Phèdre était la pièce préférée de Racine. Là, Jeannot, je ne suis pas d'accord avec toi ! Si la versification du maître tragédien est au top depuis
Andromaque, l'argument dramatique issu de l'amour contrarié de
Phèdre pour Hippolyte est autrement plus faible que pour la femme d'Hector,
Iphigénie ou encore
Britannicus.
Cependant, Racine modernise encore le drame d'
Euripide déjà rafraîchi par
Sénèque. Pour cela, il donne une vraie dimension tragique à deux personnages négligés dans les versions précédentes : Thésée et la nourrice Oenope. En accablant cette dernière, il soulage en même temps
Phèdre d'une vilenie rancunière pour ne lui laisser que son rôle d'amoureuse interdite : l'héroïne tragique n'est plus si méprisable alors que la nourrice connaît elle aussi un destin tragique.
Mieux encore, Racine introduit un nouveau personnage, Aricie (existant dans certaines légendes), prisonnières de Thésée, et dont Hippolyte, chaste et misogyne dans les versions antiques, est amoureux. Aricie humanise grandement Hippolyte en même temps qu'elle cristallise la jalousie de
Phèdre. L'humanité des personnages est d'autant plus grande que les références divines et les influences de Vénus et Diane sur
Phèdre et Hippolyte respectivement ne sont que lointaines.
Toujours porté vers le tragique, Racine repousse la mort de
Phèdre après celle d'Hippolyte ce qui permet à celle-ci de devenir la vraie héroïne d'une histoire dont Hippolyte était plutôt antérieurement le personnage central (Racine avait d'abord appelé sa pièce
Phèdre et Hippolyte).
Pourquoi Racine n'a-t-il pas poussé le drame encore plus loin à la faveur de deux possibles quiproquos ? 1-
Phèdre pouvait se méprendre sur l'attitude d'Hippolyte se comportant en beau-fils attentionné redonnant ainsi espoir à son amour 2- Hippolyte aurait pu croire que l'amour coupable que lui reprochait son père était celui pour Aricie (dont Thésée avait tué les frères, par ailleurs ses cousins) et non l'agression de
Phèdre.
J'aime beaucoup cette pièce, comme toutes les tragédies antiques de Racine, mais pas tant par rapport à ces autres tragédies justement que par l'expression de son génie tragique qui lui permet de décupler le potentiel du mythe initial et d'éclipser ses prédécesseurs grec et latin ; au point que le mythe de
Phèdre s'identifie de nos jours à ce qu'en a écrit Racine.