En panne d'inspiration en rédigeant son roman
Cleveland, l'abbé Prévost se lance dans l'écriture de
Manon Lescaut qu'il achèvera en seulement deux mois. Paradoxalement c'est principalement cette oeuvre que la postérité retiendra de l'
Abbé Prévost nonobstant une abondante production d'assez bonne qualité dans l'ensemble. Ce titre est devenu l'un des plus célèbres de la littérature française. Il est étudié en classe depuis plusieurs générations et reste encore aujourd'hui un grand classique des lycées. Je ne vais donc pas en faire une analyse très poussée, car tout le monde a lu cet ouvrage ou en a entendu parler et a déjà une bonne idée de son contenu. Pour ma part n'ayant pas étudié au lycée, mais seulement en collège technique je n'ai jamais eu l'occasion de le lire, mais je ne pouvais passer indéfiniment à côté d'un ouvrage qui fait partie du fond culturel des Français. Publié en 1731 il a connu aussitôt un certain succès dont s'est fait l'écho
Montesquieu : « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l'héroïne une catin qui est menée à la Salpêtrière, plaise, parce que toutes actions du héros, le chevalier des Grieux, ont pour motif l'amour, qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse ».
À l'époque le roman fit scandale et a été interdit de publication, c'est dire la liberté de ton de l'auteur qui en écrivant ce livre avait sans doute conscience qu'il allait heurter la morale de ses contemporains. Il s'agit effectivement d'un roman dont le thème central est la passion amoureuse, celle d'un très jeune homme de bonne famille, cultivé et promis à une vie austère de prière et d'abnégation, qui rencontre une jeune fille d'une beauté sans pareil et souhaitant profiter de la vie sans contrainte. le jeune homme, le chevalier des Grieux, succombe au charme de Manon et nos deux tourtereaux sont aussitôt entraînés dans un tourbillon d'évènements qui provoqueront plusieurs fois leur séparation avant de les réunir à nouveau. Ballottés entre des sentiments contraires ou se mêle la religion, la morale, l'honneur, la cupidité, ils vont plonger dans des péripéties multiples digne d'un roman picaresque : Emprisonnement, duel, meurtre, escroquerie, exile, rien ne manque pour pimenter leur relation. L'histoire est narrée alternativement par l'auteur lui-même et par le chevalier des Grieux, les retours en arrière donnent une saveur particulière au récit en permettant au lecteur d'avoir une vue d'ensemble et de mieux rentrer dans l'intrigue. le roman est court, moins de 200 pages et l'auteur ne s'embarrassent pas de description de personnages, de lieux ou de situation, tout est au service de l'histoire qui se déroule tambour battant. L'absence de digressions donne au récit le goût de l'authenticité. Il est vrai que l'auteur s'est sans doute inspiré de son expérience personnelle pour développer son thème.
J'ai particulièrement aimé me replonger dans ce style littéraire que j'affectionne, celui de la belle langue française en vigueur au 18e siècle. le texte n'est pas celui d'origine, mais seule l'orthographe de l'époque a été modernisée pour rendre la lecture plus fluide. Il s'agit d'une langue riche qui peut paraître désuète aujourd'hui, mais qui reste pleine de charme et d'élégance. Certains pourraient trouver ce style un peu maniéré, voire précieux (comme celui du 17e siècle), encore embué dans la périphrase et les métaphores, mais il procure un dépaysement total.
La recherche de la clarté et de la pureté de la langue par l'emploi des mots justes et d'expressions délicates peut nuire à la concision et donner l'impression d'une sensibilité feinte. Mais le charme désuet de l'écriture emporte le lecteur dans un autre monde aussi sûrement qu'un parfum capiteux nous fait tourner la tête. Peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse ! Avec l'abbé Prévost et
Manon Lescaut, nous entrons de plain-pied dans le français classique. Ce qui nous éloigne du français des réseaux sociaux, mais faut-il s'en plaindre ?
Un livre à lire pour prendre conscience de l'évolution de notre langue et pour mettre à jour les vestiges du roman moderne conservés dans les sédiments de notre histoire littéraire.
J'aurais pu formuler cette dernière phrase de la manière suivante :
Hey, tu devrais lire ça pour te rendre compte de comment notre langue a évolué et mettre à jour les trucs du roman moderne dont on trouve les traces dans les vieux bouquins.
— «
Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut ».
Antoine-François Prévost d'Exiles dit l'
Abbé Prévost,
Garnier-Flammarion (1967), 188 pages.