AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,39

sur 2733 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Cette aventure est caractéristique de la noblesse du XVIIIe appliquant aux moeurs le libertinage philosophique du XVIIe, noblesse ainsi souvent qualifiée de décadente ; on peut dénombrer tous les larcins imaginables – enlèvement, prostitution, tricherie au jeu, arnaque, évasion, meurtre... Mais ce petit récit est particulièrement frappant parce que s'il tient du libertinage XVIIIe (Liaisons dangereuses, Sade...), il annonce aussi le pré-romantisme (d'un Paul et Virginie) avec cet amour impossible mais plus fort que tout, et cet épisode sur les terres perdues du Nouveau Monde (qui pourra faire penser aux premiers romans de Chateaubriand Atala et René).

Le style demeure très classique et la première personne marque le style des mémoires bien qu'il s'agisse d'un récit second. On suppose néanmoins que ces aventures sont fortement inspirées de la jeunesse de Prévost. En cela, on s'approche à couvert du style qu'auront Les Confessions de Rousseau lequel n'hésitera pas à raconter ses mauvaises actions en tant que document humain authentique pouvant mieux rendre compte de l'homme dans sa nature profonde, sous l'homme mondain. Ainsi, Prévost raconte, sans juger, sans s'appesantir sur les détails, les causes... il s'agit bien de peindre une passion amoureuse, dans sa vérité, si immorale soit-elle.

Le thème le plus intéressant est la question de l'argent qui vient toujours gêner, interrompre l'idylle amoureuse, la ramener à la réalité. L'amour nécessitant le sacrifice de la situation, il peut difficilement tenir. Ce sont bien ces impossibilités qui se manifestent par autant d'actions immorales du couple. le personnage de Manon est également à ce point très finement posé. L'amour semble dominer entièrement le personnage – qui en disparaît presque entièrement – tant que l'argent ne vient pas à manquer pour soutenir son rythme de vie. Cette folie amoureuse est évidemment à mettre en parallèle avec les amours d'Abélard et Héloïse (passant également de l'amour-passion dévorant, au dur retour à la réalité, puis au renoncement et à la consolation divine) et à opposer à l'amour naïf de L'Astrée (le berger et la bergère amoureux qui sont séparés par de multiples mésaventures, comme si toute l'aventure amoureuse consistait à se trouver et à faire couple malgré les obstacle alors que les plus difficiles péripéties se jouent sans doute après...).
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
Commenter  J’apprécie          70
3 raisons de lire Manon Lescaut :
- l'histoire d'une incroyable passion
- Qui est toutefois toxique puisqu'elle mène le héros d'une promesse d'un bel avenir à une inexorable chute
- Un portrait de femme : le personnage de Manon, qui ne peut laisser personne indifférent. Tour à tour insupportable de tant de manipulation, à touchante. Je l'ai longtemps détestée cette petite peste, avant de m'attacher peu à peu au livre.
Commenter  J’apprécie          70
Lorsque, lors de la dernière masse critique de Babelio, j'ai vu ce roman, j'ai eu très envie de le lire à nouveau. Il fait partie des "classiques" que l'on lit bien souvent pendant nos années lycée, au moment du baccalauréat de français. Ce qui fut mon cas. Je me souviens très bien de sa lecture il y a déjà bien longtemps, j'avais aimé à l'époque, et j'avais envie de voir si  mon avis allait évoluer avec le temps et avec toutes les autres lectures que j'ai faites depuis. Et c'est le cas. J'ai aimé, mais j'ai souvent été lassée, je vous dirais pourquoi par la suite. 

Avant, il faut quand même parler du livre, il a été écrit en 1731 par l'Abbé Prévost, un écrivaine très prolifique. Au départ, ce roman s'appelait "L'histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut", mais l'éditeur hollandais décidera de raccourcir le titre en "Manon Lescaut". Après lecture, je trouve que le premier titre correspondait beaucoup mieux, car on parle autant des deux personnages, et c'est le Chevalier qui se raconte. Ce roman est le septième et dernier tome d'une oeuvre à succès de l'Abbé Prévost, "Mémoires et aventures d'un homme de qualité", où le personnage le marquis de Renoncour raconte sa vie. On va d'ailleurs le retrouver au début de ce livre, mais on en apprend pas plus sur lui, pas la peine de lire les six autres tomes avant. Quoique, pour ma part, j'aimerais bien en apprendre plus sur lui. 

Ce roman raconte une histoire d'amour comme on en faisait à cette époque, tourmentée, cruelle. Il y a Roméo et Juliette, Tristan et Yseut, et il y a le Chevalier Des Grieux et Manon Lescaut. Dès que ces deux-là se rencontrent, c'est le coup de foudre. Ils sont tous les deux jeunes, même pas encore vingt ans, lui à 17 ans, elle moins, Des Grieux est un jeune homme de bonne famille, brillant dans ses études, il rencontre Manon par hasard, elle est avec d'autres filles et doit être menée au couvent. Des Grieux va préparer un plan pour la faire libérer et ils s'enfuient les deux. Mais il faut maintenant arriver à vivre. Et pour cela, Manon n'hésite pas à avoir recours à sa beauté et à ses charmes pour séduire de riches hommes, et de se faire entretenir par eux. Des Grieux la suit, il est aveuglé par l'amour, il sait qu'elle le trompe, mais il est tellement amoureux qu'il lui pardonne tout le temps. Il faut dire aussi qu'elle sait le manipuler et lui dire qu'elle ne pouvait faire autrement et qu'elle le faisait pour lui. Manon n'aime pas la pauvreté, elle veut vivre avec des largesses, la fuite ne l'intéresse pas. Et pourtant, ils vont avoir tous les deux des déconvenues, les hommes qu'ils ont exploités se rendent compte de la supercherie, et les poursuivent ou les font mettre en prison. Mais, malgré des mois enfermés, Des Grieux continuera à chercher Manon, à la retrouver, à la libérer, et à chaque fois elle recommencera, jusqu'à la fois de trop...

Je ne me souviens pas à ma première lecture lors de ma préparation au Bac, que Manon m'ait à tel point insupportée. Elle a tout le loisir d'être heureuse avec Des Grieux, il faut toujours qu'elle aille chercher à côté, et tout ça pour l'argent. Je l'ai trouvée tellement vénale. Je regrette que l'auteur n'ait pas fait parler Manon, qu'elle s'explique, qu'elle raconte son passé, peut-être celui-ci expliquerait son appât du gain et du toujours plus. Parce que là, c'est Des Grieux qui raconte, donc je n'ai eu qu'une version. J'avais souvent envie de le remuer, et de lui dire d'arrêter d'être naïf. À chaque fois qu'il présentait quelqu'un à Manon, je savais qu'il allait être à nouveau berné, et lui, aveuglé, continuait. Et cela reflète bien la société d'alors, où il y avait les très riches, et les très pauvres. Ceux-ci ne pouvaient pas évoluer, ils restaient toujours dans la même condition. Manon veut se sortir de là, et elle accepte tout pour y arriver, même si cela doit lui nuire. 

À part les personnages qui m'ont énervée et auxquels j'ai eu du mal à m'attacher, j'ai apprécié l'ensemble de ce livre. Il est écrit dans un style ancien, avec un vocabulaire parfois obsolète, mais les mots sont expliqués en bas de page, donc la compréhension se fait tout de même facilement. le style est très bon, bien sûr, les descriptions sont bien faites. On voyage beaucoup, mais j'ai trouvé que les décors extérieurs étaient peu décrits. L'action est assez lente, elle représente bien la vie d'avant, et surtout celle des gens aisés, qui se laissaient plutôt vivre et ne faisaient pas grand chose de la journée. Par contre, j'ai été satisfaite de trouver de la densité dans les actes, les personnages. Je me demandais bien souvent où j'allais atterrir, vers quel final. le livre est séparé en deux parties, et n'a pas de chapitre. C'est quelque chose qui m'a parfois un peu perturbé, car j'aime arrêter ma lecture à une fin de chapitre, ça m'aide pour reprendre, et là je ne pouvais pas le faire, je devais relire un peu avant lorsque je reprenais mon livre. J'ai d'ailleurs trouvé la seconde partie plus mouvementée et plus addictive. Je l'ai lue bien plus vite que la première. Par contre, le final m'a laissée sur ma faim, j'ai envie de dire, tout ça pour ça, j'aurais aimé savoir ce qui allait se passer par la suite, que ce soit pour Des Grieux ou pour le narrateur, monsieur de Renoncour. Surtout que c'est un dernier tome, il n'y aura jamais de suite, et c'est dommage. le début du livre est raconté par le marquis, qui cède la parole ensuite à Des Grieux lorsqu'il le rencontre. Malgré la narration à la première personne, j'ai eu du mal à m'attacher aux personnages, et j'ai gardé une certaine distance avec eux. Je pense que ceci est dû à la période où cela se passe, et aussi au fait que j'ai trouvé le couple insupportable, comme je le disais plus haut. 

L'abbé Prévost mélange dans l'histoire de ce couple la vie au XVIIIème siècle, le siècle des Lumières qui a vu la société se modifier, avec une période de tensions religieuses,  une société en pleine mutation où la condition des femmes est débattue, la place des femmes dans la haute société, parce que chez les pauvres, la femme est toujours sous l'ordre de l'homme. C'est très instructif, et l'auteur a très bien mélangé la fiction avec des faits réels de l'époque. Tout ceci est d'ailleurs bien résumé dans le livre, qui est bien plus que la retranscription de l'oeuvre. Il y a en effet tout un dossier pédagogique au début et à la fin du roman. Au début, la collection est présentée, avec les noms des professeurs qui sont intervenus, il y en a dans chaque académie, qui ont d'ailleurs veillé à ce que la place de la femme soit mise en lumière. L'oeuvre nous est ensuite présentée, dans son contexte historique, la biographie de l'auteur, la société d'alors, avec de belles frises pour situer l'histoire dans le temps historique. Et à la fin du roman, il y a tout un dossier pédagogique avec de la compréhension de texte, des explications, des extraits d'autres oeuvres d'autres auteurs pour faire le lien, et enfin, des exercices destinés aux lycéens, sur le vocabulaire, la grammaire et des pistes de dissertation. J'ai trouvé ce dossier très complet, j'aurais beaucoup aimé avoir un tel livre pendant mes études, ce n'était pas si perfectionné. Et en plus, notre époque étant connectée, il y a un QR code qui permet de retrouver le roman sur le net, avec un fichier epub, des extraits lus par des comédiens, une vidéo pour découvrir l'auteur. Bref, tout un dossier très complet, ludique et interactif. Et d'autres oeuvres existent pour le lycée ou le collège, sur Rimbaud, Balzac, Molière et d'autres thèmes. 

Je me suis amusée à répondre aux questions, à me remettre dans la peau de l'ancienne lycéenne, à réfléchir aux questions posées, et j'aime toujours autant, ça permet de pousser l'histoire un peu plus loin, et parfois de comprendre certains points abordés dans le livre. 

J'ai dans l'ensemble passé un très bon moment. J'ai aimé redécouvrir une oeuvre lue il y a longtemps, j'aime le faire de temps en temps, la dernière fois, c'était le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier. Je ne sais pas encore quel sera le prochain.. En tout cas, je vous conseille ce livre si vous avez envie de redécouvrir un classique, ou pour vos enfants s'ils sont au lycée. C'est une très jolie collection.

Il ne me reste plus qu'à remercier les éditions le Livre Scolaire et Babelio pour leur masse critique, qui m'a permise de relire un roman que je n'avais pas oublié tant que cela.
Lien : http://marienel-lit.over-blo..
Commenter  J’apprécie          60
Voici deux travers moraux qui mène au drame, deux visions de la vie à deux liées par l'amour, deux vies qui ne sont guère faciles! Ce roman moral n'en ai pas tout à fait un car il pointe dans ces jugements du comportement des uns et des autres, une si fidèle description des passions et des actes qu'on peut légitimement se demander si l'auteur ne les a pas éprouvé à un moment de sa vie ou tout du moins ne les a souhaité!
Commenter  J’apprécie          60
Cette oeuvre témoigne que l'on peut parfois éprouver un grand plaisir de lecture sans qu'il y ait besoin d'apprécier l'intrigue développée.
En effet, l'histoire en elle-même est certes passionnée mais pas très passionnante. Elle ne fait que suivre à plusieurs reprises un cycle assez prévisible, aux ressorts récurrents, où il n'est question que de fuites, de passion, de ruine, d'infidélité intéressée, de remords, de séquestration, d'emprunts d'argent immédiatement dilapidé en vain, de généreux et fortuits protecteurs, de retrouvailles pleines de promesses hypocrites ou naïves, et d'idées de vengeance malheureuses annonçant la prochaine chute. Les atermoiements de ce chevalier immature qui soumet toute raison à son amour, dont le récit, même dans ses épisodes les plus joyeux, prélude explicitement à une catastrophe qui promet des torrents de larmes et des grandes résolutions bancales à se laisser mourir, pourraient insupporter un lecteur plus pragmatique, en dépit de la prédominance du récit sur les digressions. le seul passage théorique significatif, à l'occasion d'un dialogue, livre d'ailleurs une réflexion d'une grande profondeur sur la comparaison entre le bonheur terrestre et celui qui est promis dans l'au-delà en récompense des actes vertueux de notre vie.
C'est indéniablement l'écriture qui me réconcilie tout du long avec ce livre. Alors il est vrai que j'aime les grandes phrases alambiquées, c'est mon faible. La même histoire, écrite avec les phrases nominales qui caractérisent la littérature d'aujourd'hui, n'aurait pas même valu le temps passé à formuler une critique incendiaire. Mais le XVIIIe siècle arrive, lui, à rendre touchants les gazouillis irresponsables de deux tourtereaux à cervelles de moineaux. Je m'incline devant le tour de force littéraire à défaut de tirer grand-chose du fond, à l'exception de quelques passages anecdotiques.
Commenter  J’apprécie          60
Et de voir des lecteurs s'étonner que ce soit Manon Lescaut qui ait été retenu comme titre là où l'on pense suivre Des Grieux.
C'est que c'est elle qui fascine, elle qui séduit, elle dont on goûte la douceur de sa peau, dont on a envie de sentir la nuque, de lui caresser les cheveux.
Au final, Des Grieux, bien que pathétique dans la manière qu'il a de s'oublier, a fini par me taper sur les nerfs et je me suis surprise à penser qu'il n'avait que ce qu'il méritait.
Commenter  J’apprécie          60
Mon intérêt pour ce roman classique réside avant tout dans ma curiosité de connaître l'oeuvre qui a inspiré musiciens, chanteurs, cinématographes, et d'en saisir toute la grandeur. Ainsi la compréhension des livrets des deux grands opéras très connus, un par Giacomo Puccini (1893) et l'autre par Jules Massenet (1884) prend encore plus de sens. Deux autres opéras, ainsi que des chansons, ont aussi inspirés des musiciens. Il y a eu quantité de films entre 1912 et 1968 et plusieurs séries télévisées qui ont traités ce thème universel sous plusieurs angles.

Le roman initial titré: l'Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescault ayant fait scandale jusqu'à en interdire la publication et même le condamner, voire le brûler, l'auteur publie une deuxième édition (revue et corrigée comme on le dit) en 1753, dont le titre ne portera que le nom de Manon Lescault.

Sincèrement, je trouve ce récit très intéressant et j'écoute autrement les opéras qui ont inspirés Puccini et Massenet.
Commenter  J’apprécie          50
L'histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut est le récit rétrospectif d'une passion amoureuse dévorante. Lorsqu'il rencontre Manon, Des Grieux éprouve un véritable coup de foudre. Et cet amour, qui naît si brutalement, lui donne force et courage, et le pousse non seulement à prendre des initiatives mais aussi à commettre des actes insensés. Bientôt, il ne vit et ne respire que pour Manon. Il est alors prêt à tout supporter pour ne pas perdre cette amante certes un peu volage, mais extraordinairement sensuelle.
Le style fluide et sobre de l'Abbé Prévost séduit dès les premières pages et l'on ne s'ennuie pas un seul instant à la lecture de cet ouvrage riche en émotions et en rebondissements. L'écriture est tellement habile qu'on se surprend à s'attendrir sur les malheurs des personnages (dont ils sont pourtant entièrement responsables) et à leur pardonner toutes leurs dérives.
Le caractère tragique de l'histoire et l'atmosphère un peu désuète du 18ème siècle en font donc un roman plein de charme et de tendresse, dont je vous recommande la lecture.
Commenter  J’apprécie          50
Je me souviens de ma première lecture. J'avais trouvé ce pauvre Des Grieux bien naïf et sa complainte amoureuse m'était devenue très vite assez insupportable surtout qu'elle semblait être toujours la même à cause de la structure cyclique du roman (et surtout parce qu'il ne semble pas apprendre de ses erreurs, se retrouvant régulièrement sans argent, par négligence, perdant ainsi Manon puis la retrouvant et semblant alors oublier toute sa rancoeur). Des Grieux avait vraiment à mes yeux les attributs du minable qui ne se rend même pas compte qu'il est responsable de son malheur et qui rejette la faute sur le destin ou sur Manon. Cette culpabilisation constante de Manon devenait très vite insoutenable et relançait mon indignation. J'avais le sentiment que Manon faisait bien d'abandonner cet homme et qu'elle faisait bien plus preuve de bon sens que lui. J'étais presque indignée qu'elle revienne à lui, avec cette phrase qui me trottait en tête : « mais que peut-elle bien lui trouver ? » Je n'étais pas du tout sensible au sublime de leur amour ni à l'horreur de leurs dévoires. Peut-être était-ce dû au contexte de lecture : je l'ai lu pour la première fois entre l'épreuve écrite et l'épreuve orale de l'agrégation, ayant entendu qu'un jury considérait qu'il était inadmissible de passer ce concours sans avoir lu Manon Lescaut. Peut-être pas la meilleure raison pour le lire : le roman était alors pour moi empreint de l'élitisme nauséabond de certaines institutions. Une part de moi pensait : c'est donc ça pour eux la sophistication de la littérature française ? Entrait peut-être un peu de rejet et de mauvaise foi dans mon jugement. En tout cas, j'étais passée à côté du propos du roman.
L'oeuvre réapparaît dans mon horizon quand elle se voit inscrite au programme du bac de français et que je dois alors choisir une oeuvre pour les élèves. Ma première réaction fut évidemment de proclamer que je n'étudierais jamais cette oeuvre avec eux. le souvenir de mon dégoût était encore trop fort. Cependant des trois oeuvres proposées, elle semblait être la plus accessible (cela en dit long sur les choix des oeuvres au programme mais passons). Il me fallut donc la relire et même l'étudier en profondeur. Et comme bien souvent, quand j'entre plus avant dans les profondeurs d'un texte, j'en ressors des petits trésors qui me font prendre plaisir à un livre autrefois mal aimé. Parce qu'il suffit de changer un peu de perspective pour surmonter les dégoûts. Si l'on regarde bien la forme, et notamment l'enchâssement du récit de Des Grieux dans un récit cadre, on comprend qu'il raconte ses déboires à un ancien bienfaiteur mais surtout il raconte après avoir vécu cette période tourmentée, à un moment où il est revenue dans les rangs et dans le parti de l'ordre. Son récit participe donc à sa réintégration dans le monde et devient alors une entreprise d'autojustification qui doit lui permettre de passer pour une victime (du destin, du charme ensorcelant de la femme, de la naïveté de la jeunesse si pure) pour garder intact sa réputation. Son discours devient alors un objet qu'il convient de scruter sous tous les angles car pas un seul mot, pas un seul événement raconté, n'est innocent. Après tout, on se rend compte bien vite que nous n'avons accès qu'à son point de vue, évidemment très partiel et comme on l'a compris loin d'être impartial. On le voit rien que dans l'ambiguïté du personnage de Manon, alternativement décrite comme l'objet le plus tendre puis comme le fruit du démon. Et effectivement, Manon n'est qu'un objet : une manière de justifier ses actions à lui, une manière même pour lui de se faire passer pour un héros de l'amour, prêt à la suivre jusqu'au bout du monde. Jamais nous n'avons accès à l'intériorité de Manon, mais pire que ça, même ses paroles, ses lettres, sont rapportées par Des Grieux qui ne cache qu'il restitue ce dont il se souvient, ce qu'il a cru comprendre, ce qui l'arrange finalement.
Si l'on prend un peu de hauteur, si on essaye de reconstituer la parole perdue de Manon, si on essaye de se mettre à sa place, ce que le récit ne nous propose jamais, Des Grieux préférant nous donner l'image d'une créature mystérieuse dont on ne peut pas comprendre les intentions véritables, on se rend compte que ce qui en jeu c'est un rapport de classe. Si Des Grieux ne comprend pas Manon, c'est qu'il ne voit pas le monde comme elle : il peut croire à l'amour absolu qui dépasse les questions basses et obscènes de l'argent parce qu'il ne prend jamais de réels risques, il a des amis fortunés et il peut réintégrer son milieu quand il veut et ne plus souffrir du besoin. Manon par contre n e vient pas d'un milieu qui peut la protéger et son frère a plus prévu de se servir d'elle que de l'aider. Manon n'est pas vénale, elle est lucide sur sa situation. le seul crime de Manon, si c'en est un, c'est de vouloir s'élever de sa condition. Peut-être qu'effectivement elle ne l'aime pas vraiment au début du roman, peut-être ne voit-elle qu'une solution pour échapper au couvent. Mais peut-on vraiment lui en vouloir ? Voilà tout ce qu'on lui propose en dehors de l'amour : la prison ou la prostitution (sous plusieurs formes). Manon passe alors de l'image d'une fille légère en apparence à celle d'une femme lucide et entreprenante. Les sentiments envers elle continuent à être ambigus chez le lecteur parce qu'elle-même continue à l'être car sa situation ne lui permet pas le luxe de la sincérité. Et pourtant, je ne peux m'empêcher de croire qu'elle l'aime vraiment mais qu'elle n'est pas prête à lui sacrifier la chose que tous veulent lui prendre, sa liberté.
Comme quoi, il y avait beaucoup plus qu'une simple complainte amoureuse dans ce roman, quand on en trouve la clef.
Commenter  J’apprécie          40
L'intrigue est vraiment intéressante et le personnage du Chevalier des Grieux est attachant et mémorable. Il ne faut pas s'y méprendre : le titre de "Manon Lescaut" est certes resté dans les mémoires, mais le protagoniste est bel et bien des Grieux. C'est lui qui raconte son histoire, ce sont ses malheurs que l'on suit. J'ai trouvé que, malgré ses faiblesses et parfois ses mauvaises décisions (souvent dues à l'amour porté à Manon), des Grieux est un personnage qu'on apprécie fortement, qu'on aime même. Des Grieux gagne le coeur des lecteurs aussi bien qu'il gagne ceux de beaucoup d'autres personnages, et cela le sauvera beaucoup de fois.
Sinon, Manon est aussi un personnage intéressant, j'ai particulièrement apprécié son développement. Elle commet des péchés mais quasiment sans s'en apercevoir, elle n'est pas vicieuse ni mauvaise mais à besoin de se divertir, elle a besoin de vivre.
Les seuls points négatifs du roman sont pour moi la quasi absence de dialogue (style indirect /indirect libre) ce qui peut faire parfois perdre le dynamisme de l'histoire et l'absence de chapitres. Seules 2 grandes parties composent cette oeuvre, et il n'y a jamais d'arrêt. Cela m'a empêché d'avoir un rythme de lecture soutenu, j'ai donc mis plus de temps à lire ce livre que d'habitude.
Cette lecture reste quand même excellente, d'où cette note de 4 sur 5.
Commenter  J’apprécie          40




Lecteurs (12219) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Chefs-d'oeuvre de la littérature

Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

Honoré de Balzac
Stendhal
Gustave Flaubert
Guy de Maupassant

8 questions
11141 lecteurs ont répondu
Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur ce livre

{* *}