Encore une fois il est difficile de classer ce livre de
P. Quignard. Est-ce un essai philosophique, un recueil de contes moraux, une histoire de l'humanité vue par un détail d'où tout découle, un cours de philologie qui puisent chez les latins, les grecs, les japonais, les chinois ou encore un ouvrage de prose poétique et de méditation ? C'est impossible à définir bien que ce soit tout ça et plus encore.
Ce livre m'a servi, le soir, comme moyen de recueillement, de repos de l'âme après les turpitudes de la journée. Presque de livre d'heures, de missel. Mais je me méfie de
Quignard. Il peut vous happer et vous entraîner très loin, vous faire voyager depuis votre position allongée. C'est un érudit qui touche à tout ce que la culture a de plus noble : poésie, philosophie, histoire, musique ou art pictural. Mais que raconte-t-il ? « C'est là le hic » disait Hamlet (Ay there's the rub !). Cette citation tirée du livre pourrait résumer son projet :
"En méditant sur les choses sordides je cherche à définir l'intervalle mort.
C'est le coeur du temps.
C'est le coeur qui bat au fond de la musique.
Je cherche ce minuscule spatium déjà à demi déchiré où peut battre le temps avant de commencer son mouvement."
Il y parle donc des « choses sordides » de la naissance, de la mort, de la vie, des instants morts, du désir sexuel et sa mécanique en de courts chapitres dont certains, à la façon qu'il a de disposer ses paragraphes, de choisir ses mots avec un soin jaloux, sont proches de la prose poétique. Il y va aussi de l'anecdote éclairée sur tel poète, tel musicien, tel prince qui pourrait amener du sordide à son propos. Par « sordide » n'entendons pas seulement « sale » - bien que ce soit présent – mais aussi tout ce qui se recroqueville dans une vie minuscule et participe de ce fameux « Jadis », fil conducteur du cycle de Dernier Royaume. Nous sommes ici au tome V.
"Les tout petits enfants ignorent le sale comme les chiens.
Cependant les chats - les tigres, les lions – connaissent le sale.
C'est sur cette frontière où se tend l'antagonisme entre propre et sale que naît l'objet inestimable."
Ne cherchons pas trop de cohérence dans ce livre qui se lit comme la pensée, de façon disparate en sautant un peu du coq à l'âne comme dans un rêve sur lequel j'ai pu lire une des plus belles phrases :
"Dans le rêve le sujet est présent, mais à la troisième personne, comme une image au milieu de toutes les autres."
Pour ma part, je vais laisser
Quignard de côté pour un moment. Mais j'y reviendrai fatalement car La Barque Silencieuse, dernier tome de Dernier Royaume, glisse déjà sur le fleuve de mes envies.