Jaime Bunda, agent secret ravira les lecteurs de romans, policiers ou non, déjantés et loufoques. Jaime Bunda, dit Popotin, sorte de Gaston Lagaffe (pour le côté dilettante) mâtiné de brave soldat Chvéik (pour les initiatives inattendues), est un petit rond de cuir prétentieux sous-utilisé qui ne doit sa position enviée dans les services de renseignement angolais qu'à la protection de son oncle, lui-même directeur des opérations de la maison. Pour des raisons qui lui échappent, Jaime se voit confier l'enquête sur le viol et le meurtre d'une gamine de 14 ans ; une affaire relevant logiquement de la police criminelle qui va connaître des rebondissements impliquant un politicien véreux et des trafiquants de toutes sortes. Voila donc Popotin menant une enquête de proximité et mettant en place des filatures, cela de façon parfois très approximative, mais, bizarrement, avec un certain succès.
On n'a pas tous les jours l'occasion de lire un roman policier, ni d'ailleurs un roman tout court, angolais. Une aubaine donc, surtout que Pepetela (Arthur Pestana) est un très grand écrivain – il a reçu en 1997 le Prix Camões –, à placer dans la lignée de
Richard Brautigan ou d'
Eduardo Mendoza pour l'absurde et la poésie. Voici quelques raisons donc de lire ce roman.
Pepetela décortique à merveille la société angolaise, avec verve et humour. Si l'intrigue policière de départ est plutôt banale, les événements qui s'ensuivent sont l'occasion de pointer les dysfonctionnements d'un pays où règnent la corruption et le népotisme et qui, pour beaucoup, a trahi les idéaux de la révolution d'indépendance. le romancier se livre donc à des réflexions peu amènes sur les conditions de vie des habitants de Luanda et sur les trafics divers qui permettent à beaucoup de survivre et de tenter d'échapper à la misère. La description du marché de Roque Santeiro, le plus grand marché à l'air libre d'Afrique (fermé en 2011) – « Zone privilégiée, les marchandises volées ou acquises en contrebande sans droits de douane s'échappaient du port et y étaient immédiatement vendues. » - est édifiante.
L'auteur connait parfaitement son métier comme le prouve la composition complexe de
Jaime Bunda, agent secret : alternant en quatre parties les narrateurs – auteur omniscient, première personne – et les points de vue – Jaime Bunda et son protecteur, le Directeurs des opérations –, Pepetela donne au roman un rythme vif et soutenu et intervient souvent en aparté pour donner son opinion.
La personnalité de Jaime est plus complexe qu'il n'y parait : présenté comme un incapable, « … toujours ignoré, relégué dans un coin, sur une des chaises de la salle des détectives, sans rien faire.», il fait très vite montre de qualités d'organisation et même d'initiatives, moins dues à son expérience qu'à sa connaissance de quelques grands auteurs américains de polars : « Alors Popotin se sentit parfaitement bien et heureux. Maintenant, oui, il était vraiment dans une histoire de
James Ellroy. » Mais il est tenace quand il suit une piste même si celle-ci n'est pas très logique (un peu comme l'inspecteur Clouseau) et il a un culot monstre. Pourtant, certaines de ses initiatives se révèlent calamiteuses, comme par exemple de payer un homme de main minable pour corriger un rival amoureux, ce qui se retournera contre lui.
Dur à cuire au petit pied (malgré les bières et le whisky), ne manquant pas de courage, ou d'inconscience, face au danger Jaime Bunda (seul son nom peut faire penser à James Bond) est avant tout un personnage qui joue à être détective, et qui, finalement, parvient à ses fins. Amoureux transi par ailleurs, un peu fainéant – « Il n'était pas à proprement parler contre la violence, l'histoire avec Antonio Das Corridas l'avait montré, mais contre tout effort physique. Et il était fatigué jusqu'à l'idée de donner un coup de pied, et de tout le mal que cela lui demanderait. » – ses efforts et son relatif succès en font un antihéros sympathique et placent
Jaime Bunda, Agent secret parmi les grands romans policiers africains. de quoi regretter que le second volume, Jaime Bunda e a morte do Americano (2003) ne soit pas traduit en français.
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