la justice distributive ». Au contraire une philosophie de la corporéité, est « susceptible de faire entrer la nature, les animaux et les générations futures dans le contrat social. »

L'expression d'une « philosophie du corps politique » n'a cependant aucun rapport avec le corps vivant, car le contrat social est un pur artifice, bien compris par l'auteure en suivant Hobbes, puis Locke qui le conçoit sur le mode du consentement. Avec Rousseau, l'auteure reprend deux aspects de son contrat social que je trouve embarrassants. le premier est le fait que l'artifice confère aussi à un peuple son identité, ce qui forme le creuset des « politiques de puissance » nationales. le second embarras est l'aspect totalisant d'une proposition comme celle-ci : « Que les hommes fussent avant les lois ce qu'ils doivent devenir par elles ». Je passe sur les mythes de l'Aufklärung, autour de l'arrachement de l'homme à l'état de nature, dont l'auteure a déjà signalé « la pauvreté ontologique ».

Ces fictions sur l'état de nature sont précisément ce que l'auteure cherche à remplacer par une anthropologie quasi-scientifique représentée par des « existentiaux » universalisables mis en évidence par son approche phénoménologique. Mais c'est dans le but de poursuivre encore plus résolument le constructivisme institutionnel. Rétrospectivement, nous constatons que nous évoluons dans un monde presque entièrement construit, à l'image des paysages façonnés de la campagne que l'auteure affectionne, mais qui parfois, ne laissent plus d'espace entre les parcelles privées, les fossés et la route trop fréquentée. Ces lieux sont transformés en non-lieux. En tous les cas, ni les vieilles références philosophiques qui précèdent, ni la perspective constructiviste, n'éveillent en moi d'enthousiasme. Elles évoquent « l'ère des systèmes » pour reprendre des termes de l'auteure, plutôt que la diversité et la générosité des corps vivants.

La phénoménologie des nourritures de Corine Pelluchon nous prépare à davantage de surprises. « Car, pour être heureux d'exister, il faut pouvoir rencontrer ce que l'on n'attendait pas, au-delà des possibles envisageables. C'est ce que Henri Maldiney nomme la « transpassibilité », structure fondamentale de l'existence qui implique non seulement la possibilité de la surprise, au-delà de ce qui est attendu et même recherché, mais aussi la capacité à être ému, c'est-à-dire touché à la fois par ses sens et en plein coeur, avant de se représenter quoi que ce soit ou de prendre la moindre décision. ».

L'auteure invite à explorer quelques voies comme celle de Dominique Bourg « Pour une 6e République écologique » et notamment l'hypothèse d'une 3ième chambre pour traiter les problèmes qui ne relèvent pas de la représentativité habituelle à l'Assemblée et au Sénat, à savoir la subjectivité animale et les questions écologiques à long terme. En revanche Corine Pelluchon n'entend pas « laisser la doxa s'emparer des sujets de bioéthique », ce qui ne me convient pas car ce sont des sujets passionnants. L'auteure de ce livre n'ignore pas la tendance active de notre société vers la démocratie délibérative, mais si elle ignore les « les ruminations du sens commun » (Isabelle Stengers), je crois qu'il ne resterait de toute cette théorie politique, que la domestication à travers les institutions, « des communautés de destin » nationale, selon les termes de l'auteure. du moins, si ces communautés suivent le destin des animaux domestiques, alors leurs membres pourront toujours théoriquement réclamer la pitié, au nom du droit à la pitié due aux êtres vulnérables.

Sérieusement, si l'auteure tweet et retweet, c'est bien pour laisser la « doxa » s'emparer des sujets bioéthiques. Pourquoi le contrat social, qui n'est qu'une forme d'activisme, ne pourrait plus, tout à coup, coexister et se renouveler auprès d'autres formes d'activisme, notamment celles que l'auteure appelle des « contrats ponctuels » ? L'auteure exprime un malaise tout le long de ce livre vis-à-vis de situations jugées anarchiques ou libertaires. Alors, pour tenter de dissiper le malaise, je fais la proposition suivante : prenons les votes blancs, et proposons aux volontaires un « contrat ponctuel » (un bon contrat), pour intervenir dans les processus de décisions à tous les niveaux de l'état, selon les aspirations des candidats. Ceux-ci sont tirés au sort, pour répondre aux besoins dans chaque instance de décision de l'état, dans l'exacte proportion des résultats des votes blancs. Par exemple, 50% de votes blancs, signifie dans chaque instance de décision de l'état, 50% d'élus des partis et 50% de candidats sélectionnés par ce nouveau dispositif.

Pour finir avec les contrats, on comprendra aussi la grandiloquence du contrat social dépouillant l'homme de son animalité, par contraste avec la brève définition de Kant du mariage : « Un contrat entre deux adultes de sexes opposés concernant l'usage mutuel de leurs organes sexuels »...

La dernière partie du livre, « au-delà des frontières nationales », donne encore une tribune au kantisme, pour vendre sa solution passe-partout de l'arrachement à l'état sauvage de nature. Il suffit de choisir une situation hyper stressante, pour presser à adopter le constructivisme kantien. Cette fois l'auteure adopte entièrement le subterfuge en invoquant la menace nucléaire, sans doute parce que les enjeux globaux évoqués jusque-là ne lui paraissent pas assez marquants…la faim, les inégalités, le réchauffement climatique. Au fond, on connaît déjà la chanson : « l'homme est un loup pour l'homme », il faudrait donc faire du loup un chien domestique, et pour ça, montrer d'abord comment il est hargneux en cage. Mais laissons le loup dans son milieu naturel, et on n'entendra jamais parler de lui, sauf par les amoureux de la nature, ou lorsqu'il mange une brebis, comme nous d'ailleurs, du simple fait qu'on a fait de cette brebis un animal d'élevage si vulnérable qu'on doit maintenant penser à ses droits.
Cette dernière partie rappelle que les enjeux globaux doivent être traités globalement, c'est-à-dire sur le plan international, nationale et local. C'est au cas où certains prendraient à la lettre les idées de l'auteure de « communauté de destin » nationale, et se mettraient à nourrir une nouvelle mystique nationale.

« Dieu est mort » disait le vieux Nietzsche, et il ajoutait que « le succès de Kant n'est qu'un succès de théologien ». Mais la théologie est aussi le fondement de Locke, Levinas, et d'autres encore parmi les références philosophiques préférées de Corine Pelluchon. le « vieux Kant » est mort, et on discute son héritage depuis une dizaine de générations, donc je crois qu'il est temps de changer de logiciel. D'ailleurs, à tous les adeptes de la petite chanson « je ne suis pas un animal », on peut suggérer de lire « la psychologie de masse du fascisme » de Wilhem Reich, pour imaginer jusqu'où où peut nous mener cette « charmante » mélodie.

Au nom d'une théorie politique partant de l'homme, l'auteure s'oppose à la « Deep Ecology », jusqu'à écarter résolument la lutte contre l'érosion de la biodiversité, des finalités de cette théorie. Cet enjeu n'est pas recouvert par la finalité de l'amélioration de la condition animale. Une opposition idéologique presque non-dite aboutit donc à une situation absurde. En effet, non seulement la démocratie est le lieu pour problématiser et non pour liquider les problèmes, mais en outre la diversité est au coeur du vivant, tant sur le plan biologique que sur le plan phénoménologique (expérience vécue) comme on l'a vu plus haut. Dans le même ordre d'idée, l'auteure évacue complètement, et sans doute dogmatiquement, le problème de la croissance démographique, au motif que l'industrie alimentaire mondiale a actuellement la capacité de nourrir tout le monde. Mais dans quelles conditions et pour combien de temps ?
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critiques presse (2)
LaViedesIdees
30 avril 2015
Cherchant à faire œuvre, comme le souligne le sous-titre de l’ouvrage, d’une philosophie du corps politique, elle y parvient, avec élégance et force.
Lire la critique sur le site : LaViedesIdees
NonFiction
12 janvier 2015
Corine Pelluchon signe en ce début d'année un grand livre de philosophie de l'environnement, qui est l'un des importants jamais écrits dans ce domaine.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Il ne suffit pas de dire que nous ne nous mettons pas tout seuls au monde et que nous ne sommes pas à l'initiative de notre naissance ; il importe de reconnaître que cet événement capital, par rapport auquel nous datons tous les événements de notre vie, n'est pas un souvenir. Abandonnant le plan de l'expérience vécue, je dois me placer en spectateur de cet événement objectif dont je ne sais quelque chose que par le récit que m'en font les autres. D'une manière générale, je me trouve toujours après ma naissance, car j'ai été mis au monde avant de pouvoir poser volontairement aucun acte. Tout se passe comme si il y avait deux commencements, l'un qui serait celui de ma vie, l'autre qui renverrait à mes actes ou à ma liberté.
Mes ancêtres sont le fondement de mon existence ; il y a le trouble de plusieurs existences derrière moi. Certes, exister, c'est être pour soi le centre de son existence, à partir de laquelle "irradient son aval et son amont". On dira : je suis issu d'Untel et d'Unetelle, au lieu de parler de ses aïeux comme d'une cause. La conscience de soi est l'acte par lequel j'intègre et assume ce que je suis, c'est à dire aussi mon caractère, qui "me serre de si près". Vivre, c'est donc "consentir à être né", consentir à la vie avec ses chances et ses obstacles, tout en assumant la limite qui me fuit et qui est celle de ma naissance.
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Pourtant, c'est l'amour de la vie qui est premier. La complaisance avec laquelle nous nous abandonnons au plaisir, sa morsure sur les choses qui fait éclater leur essence élémentale et souligne l'accord du je et du monde dans le sentir, mais aussi notre appétit qui exprime notre désir de vivre, illustrent cette préséance de l'amour de la vie sur l'inquiétude et le malheur. Bien plus, le jeu, auquel les jeunes animaux et les enfants s'adonnent spontanément, témoigne de cette générosité de la vie qui va au-delà des besoins, du danger et de l'équilibre. La vie est une manière d'être qui ne se caractérise pas par la négativité, mais par la jouissance, qui est une insouciance à l'endroit de l'existence, un jeu en dépit de la finalité et de la tension de l'instinct. Vivre, c'est vivre de quelque chose sans que ce quelque chose tende vers un but, mais parce que l'activité même dont je vis me réjouit et fait la grâce de la vie.
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Vidéo de Corine Pelluchon
CONVERSATION Présentée par Raphael Zagury-Orly Avec Vincent Delecroix, philosophe Camille Riquier, philosophe Corine Pelluchon, philosophe
Ce n'est jamais l'espoir qui fait vivre: ce sont les aléas de la vie qui donnent à l'espoir ses ailes ou, au contraire, les lui coupent. On le sait bien d'ailleurs: l'espoir, on le «nourrit», on le «caresse», on le «fait naître», on le «soulève», on le «suscite» - comme si, en lui-même, il n'était qu'immobile attente, tantôt confiante, tantôt naïve, de l'avènement d'un Bien, d'un événement favorable, gratifiant, bénéfique. D'ailleurs, une langue telle que l'espagnol, n'a qu'un seul verbe pour dire attendre et espérer. Aussi une vie qui ne se s'alimenterait que d'espoirs serait-elle aussi anémique qu'un amour qui ne vivrait que d'eau fraîche - car bien tenue est la limite qui les sépare des illusions, des douces tromperies (ameni inganni) dont parlait Leopardi. Certes, dans l'Ancien Testament, Dieu lui-même est nommé Espoir ou Confiance, les Pères de l'Eglise en ont fait une vertu théologale, et du «principe espérance» de Ernst Bloch la philosophie contemporaine s'est nourrie. Mais lorsqu'on dit que l'espoir fait vivre - ou que l'espoir est toujours le dernier à mourir - il faudrait entendre que pour faire vivre l'espoir, il faut d'abord commencer soi-même, autrement dit «faire le premier pas» de l'action, le mettre en mouvement en faisant «un pas en avant», en s'engageant, en allant si l'on veut vers Dieu, par la foi, en allant vers l'autre, par l'amour et l'amitié, en allant vers autrui, par la bienveillance, l'hospitalité, la solidarité.
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