A l'instar de ses écrits constituant le Dernier royaume,
l'Origine de la danse n'est pas un roman mais une réflexion personnelle, érudite et très intime sur l'origine de la vie, sur ce qui existe en amont de la danse. Il n'est nullement question de danse au sens où nous l'entendons habituellement (excepté lors de l'évocation de la grande Carlotta Grisi) mais du « corps d'avant le langage » (p.76).
A travers le mythe de
Médée qui occupe une partie conséquente de ce livre,
Pascal Quignard évoque ce que le lien maternel peut avoir de ravageant. Un « carnage » écrit-il. Il a réexploré la
Médée d'
Euripide dans un très beau spectacle intitulé « Médéa » (2010) et dont le livret constitue un des chapitres de
L'Origine de la danse, spectacle le réunissant sur scène avec Carlotta Ikeda, figure de la danse butô et Pascal Mahé, musicien (joueur de koto, bruitages divers). Carlotta Ikeda est également fascinée par
Médée, mais par celle de
Pasolini. Voici ce qu'il peut dire des mères, bonnes ou mauvaises, et de leur capacité à mettre au monde des enfants destinés à mourir : « Il n'y a pas grand-chose qui différencie la reine
Médée de la vierge Marie, elles lancent toutes les deux, sur le monde, des enfants morts » (p. 22).
La naissance, comparable à la mort, dit-il (p. 92), est associée à la perte, à la décomplétude, à la détresse originaire qu'est l'inspiration pulmonaire, à la chute du corps. La naissance est aussi une danse. La musique est antérieure et représente quant à elle le premier monde utérin. Puis la parole linguistique est le monde social que l'on découvre à la fin de l'enfance (p.108).
L'enfance justement qui, on le sait chez
Pascal Quignard, fut une époque de souffrance se manifestant chez lui par un repli, un mutisme, une anorexie mais également de grande sensibilisation à l'Art, d'abord la musique puis l'écriture, plus symbolique. Il n'était pas dans la séduction, écrit-il dans un chapitre intitulé La danse lente des autistes. « Il faut comprendre quel est le secret de la non séduction. C'était la trace d'une étrange faveur que le destin m'avait accordée. Ne pas chercher à séduire, c'est s'être fait à l'idée que l'amour manque dans ce monde. (…) La non séduction anéantit toute possibilité d'anéantissement » (p. 45-46).
Chaque mot de
L'Origine de la danse est choisi avec soin, l'étymologie y est parfois détaillée - chaque phrase est travaillée de manière extrêmement précise.
J'ai été très touchée par ce livre qui ne peut laisser indifférent. Chacun en retient ce qu'il veut ou ce qu'il peut. Et j'ai cette phrase en tête que j'associe à l'oeuvre de
Pascal Quignard, phrase écrite par
Edmundo Gomez Mango :
Freud « reconnaissait dans la Dichtung (création littéraire, poétique) un accès privilégié à la vérité psychique » (1).
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« La scène est toujours le noir. C'est le lieu sauvage (le lieu civilisé ou urbain est toujours éclairé). C'est aussi un nuage dans lequel on s'assoit. C'est un chaperon de cuir sur la tête d'un vautour. C'est évidemment un crépuscule quand on entre à l'intérieur de la salle de
théâtre. Puis c'est la nuit quand le spectacle vient » (p. 151).
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(1)
Edmundo Gomez Mango, J.-B. Pontalis,
Freud avec les écrivains, Ed. Gallimard, p. 21
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