J'ai dormi? Il faut croire. Longtemps. le grand sommeil (ca c'est un Chandler que je relirai a mon prochain assoupissement). Et je me reveille dans une autre annee. Et qui n'est plus nouvelle, enfin, oui, nouvelle elle l'est et le reste, mais elle a deja fait pas mal de chemin. Je ne l'avais pas sentie venir. J'espere qu'elle sera bonne. J'aurais voulu la commencer par un classique,
Boulgakov,
Faulkner ou consorts. Ou encore mieux par un pave classique, l'Outremonde de DeLillo ou le
Marelle de
Cortazar. Mais l'homme fait des projets et Dieu ou Satan ou Destin ou Hasard les defont. Et je me retrouve a mon reveil avec une petite nouvelle de rien du tout, quelques pages, de
Perez Reverte.
1520. Les soldats d'
Hernan Cortes ont perpetre un massacre dans un temple azteque a Tenochtitlan (l'actuelle Mexico). Des indiens accourent de partout pour venger cet acte et les espagnols essaient de fuir au couvert de la nuit. Sous une pluie battante, au bruit assourdissant de tambours, boum boum boum, l'avant garde de Cortes arrive a se sauver et atteindre Veracruz et pour tous les autres c'est l'hecatombe. Pour un soldat particulier, qui ne veut a aucun prix se separer d'un sac plein d'or dans sa fuite, aussi. Il divague tout en tuant pour se frayer un passage, entre les fleches et les boum, se rememorant ses espoirs de revenir riche et pouvoir acheter un lopin de terre dans sa vieille et seche Castille, boumcadaboum, et aussi cette indienne qu'il violait et qui avait l'air de l'aimer. Il l'avait engrossee et chassee. Ou est elle en ces instants de pluie de peur et de boum? Est-ce qu'elle le poursuit, elle aussi? Boum boum. Bouboum. Attrape, blesse, il est immole presque immediatement, et sa derniere pensee sera pour elle et sa progeniture: “Ojala mi hijo tenga los
ojos azules, Pourvu que mon fils ait les yeux bleus”.
C'est un tres court recit, relatant une nuit d'horreur, qui finit par une note d'espoir. La conquete de ce qu'est aujourd'hui le Mexique a ete feroce, mais les atrocites commises ont fait naitre un certain metissage, et ce metissage, meme dans le viol, est porteur d'espoir. C'est ce que veut suggerer
Perez Reverte? C'est ce que je veux, moi son lecteur. Par la derniere phrase du texte, “ojala mi hijo tenga los
ojos azules”, mais deja, aussi, par la premiere: “Llovia a cantaros. Llovia, penso el soldado, como si el dios Tlaloc o la puta que lo pario hubieran roto las compuertas del cielo”, “Il pleuvait a verses. Il pleuvait, pensait le soldat, comme si le dieu Tlaloc ou la putain de sa mere avaient rompu les vannes du ciel". Un soldat espagnol qui invoque Tlaloc, meme si c'est pour l'injurier? le grand espoir du metissage est deja enonce dans cette toute premiere phrase.
Une nouvelle ou
Perez Reverte s'adresse a nous, tous, partout, qui vivons une epoque de grandes migrations, de rencontres et d'affrontements, de metissage de populations, et peut-etre de metissage de civilisations. C'est dur, souvent cruel, mais… ojala mi hijo tenga los
ojos azules?… ou les cheveux crepus? …Bonne annee, les amis.
P.S. Une heure est passee et j'ai un doute... quelque chose me travaille... je me relis. Panique! C'est l'omission fatidique! Mais je repare, je repare... Bonne annee a vous aussi, qui trainez partout derriere vous votre arrogant e muet.