Les éditions du Sous-Sol continuent leurs publications/traductions à la gloire du magazine «
The New Yorker ». Après le récit de sa réceptionniste
Janet Groth (dont j'ai lu quelques extraits à l'occasion de cette chronique) voici, portée par l'air du temps, la publication d'une anthologie de sa journaliste la plus chevronnée,
Lillian Ross, et ses soixante années de carrière.
Je les remercie, avec Babelio, pour l'envoi de ce livre, mais surtout pour nous sortir des livres aussi remarquables que ceux de
Ben Marcus ou de
Mariana Enriquez car, vous l'aurez compris avec ma note, ils auraient mieux fait de s'abstenir dans ce cas-ci…
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Il va falloir rudement se justifier, lorsque l'on va en sens inverse d'un Salinger, ou des commentaires plus convenus du milieu cinématographique, où tout le monde est forcément « amazing » (mais les choses changent.) …
On devra également s'interroger sur les avis de notre presse, décidément moribonde, qui nous parlent en coeur « d'une leçon de journalisme » (voir
Le Figaro et les Inrocks… manquent Télérama et le Monde… ha oui… Libé n'avait plus le temps…), tous ayant probablement oublié celles d'
Albert Londres, Ryszard Kapuściński,
Hunter S. Thompson, et beaucoup, beaucoup d'autres…
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Première leçon, dispensée comme mise en exergue sur le rabat de couverture :
« Je me dis toujours que je vais rédiger mon histoire comme un court métrage, avec un début, un milieu et une fin. »
Oui… bon… on cligne un peu des yeux (difficile de réfléchir avec cette chaleur), hésitant devant ce qui pourrait ressembler à une porte enfoncée gisant au sol, alors que l'on parcours l'introduction de l'actuel directeur de publication d'un magazine aux abois qui se veut encore mythique, nous promettant une pionnière à l'écriture austère mais efficace, appuyant ses dires sur un tas de noms connus, dont les patriarches
Tom Wolfe et
Norman Mailer… on se dit qu'on va passer un bon moment… sous l'égide de la curiosité…
L'introduction de
Lillian Ross nous en apprend un peu plus sur le contexte, et fonctionne comme il se doit, avec beaucoup de remerciements obligés… mais sans nous renseigner sur le choix des textes, leur articulation, etc.
La date de publication de chaque article est à chercher à sa conclusion, petit couac… encore un…
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On démarre avec un texte sur une jeune actrice qui deviendra par la suite
Mary Poppins, où l'auteure nous relate leur rencontre telle l'aube radieuse d'une certaine mélodie du bonheur. On y remarque l'emploi du « nous » dont l'introduction nous parle comme mise en situation, et puis c'est déjà fini…
Vient ensuite ce texte déjà vanté sur le maccarthysme à Hollywood, à l'habile impertinence, bien que mettant déjà en lumière une certaine absence de structure.
Puis un interlude Beatles, avec un mot sur deux étant un nom propre, et l'on commence à douter…
Viennent alors deux articles sur
Robin Williams, certes intéressants, mais convenus dans leur côté hagiographique — alors qu'une forme de liberté insolente nous était promise, avec comme exemple son article « plutôt négatif » sur
Hemingway, encore à venir — débouchant sur un moment isolé où
Al Pacino déclame du
Shakespeare, où l'on commence vraiment à se demander ce qu'elle voulait dire par « début, milieu et fin », alors que cette première partie « acteurs » se clôt sur une discrète pirouette à l'humour tout anglais…
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L'espoir renait avec ce moment de bravoure que représente ces quelques jours passés à l'ombre d'
Hemingway, trente-deux pages où l'auteure nous raconte en détail tout ce qu'il se passe et se dit, sans omettre ses fines observations, qui passent alors pour de la modernité, elle qui ne fait qu'exprimer sa vérité, l'ours des grands espaces l'ayant adorée !
S'ensuivent trois articles plutôt courts et inégaux, avant de conclure cette section « écrivains » par un direct au foie : trois pages consacrées à la doublure d'
Oprah Winfrey… le tout ne dépassant pas le stade du bavardage pris sur le vif… on commence réellement à s'interroger (ont-ils voulu en « mettre pour tout le monde » ?)
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La section plus sociologique « Jeunes Gens » retrouve des papiers d'une longueur plus « livresque », mais toujours avec cette apparente absence de structure, autre qu'un déroulement linéaire suivant la temporalité du récit, comme celui de ce groupe de jeunes d'Indiana visitant New-York, où l'auteure s'efface complètement, elle qui jusqu'ici donnait l'illusion de faire du « nouveau journalisme ».
On commence à carrément ricaner lorsqu'un article à propos d'un joueur de baseball est composé en grande partie par « un élève de CM1 », sans que cela fasse une grande différence avec le reste (je n'exagère pas, si l'on revient à son article sur le dramaturge
Edward Albee, les similitudes sont étonnantes…)
Traversant les décennies et les générations de jeunes gens, sa plume n'en change pas vraiment pour autant, s'arrêtant toujours sur ces descriptions de vêtements ou d'objets dont les marques n'ont pas l'élégance de s'effacer…
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La partie consacrée à des personnalités new-yorkaise alterne le bon ( le matador, le diamantaire, où l'on rencontre des personnalités hors du commun ), et le consternant, avec ce long et fastidieux article sur l'organisation d'un de ces typiques diners de charité, où une plume plus alerte et moins catalogue auraient pu y faire des merveilles ( imaginez si H.S. Thompson y était invité… nous offrant sûrement un inoubliable « Parano au Rotary Club »), pour finir sur trois très courts articles dont on oubliera le sujet sitôt terminé…
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Enfin, les « Gros Poissons », regroupant ces moments passés avec quelques monstres sacrés (Coco Chanel,
Fellini, Chaplin), sans que rien de bien folichon n'en sorte…
On notera la présence de la première partie son reportage « Picture », qui a donné lieu à la sortie d'un livre, qu'il faudra se procurer en V.O. (pour le moment) afin d'en apprécier la suite…
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En conclusion, (oui, ceci est une manière pas très élégante de vous signifier la fin prochaine de ce billet…) vous aurez compris que je n'ai que très peu apprécié ces lectures, n'y trouvant absolument pas les « qualités littéraires » promises, comme ces descriptions systématiques et futiles des vêtements des personnages, ces introductions suffisantes aux seuls « insiders », ces fins abruptes, etc.
Le choix des articles parait plus que discutable, et personne ne nous dira comment il a été réalisé (l'auteure ? le magazine ? au pif ?).
En cherchant un peu, on se rend compte que ce livre n'est que la traduction littérale de « Reporting Always: Writings from
The New Yorker », livre sorti en 2015, quelque temps avant sa mort à l'âge canonique de 99 ans.
Un autre choix d'articles aurait très bien pu donner une meilleure impression à l'ensemble, mais je reste convaincu que sa popularité auto-laudative est a chercher ailleurs que dans un véritable talent.
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De grands journalistes, de tous bords, ont déjà bénéficié d'anthologies nettement plus appréciables et, m'excusant par avance aux Editions du Sous-Sol, je ne résiste pas à vous en donner une liste, à se procurer en lieu et place de celui-ci :
«
L'Amérique, 1965-1990 : Chroniques » par
Joan Didion
«
Partis pris » par
Henry-Louis Mencken
« La Grande Chasse au Requin » suivi de «
Le Nouveau Testament Gonzo » par
Hunter S. Thompson
«
Oeuvres » par
Ryszard Kapuscinski
Et beaucoup d'autres, tous ayant en commun le fait d'être « intéressant », quel que soit le sujet et son niveau de maîtrise par le lecteur…
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Au Sous-Sol : sortez-nous plutôt les deux recueils inédits de
Ben Marcus, et merci malgré tout pour ce livre qui va très vite se retrouver au rayon « nouveauté » de mon bouquiniste / recycleur préféré…