Tout d'abord, un grand merci à masse critique et aux éditions mémoire d'encrier pour la réception de ce bel ouvrage!
Qu'en dire? Comme souvent en poésie, j'ai lu, relu, je suis revenue en arrière, j'ai gardé quelques phrases qui sonnaient particulièrement bien...
Rodney Saint-Eloi a une écriture très rythmée, en vers libres, impression que cadence encore plus l'usage répété du mot "tambour", qui, insistant, vient marquer le tempo, battre la pulsation du sang des ancêtres qui coule chez l'auteur et de ce coeur toujours vivant...
"Ecrire pour ne pas mourir", attaque le poète. C'est dit : ce sera un récit cathartique ou ce ne sera pas. "Exister vivant parmi les vivants".
Le poids du poète, celui qui l'empêche d'exister vraiment, en tant qu'identité libre, ce qui l'empêche de se nommer, c'est le poids de ses ancêtres ; non pas ses ancêtres directs mais l'histoire de l'homme noir, l'histoire de l'esclavage, des cales, des bateaux qui font naufrage, des champs de coton, l'histoire des coups et des humiliations, l'histoire des chants donnés au ciel et des cris qui signent l'espoir, tout cet ouvrage est sous tendu par cette terrible désaffirmation de son soi, comment la nommer autrement? "écrire s'écrit au futur" (p.19) parce que sans écriture, il n'y a pas d'avenir possible, pas d'invention, de réinvention, de liberté. "l'histoire m'écrabouille" (p.24)
Et en même temps, cette histoire qui coule dans ses veines, il la porte sans la connaître, cette transmission c'est celle de tout un peuple : "j'écris sans souvenir" (p.36) et "je ne sais pas conjuguer / le verbe savoir" (p.37).
La porter oui, mais ne rien glorifier, ne rien placer au-dessus des autres : ni l'histoire, ni les pays, ni son propre nom, ni les auteurs qui jalonnent son chemin d'écriture, comme
Pessoa par exemple ; St Eloi fait le choix de ne mettre aucune majuscule, aucune ponctuation ; la mécanique des mots, le rythme du tambour, les images feront tout. Tout est voué à disparaître, les ancêtres comme leurs chants, toute création, qu'elle soit humaine ou terrestre, "tout sédimente / tout s'ensilence / tout disparaît" (p.35)
J'ai beaucoup aimé ce lien très intime avec la nature, les forêts, les animaux, le vent la pluie le soleil ou le sable la mer les marées la liste serait longue... J'ai aimé cette recherche de soi ("je n'étais pas convié à ma naissance"), cette plongée dans les origines, cet effort de réinvention même si je ne suis pas sûr que la fin soit bien plus positive que le début...
Une jolie découverte!