BéréniceJean Racine (1639-1699)
Académie FrançaiseJean Racine né en 1639 à La Ferté-Milon est orphelin de mère à l'âge de deux ans et de père à l'âge de quatre ans. Il est élevé alors par sa grand-mère paternelle. À l'âge de dix ans il peut grâce à une abbesse qui aide sa grand-mère dans le besoin, accéder à une des meilleures écoles du royaume, l'École de Port-Royal des Champs, où l'enseignement est dispensé dans le respect d'une foi catholique teintée de jansénisme, c'est à dire humilité et ascèse, par de grands intellectuels. Il poursuit au collège janséniste de Beauvais, et termine sa rhétorique au collège d'Harcourt à Paris.
Il commence à fréquenter alors les mondanités parisiennes à la recherche d'un mécène pour survivre, car il veut écrire et non pas être avocat comme le souhaitait son entourage. Il trouve en Chapelain, poète académicien, une aide précieuse. Après un séjour chez son oncle à Uzès, il revient à Paris et entre à la cour du roi en 1663, y rencontre
Molière avec qui il se lie un temps.
Il entre à l'
Académie Française (créée en 1635 par Richelieu) en 1673, se marie en 1677 avec Catherine de Romanet avec qui il a sept enfants, devient l'intime du roi pour en devenir le secrétaire particulier en 1696. Il meurt à Paris en 1699.
Cette tragédie dédiée à Colbert, la cinquième de son auteur, fut présentée pour la première fois au public parisien en novembre 1670 à l'Hôtel de Bourgogne et apporta la consécration à
Jean Racine. La très célèbre Marie Champmeslé, maîtresse de Racine, était alors
Bérénice et Charles Chevillet était Titus.
L'intrigue : depuis la mort de Vespasien, père de Titus, tous s'attendent à une légitimation des amours qui lient celui-ci à
Bérénice, reine de Palestine. Ainsi s'exprime Antiochus s'adressant à
Bérénice:
« Il est donc vrai, Madame ? et selon ce discours,
L'hymen va succéder à vos longues amours ? »
Et réponse de
Bérénice parlant de Titus :
« Moi qui, loin des grandeurs dont il est revêtu
Aurais choisi son coeur et cherche sa vertu. » (Acte I scène IV)
Antiochus, roi de Commagène (un royaume situé au sud-est de la Turquie), ami proche de Titus, est secrètement amoureux de
Bérénice depuis de longues années ; il décide, à l'approche du mariage désormais imminent, de fuir Rome - ce qu'il annonce à
Bérénice en même temps qu'il lui avoue son amour. de son côté, Titus ayant sondé les assemblées romaines qui s'opposent aux noces proposées décide de renoncer à prendre pour femme
Bérénice. Phénice, la confidente de
Bérénice la met en garde :
« Rome vous voit, Madame, avec des yeux jaloux ;
La rigueur de ses lois m'épouvante pour vous.
L'hymen chez les Romains n'admet qu'une Romaine ;
Rome hait tous les rois, et
Bérénice est reine. »
Réponse de
Bérénice convaincue de la toute puissance de l'amour de Titus :
« le temps n'est plus, Phénice, où je pouvais trembler.
Titus m'aime, il peut tout, il n'a plus qu'à parler :
Il verra le sénat m'apporter ses hommages,
Et le peuple de fleurs couronner ses images.
De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur ?
Tes yeux ne sont-ils pas tout pleins de sa grandeur ? » (Acte I scène V)
Titus demande à Paulin, son confident, quel est le sentiment du peuple ; il lui répond :
« Rome, par une loi qui ne se peut changer,
N'admet avec son sang aucun sang étranger,
Et ne reconnait point les fruits illégitimes
Qui naissent d'un hymen contraire à ses maximes. » (Acte II scène II)
Titus à Paulin :
« Je voulais que ton zèle achevât en secret
De confondre un amour qui se tait à regret. » (Acte II scène II)
Bérénice s'interroge sur l'attitude de son amant et Titus répond :
« N'en doutez point, Madame, et j'atteste les dieux
Que toujours
Bérénice est présente à mes yeux.
L'absence ni le temps, je vous le jure encore,
Ne vous peuvent ravir ce coeur qui vous adore. » (Acte II scène IV)
Titus, qui a pris sa décision, alors envoie Antiochus annoncer la nouvelle à la reine.
Titus à Antiochus :
« Je n'attends pas de vous de ces sanglants exploits,
Et je veux seulement emprunter votre voix.
Je sais que
Bérénice, à vos soins redevable,
Croit posséder en vous un mai véritable.
…
Au nom d'une amitié si constante et si belle,
Employez le pouvoir que vous avez sur elle.
…
D'un espoir si charmant je me flattais en vain :
Prince, il faut avec vous qu'elle parte demain.
…
Soyez le seul témoin de ses pleurs et des miens ;
Portez-lui mes adieux, et recevez les siens.(Acte III scène I)
Antiochus est accablé par cette mission :
« Titus m'accable ici du poids de sa grandeur :
Tout disparaît dans Rome auprès de sa splendeur ;
Mais, quoique l'Orient soit plein de sa mémoire,
Bérénice y verra les traces de ma gloire.
…
Entrons chez
Bérénice ; et puisqu'on nous l'ordonne,
Allons lui déclarer que Titus l'abandonne… »(Acte III scène II)
Bérénice force Antiochus à parler et alors ne peut croire que Titus renonce. Antiochus confirme la décision :
« Il faut que devant vous je lui rende justice :
Tout ce que dans un coeur sensible et généreux
L'amour au désespoir peut rassembler d'affreux,
Je l'ai vu dans le sien. Il pleure ; il vous adore ;
Mais enfin que lui sert de vous aimer encore ?
Une reine est suspecte à l'empire romain.
Il faut vous séparer, et vous partez demain. »(Acte III scène III)
Bérénice est désespérée. Titus également.
Bérénice s'exclame :
« Eh bien ? il est donc vrai que Titus m'abandonne ?
Il faut nous séparer ; et c'est lui qui l'ordonne !
Titus de répondre :
« N'accablez point, Madame, un prince malheureux.
Il ne faut point ici nous attendrir tous deux.
…
Je sais tous les tourments où ce destin me livre,
Je sens bien que sans vous je ne saurais vivre,
Que mon coeur de moi-même est prêt de s'éloigner,
Mais il ne s'agit plus de vivre, il faut régner.
Alors
Bérénice parle et les phrases prononcées sont parmi les plus belles qu'ait écrites Racine :
« Pour jamais !Ah, Seigneur ! songez-vous en vous même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir
Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ? »( Acte IV scène V)
Bérénice veut partir et ajoute à l'adresse de Titus :
« Hélas ! et qu'ai-je fait que de vous trop aimer ?
…
Êtes-vous pleinement content de votre gloire ?
Avez-vous bien promis d'oublier ma mémoire ?
Mais ce n'est pas assez expier vos amours :
Avez-vous bien promis de me haïr toujours ? »
Et Titus répond :
« Non, je n'ai rien promis. Moi que je vous haïsse !
Que je puisse jamais oublier
Bérénice ! »(Acte V scène V)
Dans l'ultime scène, les trois héros sont réunis pour la dernière fois, et Antiochus avoue à Titus qu'il fut son rival.
Bérénice annonce la séparation et le départ avec pour seul viatique les souvenirs.
Antiochus :
« Oui, Seigneur, j'ai toujours adoré
Bérénice.
Pour ne la plus aimer j'ai cent fois combattu.
Je n'ai pu l'oublier ; au moins je me suis tu.
Et
Bérénice vers Antiochus, désespéré, qui souhaite mourir :
« Sur Titus et sur moi réglez votre conduite :
Je l'aime, je le fuis ; Titus m'aime, il me quitte. »
La culture du XVIIe siècle était très sensible au thème choisi à savoir l'évocation des instants cruels précédant la séparation forcée et définitive d'un empereur romain Titus, et d'une reine de Palestine,
Bérénice, deux êtres qui s'aiment infiniment. le thème du renoncement amoureux est on ne peut plus romanesque et la pièce séduisit immédiatement un public avide de culture antique. Les temps ont changé de nos jours mais cette pièce reste très attractive avec des acteurs de grande renommée comme Lambert Wilson,
Carole Bouquet et
Gérard Depardieu.
Titus et
Bérénice : deux êtres émouvants et particulièrement
Bérénice, reine étrangère d'un pays vaincu et colonisé, victime de xénophobie de la part de nationalisme et de l'impérialisme romains. Seule contre tous,
Bérénice ne peut rien pour sauver l'amour de sa vie, Titus obéissant à la raison d'État. La tragédie nait de l'affrontement de deux impératifs inconciliables, car Titus ne peut mettre en danger sa mission à la tête de l'Empire au nom d'une passion amoureuse.
La relecture de cette sublime tragédie cinquante ans après l'avoir découverte m'a procuré un plaisir immense. La beauté du texte et le rythme des alexandrins est totalement envoûtant. Sans doute le chef-d'oeuvre de
Jean Racine.