Récit sympathique d'une (en)quête autour d'un mot – limbes - qui fascine l'auteur, dont je ne garde bizarrement aucune trace, à part un passage très drôle, au début, sur l'incompréhension désapprobatrice d'un libraire peu disposé à coopérer.
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Aucun jeu, jamais, n'est parvenu à prendre le dessus sur le plaisir que me donne la lecture de romans, de nouvelles, pour peu que, d'une manière ou d'une autre, ils racontent une histoire dont à la fois je redoute et suis impatient de connaitre la fin. Privé de la lecture, je serais réduit à n'être que ce que je suis. Je ne crois pas pourtant qu'elle me tienne lieu de "vraie vie", ni qu'elle me permette de vivre par procuration des vies imaginaires ou de confondre la mienne avec un roman. Non, plus simplement, plus efficacement, elle me détache de mes points fixes, elle me libère de la pensée affligeante que ma vie pourrait n'être qu'une succession de jours dont l'un répète, ou, pire, efface l'autre. Elle m'entraîne là où je ne suis pas et pourtant, puisqu'elle m'y entraîne, c'est que j'y suis ! La lecture est mon grand jeu.
Entre la précision du regard, qui ne va pas sans cruauté, et le flou qui, effaçant les contours, risque de me dissoudre, je ne veux pas choisir. Il me faut l'alternance. Il me faut Piero della francesca et Turner. Il me faut des formes géométriques et les nuages, les brumes qui recouvrent les cimes des arbres à l'automne et les lignes nettes, les esquisses des peintres et les corps accomplis des sculpteurs. Je veux séjourner dans le lieu indéterminé des limbes mais je me refuse à y demeurer. J'aime trouver les mots justes et être capable de bafouiller. J'aime les pensées vagues et le cohérence du discours, le mutisme de l'accusé et l'éloquence de l'avocat, l'heure d'entre chien et loup et les trains qui partent à la minute près.
Toujours, j'aurai cherché un subtil équilibre entre le temps qui passe et celui qui ne passe pas. Mieux qu'un équilibre : leur ajointement, leur fusion même, qui se nomme instants de bonheur, cette permanence de l'éphémère qui vient parfois, inespérée, à notre rencontre. Moments de détresse aussi bien, quand le sol cédant sous nos pieds, nous perdons tout recours et qu'il n'y a plus pour nous ni passé ni présent ni futur : nous tombons hors du temps, nous tombons sur place.
Qu'ai-je connu d'elle ? Qu'a-t-elle connu de moi ? Presque rien. Ma très vieille mère, devenue si éloignée du monde, aurait-elle obtenu de mes amis qu'ils " cessent de vivre" afin qu'elle et moi ayons enfin quelque chose en partage : la solitude, la solitude qui ne se partage pas ?
J’aimerais ne jamais cesser de venir au monde.
Vidéo de Jean-Bertrand Pontalis