Ce roman étrange est composé de fables ou plutôt de farces rabelaisiennes, pleines de sexe et de magie. On y découvre des trolls aux seins pendants, des enfants-crapauds, des pierres magiques et des paysannes qui se donnent du plaisir avec des légumes et donnent naissance à des bébés difformes. Les personnages grotesques se succèdent et nul n'est épargné, pas même les prêtres stupides et concupiscents.
Ces fables moyen-âgeuses sont racontées par le grand père à son petit fils, victime comme lui de crises d'épilepsie et d'hallucinations.
Il s'agirait de l'histoire de leurs ancêtres, de pauvres paysans danois superstitieux entrés en possession d'un oeuf magique en or, qui selon les uns seraient source de fertilité, source de graves ennuis pour les autres.
Mais pour le grand père, la fertilité c'est surtout la capacité à raconter des histoires et en cela, le lecteur est gâté.
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Elle n’avait pas vu une telle splendeur depuis le jour où, neuf mois plus tôt, les rois de légende avaient traversé leurs champs de seigle au galop, et la vieille a compris qu’elle venait d’avoir des éclaircissements sur l’un des grands mystères de l’univers : les enfants des riches venaient au monde en étant riches eux-mêmes. Les enfants de pauvres naissaient pauvres.
Et si les gens la trouvait suspecte - si, par exemple, ils associaient son nez à celui d'un rat, si sa peau ne leur semblait pas de la bonne couleur, si un relent de pourriture flottait autour d'elle, si sa démarche leur faisait croire qu'elle n'était pas un être humain mais une sorte de sorcière, ou encore un de ces êtres qui répandaient les maladies, de mèche avec les forces occultes -, alors on ne l'accueillait pas seulement par le silence, mais par des jets de pierres et des cris hostiles. Sur son chemin, elle a été plusieurs fois chassée par des hommes armés de flambeaux, par trois fois, on a lâché des chiens sur elle et, une fois, un sauvage sur le dos d'un bœuf peint en vert et décoré de plumes criardes a galopé après elle, tout en agitant une épée : « Va-t'en, Satan ! Fiche le camp ! »
Seules nos histoires connaissent une vie moins pitoyable, ces histoires que nous racontons à la veillée, ces histoires qui nous font pouffer de rire et verser une larme, quand nous les racontons près de la haie qui sépare nos champs, ou à la dernière rangée de l'église quand les paroles du curé sont trop ennuyeuses, parce qu'il nous parle avec une langue destinée à des âmes plus élevées que les nôtres. Les histoires peuvent continuer leur course dans le monde comme de jeunes enfants, mais à la différence des enfants, qui sont distraits, impertinents et parfois effrontés, les histoires, elles, n'oublient rien. Elles n'ont pas de mal à se souvenir même quand nous les avons oubliées. Elles vivent à l'ombre de notre mémoire, ou au grand jour dans nos souvenirs, si on sait le comprendre.
Ils m'ont trouvé dans le marais, coincé dans une racine d'arbre, sur une motte. J'avais une jambe cassée. Les deux grands garçons avaient filé chercher de l'aide, ils avaient croisé le père de la voisine qui a essayé de me faire du bouche-à-bouche sur la rive boueuse du marais en attendant l'arrivée de l'ambulance. "Qu'est-ce qui s'est passé ?" a-t-il crié. Qu'est-ce que c'est que cette histoire?" (page 9)
Sa fille était un terreau fertile qui attendait la bonne semence. Si la semence était pourrie, le seigle ne montait pas.