Curieux livre, qui sert d'introduction aux deux précédents de Salamé. Il est donné une enfance à son commissaire Sarfati, malheureusement c'est un petit singe savant particulièrement agaçant, pris dans une intrigue à deux sous. Les autres personnages ne sont pas terriblement sympatiques non plus. Donc, l'enfance de Sarfati se passe en pleine guerre d'Algérie, à Djelfa et se termine pendant les massacres d'Oran. Mais ce livre a le mérite d'attirer l'attention sur Messali Hadj, passé aux oubliettes de l'histoire (jamais au grand jamais je n'ai entendu dire que la manifestation de Sétif1 945 était une manifstation messaliste, ce qu'elle était, pourtant). Aurait-il été une meilleure chance pour l'Algérie, comme le laisse entendre l'auteur ? Bien malin qui pourrait le dire... Les luttes sans merci entre messalistes et FLN et les rivalités entre les combattants de l'intérieur et les armées de l'extérieur sont largement décrites, sans grande tendresse pour le FLN de l'extérieur. Les massacres d'Oran sont traités en romancier, par un romancier. Je lisais en parallèle le livre de J.-J.Jordi "Un silence d'état" sur les disparus civil de la guerre d'Algérie et les massacres d'Oran, travail d'historien et il était intéressant de lire les deux ouvrages en parallèle.
En conclusion, si l'on cherche de la bonne littérature romanesque, on peut s'abstenir, mais si l'on cherche une fresque historique sur la guerre d'Algérie et un point de vue stimulant et nuancé, d'une grande érudition, loin de la doxa des uns ou des autres, je le conseille très vivement.
(Quelques petites erreurs, à ma connaissance, mais pas de nature à changer le sens de l'ouvrage)
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Mon prénom est Serjoun, Serge en français. Bien que je sois à peine un adolescent, j’ai décidé de rédiger mes mémoires de l’été 1962, l’été qui a vu l’indépendance de l’Algérie, pour ceux qui l’auraient oublié. Comme disait Grand-mère, paix à son âme, il faut savoir tout craindre, mais aussi tout tenter.
Il s’est passé beaucoup d’événements atroces pendant cet été à Oran, des histoires plus terribles que celles des films américains, des tragédies qui valent bien celles de l’Antiquité. Les adultes pourront tirer profit de mon témoignage car malgré mon jeune âge, j’ai été aux premières loges de l’embrasement final, le massacre des Européens et la bataille fratricide des combattants algériens. L’indépendance fut une fête dans tout le pays, mais dans la ville d’Oran, le méchoui avait le goût de la chair humaine.
Dans notre famille, aussi loin que l’on remonte, nous avons toujours vécu en Algérie, autochtones parmi les autochtones des États barbaresques, Indigènes au service des Indigènes de la Barbarie, puisque c’était ainsi qu’on nommait cette terre jusqu’en 1830. Beaucoup de gens perçoivent dans cette période reculée le temps de l’ignorance, font débuter l’Histoire du pays avec la naissance du FLN, le déclenchement de l’insurrection du 1er novembre 1954. Ce sont eux les ignorants. Grand-mère avait vu passer les insurrections bolchevique et kémaliste, la guerre du Rif, la fin du mandat français en Syrie, deux conflits mondiaux, la libération de l’Indochine ; elle m’a donné une vision beaucoup plus vaste des choses, avec plein d’autorités pour clore le bec des ignorants.
Les Français n’ont jamais compris les Algériens. Ils ont toujours cru que l’édification d’un État moderne pouvait tout disculper, le machinisme pallier l’injustice.
« Il y a trois mondes dans l’Algérie française, disait un boulanger algérois, dont la famille avait fui l’Alsace occupée en 1871 : l’Olympe de notre communauté laborieuse, un îlot de bicots argentés qui a les moyens de paresser au soleil, et l’immense plèbe de dégénérés qu’il faut dresser au travail. »
Ce malentendu devait coûter sa terre natale à la souche européenne installée là depuis cinq générations.
Les Turcs n’étaient pas des tendres, ils ont dû en brûler des villages par-ci par-là, le meurtre politique était leur technique de gouvernement, mais ils ne jugeaient pas les autochtones comme une espèce inférieure d’humanité ; ils craignaient leur révolte, ils épousaient leurs filles, ils les associaient à la conduite du pays. Aucun de leurs administrateurs n’aurait osé dire que faire entrer le peuple algérien à l’Assemblée, c’était prostituer la République. En trois siècles d’occupation, le Grand Turc n’avait jamais déplacé deux millions de personnes, brûlé des régions au napalm, instauré des zones interdites et des camps de regroupement.
Les produits manufacturés de qualité, les ports florissants, les réseaux de bus, de chemins de fer et de lignes aériennes, les hôpitaux et les écoles, les villas de maître et les voitures rapides, les journaux, la radio et le cinéma, c’est intéressant quand tout un pays en profite. Or la civilisation française, jusqu’en 1958, n’avait touché que le littoral algérien et les plaines voisines, partout ailleurs, hors les villes de garnison, c’était un monde archaïque, réglé par la course du soleil et les apparitions de la lune, une terre de hauts plateaux caillouteux et de dunes étouffantes, remuée péniblement à l’araire et à la houe pour les uns, foulée en quête d’herbes vives pour les autres, où la richesse était une bonne santé, des enfants et quelques moutons ; le luxe, un cheval fringant et un vieux fusil Lebel, et pour le reste, la magnanimité d’Allah.
L’honneur avait toujours eu plus de valeur que la vie humaine sur cette terre famélique : l’on thésaurisait le respect comme ailleurs l’argent. Et c’étaient ces Indigènes passés maîtres dans l’art de la survie, pointilleux sur les signes honorifiques, plus irascibles que des Iroquois, que le colon, par la mécanique infernale du régime colonial, expropriait, volait, bastonnait, bafouait.
Guy de Maupassant, qui s’était immergé dans ce monde plus vieux que la machine à vapeur, disait : l’Arabe supporte tout, puis il tue. Nous les Indigènes, berbère ou judéo-berbère, noir ou sang-mêlé, descendant ou non des fils de l’Orient, étions tous des Arabes en ce sens.
Voici ce qui s’est passé. En 1943, quand l’Algérie était le centre de la France libre, les Algériens ont cru un instant qu’on allait rattraper le temps perdu, leur accorder les mêmes droits qu’aux Français. Après tout, ils avaient donné leur sang pour la France, et sans compter. Le mirage fut vite dissipé. Alors, de rage, le mai 1945, dans la région de Sétif et de Guelma, il y eut une tentative de soulèvement armé, dans lequel, malgré l’impréparation, Messali Hadj se laissa embarquer, persuadé que les Anglais et les Américains interviendraient. C’était si mal emmanché que l’affaire tourna tout de suite à la débâcle ; les responsables clamant que c’était une manifestation pacifique. Comme toujours quand c’est brouillon, quand le service d’ordre vient à manquer, un ouragan de sauvagerie s’abattit sur les fermes isolées et une centaine d’Européens furent suppliciés au nom du djihad.
La répression fut terrible, barbare, disproportionnée : quinze mille Indigènes furent exterminés, en majorité des innocents, pour que le souvenir soit plus marquant. Remarquez bien cette proportion : pour un Européen assassiné, on massacra cent cinquante autochtones. Un pour cent cinquante, cela vous donne le prix du bougnoule. Dans la Bible et dans le Coran, on dit dent pour dent, œil pour œil, c’est la loi du talion, une vie pour une vie. Mais les Français jugeaient cette équation largement insuffisante, il fallait réviser ces vieux codes quand il s’agissait des Nord-Africains. Cent cinquante Indigènes pour un Français, voilà le bon taux de change à la foire aux massacres ! Ce taux devint une habitude, comme on le vit dans le Nord constantinois lors de l’insurrection de 1955, où une petite centaine de victimes françaoui fut vengée par des milliers et des milliers de têtes basanées. Sans ce taux à l’esprit, les atrocités du camp de l’indépendance ne sont pas intelligibles.
Comment vous décrire les retrouvailles avec ma mère? Dans la famille, nous sommes peu loquaces en matière de sentiments, comme les Indigènes en général. Cela n'empêche pas un amour animal, sauvage, qui s'exprime par des empoignades, des crispations musculaires, des baisers furieux.
Le mot « révolution » ne sortait pas de nos bouches. En réalité, le terme que nous utilisions était thawra,qui signifiait à la fois coup de colère, excitation, insurrection. La racine avait pour sens « se lever »,« se dresser » (pour un chameau), mais aussi « être agité,
excité ». Le vocable thawra voulait dire à l’origine « excitation » ; il véhiculait des évocations bien plus chamelles que celui de « révolution ». C’était l’arabe maghrébin qui lui avait donné son sens politique. Par la magie des nervures secrètes qui
liaient les mots entre eux, quand nous prononcions thawra,et nous l’employions à tout propos, c’était comme si un siècle d’injustice et
de colère refluait sur nos lèvres.
Chaque intelligence humaine était éclairée par l’intellect divin, comme la lumière rendait les objets visibles. Cet intellect s’était incarné dans le Coran, un écrit à la fois universel et personnel, destiné à tous les hommes et au cœur de chacun d’eux en particulier. Je ne devais jamais l’oublier en mémorisant la sourate que j’apprenais : c’était en pensant que ces versets avaient été écrits à mon mon intention, révélés pour interpeller Serjoun Ben Bajou bou handala en personne, qu’il me fallait les apprendre. À cette condition, le Coran contenait les réponses à
toutes les questions, tous les secrets du passé, du présent et du futur.
1001libraires.com - L'audio-portrait de Barouk Salamé
Avec Arabian thriller, Barouk Salamé offre une suite royale au terribLe Testament syriaque qui nous promènera en Arabie Saoudite et singulièrement à la Mecque, territoire interdit aux infidèles... Un superbe thriller qui mélange le roman d'aventures et le roman d'espionnage et qui rend un bel hommage à l'Islam et à sa culture. Rencontre exclusive avec un auteur aussi discret que méfiant.