Oups ! Gros coup de coeur de l'année 2021 pour moi !
Je viens de lire deux fois de suite ce « Grand jeu » de
Graham Swift. Enfin, quand je dis deux fois … c'est plutôt deux et demi. Je m'explique : je commence à le lire d'une traite jusqu'à une bonne moitié et … je perds mon exemplaire – je souhaite bonne lecture à celui ou celle qui l'a récupéré.
Qu'auriez-vous fait dans la même situation ? Je sais qu'en m'adressant aux Babeliotes que vous êtes, vous comprendrez ma réaction. Accros à la lecture ? Addicts comme moi ? Vous auriez fait de même. Comment interrompre mon plaisir de lectrice et ne pas aller au bout de l'histoire ? Ni une ni deux, je file chez mon libraire de quartier juste avant le couvre-feu de 19 heures. Miracle : un exemplaire sur l'une des tables. Et c'est Gallimard – et un tout petit peu mon libraire – qui sont contents. Depuis je l'ai relu deux fois : une pour l'histoire, le second pour savourer encore le plaisir de la lecture.
De quoi ça parle ?
Aout 1959, Brighton, en Angleterre. Un couple se prépare à monter sur les planches, un duo de magiciens – le mot est lancé – en la personne de Ronnie dit Pablo sur scène, et de Evie dite Eve. Ils sont tous jeunes, ils sont pauvres, ils sortent de la guerre, les gens ont besoin de distraction et ils en rêvent depuis longtemps. Mais ce n'est pas seulement un duo qui monte sur scène. C'est un trio. le troisième personnage s'appelle Jack.
Jack Robinson, ou Jack Robins, ou Jack tout court, il a failli être Sir Jack, mais non, n'allons pas trop vite. Jack est un ami de Ronnie, ils se sont connus au service militaire, et ils se sont reconnus comme membre de cette confrérie du divertissement – on ne dit pas encore « Showbiz » - et Jack est aujourd'hui le bateleur qui annonce les numéros au théâtre de Brighton.
Il fait ça très bien, Jack, il danse des claquettes, il chante, il amuse le public, il sait y faire, sa mère l'a préparé à cela tout petit.
Tout comme Evie, ou Eve sur scène, venue de la banlieue de Londres, avec une mère qui lui a appris à mettre en valeur ses gambettes, et à sourire tout le temps.
Alors quand Evie tombe sur l'annonce « on recherche un assistant », - c'est Jack qui a conseillé à Ronnie de s'adjoindre un assistant, ou même une assistante, c'est très important pour un magicien – elle n'a pas hésité. Et bizarrement elle a été embauchée tout de suite, elle n'en croyait pas sa chance, et la voici sur les planches, à sourire dans son costume pailleté tout garni de plumes, à sourire aux spectateurs pour détourner leur attention, et elle le fait très bien. « Ils ne se contentent pas de faire de la magie », dit la presse locale, « Ils sont magiques ». Il faut dire que tous les trois ont ce qu'on appelle « le démon de la scène ».
Tout cet été 59, à Brighton, les spectateurs vont se précipiter pour voir les numéros s'enchaîner, et particulièrement celui de « Pablo et Eve » - qui deviendra même, à la fin de l'été « Pablo le magnifique ». On imagine sans peine qu'après cet été fabuleux, Ronnie et Evie, qui sont fiancés dans la vie, vont devenir Mr et Mme Deane – Eve porte déjà une bague de fiançailles qui signifie à tous son avenir tout tracé.
Mais Ronnie alias Pablo cache un secret. Et de secrets, il en sera question tout au long du récit.
Son enfance ne l'a pas préparé au spectacle, contrairement à la mère de Jack ou la mère d'Eve, qui apprenaient à leur progéniture comme sourire et donner à voir « ce que les gens veulent avoir ». Il a même « profité » de la guerre, lui qu'une enfance entre une femme de ménage dans la banlieue de Londres d'origine espagnole et un marin trop souvent absent, ne préparait pas du tout à la scène.
Pourtant, lorsqu'à l'occasion d'une proposition de mettre les enfants à l'abri des bombes, il se retrouve par hasard près d'Oxford, dans une maison de style élisabéthain auprès de Mr and Mrs Lawrence, c'est tout à fait par hasard encore qu'il va découvrir ce qui passionne le mari : la magie…
Evergrene.
Le terme - qui désigne le lieu-dit où il passera une enfance dorée auprès d'un couple sans enfant qui le considère comme le leur – restera gravé dans son esprit et synonyme d'un profond bonheur, bonheur qui ne peut que disparaître puisque la guerre va bien finir par se terminer elle aussi. Mais le jeune Ronnie reviendra d'Evergrene totalement transformé, et mordu par la passion inculquée par son mentor Eric Lawrence : il deviendra magicien.
Les thèmes principaux de ce « Grand Jeu » de
Graham Swift tourne tournent autour de l'illusion, de la prestidigitation, mais aussi de la disparition – comme ce père marin, très souvent absent, proclamé « disparu » en mer – mais sans que Ronnie n'en sache vraiment plus.
On pense au roman de
Christopher Priest, «
le Prestige », adapté ensuite au cinéma par
Christopher Nolan avec Scarlett Johnson dans le rôle de l'assistante des deux magiciens. Une jolie assistante, c'est indispensable pour détourner l'attention des spectateurs.
L'époque des années 60, que l'auteur fait ici magnifiquement revivre, concentre les prémices de ce qui deviendra « l'Entertainment » à grande échelle, mais pour l'instant il y est question d'artisanat, de music-hall, de baltringue – à l'image par exemple d'un couple comme « Shirley et Dino » en France aujourd'hui – d'acteurs de pacotilles, sans encore le cinéma et la machine hollywoodienne pour l'industrialiser.
On ira de suspense en suspense, avec des allers et retours dans le passé puis dans le futur qui embarqueront le lecteur dans ce scenario épique. Duquel le trio ne ressortira pas indemne : quelques tours et puis s'en iront.
« Jack s'était penché vers Eve : Des tours ? Des illusions ? C'est quoi la différence, Eve ? Expliquez-moi ».
La fin révèlera un ultime secret, une boite secrète qu'on n'imaginait pas, car l'auteur a plus d'un tour dans son sac. Mais on ne dira rien pour ne pas réduire le plaisir des futurs lecteurs. « le monde est un théâtre où chacun doit jouer son rôle » - une phrase tout à fait juste, aussi bien en 1949 qu'en 2021.
Oui,
Graham Swift a sorti «
le Grand Jeu ». Et croyez-moi : celui-ci mérite d'être partagé.