Tant de choses à dire à propos de
Phèdre de
Jean Racine.
À mes yeux, la plus extraordinaire démonstration de la pureté de la langue française.
Je l'ai lue, je l'ai relue, je l'aime, je suis bouleversé, je pleure et je recommence la lecture.
Mais plutôt que de vous embêter avec un ressenti, je vais partager avec vous quelques observations, témoignages du génie de Racine et qui sait, peut-être clés de votre plaisir de lecture.
Jean Giraudoux a dit : «
Phèdre a vingt ans ou je ne comprends rien ».
Il a raison.
Oubliez l'image poussiéreuse de la belle-mère qui aime son beau fils. Elle a 20 ans et elle découvre l'amour. Elle aime pour la première fois. C'est l'histoire d'un premier amour.
Hippolyte doit en avoir 16, de même qu'Aricie, prisonnière politique.
Ces trois là aiment pour la première fois. Rappelez vous l'émotion de votre premier amour pour lire
Phèdre.
Phèdre est captive. D'un monstre qu'elle espère mort, nommé Thésée, archétype de la brute guerrière ivre de sang, de femmes et d'une vision laide de l'honneur (qui est plus de la territorialité que de l'honneur). Ce monstre qui a pris et abandonné sa soeur sur une île (Ariane et son fil) avant de la prendre elle, comme un vulgaire butin.
Phèdre enterre ses sentiments, comme elle-même, dans l'ombre mais elle est descendante du dieu du Soleil.
Ombre et lumière, tout le temps.
En elle et dans la structure même de la pièce.
La pièce est séparée en deux parties (5 actes mais deux parties) : une dans la lumière de l'amour qui s'avoue, l'autre dans l'obscurité de la tyrannie qui éteindra l'amour jusqu'à la nuit de la mort.
Elle est même si bien séparée en deux parties distinctes que l'alexandrin du milieu de la pièce est l'exact point de passage de la lumière vers l'ombre. Vers 827 : « Le roi, qu'on a cru mort, va paraître à vos yeux ». (Allez-y, vérifiez).
Thésée est vivant, il revient, fin de l'espoir.
Lumière puis ombre.
Jour et nuit qui s'abat.
Autre conseil, lisez la dans la version éditée par la pléiade.
Je m'explique…
La ponctuation n'est pas la même dans la pléiade que dans les éditions genre folio à 2€.
Quelle est la différence ?
Les points finaux ont été remplacés par des virgules afin de laisser les phrases chantées, en l'air, avec cette musique si particulièrement vibrato et ridicule qu'on imite naturellement en imitant du vieux théâtre tragique en toges.
Oubliez tout cela et lisez simplement des phrases avec sujet, verbe et complément.
Des phrases concrètes qui ne font que révéler les coeurs.
Je ne dis pas merci aux romantiques français qui se sont permis au 19eme siècle de détruire la ponctuation voulue par Racine afin de faire coïncider l'esthétique de la pièce avec la leur.
Enfin, une observation qui n'est pas de moi mais que je suis très heureux de partager.
Racine est un des auteurs les plus pauvres en vocabulaire de la langue française.
Si au quotidien, nous employons environ de 3000 à 4000 mots pour notre usage, Racine lui, en utilise à peine 1600 pour sa pièce.
Pourquoi si peu ? Mon sentiment est qu'il cherche à aller « à l'os », à l'essentiel, parce que les mots sont essentiels pour dire les passions mais pas n'importe lesquels, simplement ceux qu'il faut.
Aucun « J'aime » de la
littérature n'a autant résonné en moi. Ce « j'aime » de l'acte 2, l'aveu à Hippolyte, lu mille fois ailleurs mais qui est ici la plus immense des déflagrations.
Je sais que cette pièce a traumatisé des milliers d'élèves à cause de ses supposées vieilleries mais si l'envie vous reprend de la lire et de combattre les clichés que nous avons toutes et tous à son sujet, ne pensez pas que c'est du théâtre, c'est l'amour et la vie, c'est une jeune femme qui aime malgré l'interdit. Et c'est sublime.
Ah lala, ça y est, je vais encore chialer.