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4,13

sur 1371 notes
Envoutant !

Première lecture de cet auteur et addiction assurée.
Une dystopie sur fond de pandémie magistralement orchestrée.

Le mal qui se répand à vitesse vertigineuse parmi la population est un aveuglement : aussi soudain qu'il est contagieux.
Cet aveuglement a une particularité : il est blanc.

Rapidement, les autorités perçoivent la gravité de cette contagion. Elles espèrent donc pouvoir contenir cette pandémie mais pour cela une seule solution : parquer les personnes devenues subitement aveugles dans un site sécurisé et contrôlé. Un asile de fous à l'abandon fera l'affaire. Dans une autre aile du bâtiment, seront confinés les cas contacts qui ne sont pas encore aveugles mais qui ne vont certainement pas tarder à le devenir.

Nous suivons donc un groupe de quelques personnes parmi les 1ères contaminées.
Le cas zéro –un homme - qui a consulté son ophtalmologue dès qu'il est devenu aveugle.
Le médecin ophtalmologue , lorsqu'il deviendra lui-même aveugle après la consultation avertira immédiatement les autorités d'une possible contagion. Cette contagion se révèlera exponentielle dans les heures qui suivirent ces 1Er cas.
Les autorités viendront donc chercher à leur domicile ces quelques personnes pour les isoler en pensant contenir la catastrophe.
Le femme du médecin qui se refuse de laisser son mari simulera son aveuglement pour être embarquée en même temps que lui. Se disant que de toutes façons, sa cécité ne tardera pas à apparaître.
Se joindront rapidement à ces personnes, quelques autres toutes en contact avec ces 1ER cas.

L'asile de fous désaffecté dans lequel ils seront parqués, sans eau, ni électricité va vite ressembler à l'enfer.

José Samarago livre le quotidien de ces hommes et femmes enfermés dans des conditions inhumaines à travers les yeux de la femme du médecin qui est la seule à voir. Seul son mari sait qu'elle n'est pas encore touchée par l'aveuglement.
Progressivement, d'autres aveugles sont introduits dans l'asile, chacun tenant de trouver une place dans ce bâtiment insalubre qui se transforme en quelques jours en un gigantesque « merdier » au sens propre comme au sens figuré.

Peu nourris, aucun confort, aucune hygiène, ces hommes et femmes sont traités pire que des bêtes. Sans aucune perspective ni information sur la situation de la pandémie.

Dans ces conditions extrêmes, se révèlent le pire et le meilleur de chaque être humain. Et même ici, dans cette zone où le quotidien est une lutte contre la faim, la puanteur, les insectes, la maladie, l'Homme attiré par la soif de pouvoir et de contrôle sur ses congénères trouvera le moyen de violenter, détruire et abuser les plus faibles.

Ce roman est hypnotique. II se dégage de ce récit une espèce d'urgence accentuée par la structuration de l'écriture : des phrases longues, séparées seulement par des virgules, des dialogues qui se succèdent sans saut de ligne. C'est un peu déroutant au début, mais je m'y suis très vite habituée.

Aucun des personnages n'a de nom, José Saramago les présente uniquement par leur situation ou leur rôle : le médecin, la femme du médecin, la femme aux lunettes teintées, le vieillard au bandeau…. Et pourtant malgré cette distance et cet anonymat, on ne peut faire autrement que s'attacher aux personnages.

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Personne n'est épargné par une mystérieuse épidémie qui rend tout le monde aveugle sauf une femme. A la fois une bénédiction et une malédiction puisqu'elle seule peut guider ses amis et sa famille dans une société qui s'enfonce dans le chaos. Privé de tout repère, privé d'espoir, cet ouvrage décrit de manière magistrale une société et ses hommes qui s'effondre en un éclair.
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En temps de pandémie, j'ai d'abord pensé à relire La peste. Puis j'ai eu vent de L'aveuglement, d'un autre prix Nobel dont je ne connaissais pas même le nom. Dès que la circulation des biens non essentiels a repris, je me suis donc procuré ce roman et me suis attelée à la tâche; car, pour moi, ce n'a pas été une lecture facile. le style est dense et les descriptions longues et parfois lourdes à digérer: on comprend vite l'horreur à laquelle conduit la concentration d'aveugles dans un camp sans quasiment d'autres ressources que leur propre ingéniosité et l'auteur aurait pu, selon moi, épurer un peu les descriptions. Saramago a sans doute, par l'accumulation des détails sordides, le dessein de nous faire voir (si j'ose dire) la bassesse humaine, sa peur, son avidité et son goût de la domination lorsque l'occasion se présente… le tout a des allures de fable, avec un message moral, ceux (incluant celles) qui se sortent le mieux de cette situation extrême étant ceux qui sont capables d'empathie et de de solidarité. Il y a sans doute aussi un message d'ordre philosophique à y voir (encore une fois, si j'ose dire), la cécité physique dont souffrent la plupart des protagonistes faisant écho à l'aveuglement dont nous souffrons tous, préférant ne pas voir les choses qui dérangeraient le confort quotidien dont nous jouissons.
Pour faire court, sans avoir l'enthousiasme de la plupart des lecteurs, cette lecture m'a suffisamment interpelée pour que j'explore un peu plus la production de cet auteur bien reconnu.
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"L'aveuglement" fera partie de ces livres dont le contenu m'aura plu mais dont le style m'aura laissée sur le bord de la route. L'écriture fait certes écho à l'histoire, elle reflète l'atmosphère de confusion et de grand bouleversement : on ne sait pas toujours qui parle, qui fait quoi, nous lecteurs, avons aussi notre part d'aveuglement.
C'est un style parfaitement cohérent, mais avoir conscience de la qualité littéraire d'un texte ne permet pas toujours de rentrer dedans. Bref, j'ai eu du mal à avancer, j'ai trainé sur un mois ce petit roman de 360 pages. Mais je suis contente de l'avoir lu et je pense qu'il me restera longtemps en mémoire parce que le sujet est tout à fait fascinant.
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Je découvre José Saramago avec l'aveuglement et je ne suis pas déçue.
Dans ce roman dense, il fait le choix de ne pas donner de nom à ses personnages. Il désigne ces anonymes par certaines de leur caractéristiques tels "le premier aveugle", "La jeune fille aux lunettes teintées", ou "La femme du médecin".
Le style est difficile au premier abord car compact, avec des phrases longues, des dialogues sans ponctuations, guillemets ou tirets.
Mais une fois dans l'histoire, difficile de la lâcher, car dans cet univers aliéné où tous les humains perdent la vue, on est tenu en haleine par le déroulement des événements chaotiques qui s'enchaînent et on se demande ce que va devenir ce monde aveugle. Un unique personnage n'est pas touché par cette "épidémie" de cécité et c'est une petite touche optimiste dans ce récit sombre.
Ce livre est une belle découverte.
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Je ne savais quasiment rien de ce roman avant de le lire, mis à part qu'il traite d'une épidémie d'aveuglement. On pourrait s'attendre, en ayant désormais connu nous-même une pandémie, à trouver des similitudes entre la réalité et ce roman, des pensées de type « il l'avait déjà imaginé ». Loin de là. Nous n'avons pas connu le véritable enfer, tel qu'il est décrit ici.
Rarement j'ai été aussi déstabilisée par un roman au moment de l'introspection pour en sortir une pensée construite en vue d'une critique écrite. Ma note dit que j'ai apprécié ma lecture. Mais qu'en ai-je pensé ? Je crois que j'aurais bien eu besoin d'en discuter de vive voix avec d'autres lecteurs. Car c'est je crois avant tout un roman qui donne envie de voir des gens et de communiquer avec eux, de débattre sur ce qu'est et ce que n'est plus l'humanité, la dignité, sur ce que l'on croit voir mais que l'on ne voit pas, sur la perte de sens. Un véritable sujet de philosophie.
Je ne vais pas refaire le résumé, la trame est simple : si une maladie extrêmement contagieuse rendait subitement aveugle au sens littéral du terme d'abord une puis quelques personnes, puis toute une nation, quelles en seraient les conséquences ?
D'abord : tenter d'endiguer cette maladie coûte que coûte. L'auteur met les victimes dans des conditions extrêmes, inhumaines, qui font penser à celles des camps de concentration ou (j'imagine) des léproseries. La solidarité fonctionne dans un groupe restreint, puis les contraintes sont telles, notamment celles de la faim, que certains hommes se transforment en bête. Voyage au bout de l'enfer.
Puis : à plus grande échelle, c'est la perte de toute l'organisation et de la logistique sociétale, indispensable dans notre mode de vie urbain et moderne. On voit venir la fin inéluctable des ressources et l'impossibilité physique d'y remédier. Fin du voyage.
Mais José Saramago ne nous fait pas « simplement » le récit dystopique d'un scénario conduisant à la fin de l'humanité. Son roman est truffé de métaphores sur tout ce qui nous rend aveugle au sens figuré, et de messages sur sur les valeurs de la vie. C'est plus un conte philosophique moderne, assez universel dans ses thèmes et ses messages. Je trouve que la première partie, crue, noire, du huis-clos, est beaucoup plus intense et aboutie que la partie dans la ville.
J'ai beaucoup aimé le style de l'auteur, de prime abord déroutant mais on s'y fait très vite, qui consiste à intégrer les dialogues dans le corps du texte et à les identifier avec une ponctuation minimale (virgule et majuscule). Cela accélère la lecture et donne un sentiment d'urgence très adapté au thème. L'écriture de José Saramago est magnifique, avec un grand sens de la formule, c'est un régal de lecture.
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Il a fallut qu'un voyageur Brésilien de passage m'ouvre les yeux, je ne connaissais rien de Saramago-le-prix-Nobel. Et lui tant. Alors voilà comment ça a commencé chez nous et déjà dans cette maison d'autres vont finir rapidement ce roman!
L'écriture est pleine, concentrée, parsemée avec discernement de dictons, de phrases de vie et autres vocabulaires adaptés à l'aveuglement. Nous sommes plongés dans les ténèbres d'une société qui ne voit plus. Qui ne voit pas. Disons qui n'a jamais vu finalement.
le scénario est donc simple: une épidémie rend aveugle. le postulat est accepté sans difficulté tant on est embarqué dans cette horreur sociétale. Certaines scènes sont vraiment impensables mais à y penser, si dinguement, elles sont carrément envisageables. L'auteur a trouver toutes les failles de notre humanité. Il nous les expose dans un décor apocalyptique digne de walking dead.
Alors voilà comment ça a commencé chez nous et déjà dans cette maison d'autres vont finir rapidement ce roman incontournable!
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Avec ce livre, je sors de ma zone de confort. Je n'aime pas trop le genre anticipation.
Lu dans le cadre du challenge Globe-trotter.
Tous les habitants d'un pays sont plongés dans une cécité, avec une seule exception une femme, compagne du médecin.
Dans ce livre, il y aura beaucoup de blessés et de morts.
Les survivants seront-ils tirer les leçons du passé ?
Une lecture angoissante et oppressante et très dure. On s'en souvient longtemps.
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Tout peu basculer...Un jour, un monde s'effondre. Comme ça. En un claquement de paupières. Écrit en 1995. Et pourtant si contemporain.
Lire l'aveuglement avant ou après 2020, est-ce emprunter le même chemin ?
2023 offre un peu de recul. Mais comment ne pas être saisi.e.s par le récit terrifiant que nous adresse José Saramengo ?
Un mal , jusqu'à lors inconnu, s'abat sur un monde.
Il faut prévenir, circonscrire le mal, proclamer des quarantaines, dans l'urgence. La violence, l'ignorance, ...la barbarie règne et se déploie.
Adieu les droits, adieu démocratie, adieu liberté, fraternité. égalité.
A tel point qu'on ne s'est plus de quel côté de trouve l'aveuglement, et qui perd dans ce chaos son humanité. C'est presque un huit clos dans lequel l'humanité s'effondre, combat, survit, et dans lequel quelques un.e.s en réchapperont.
Lire l'aveuglement de Saramengo, en 2023.
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich.
Astrid Shriqui Garain.

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Cordelia Vorkosigan : « Il suffit de trois jours pour que l'homme de l'espace redevienne l'homme des cavernes » (Cordelia Vorkosigan, p41).
Quant à l'homme de la Terre, José Saramago ne lui donne pas plus deux jours…
Pessimiste, le Saramago ? Chacun se fera son idée, en tout cas le grand auteur portugais fournit quelques arguments dans ce roman terrifiant !


Roman coup de poing, assurément. Roman coup de coeur, finalement non. Et mes 4 étoiles qui signent habituellement un très bon cru, tentent ici de traduire un compromis entre la claque qui m'a maintenu scotché pendant une petite moitié et la saturation qui a suivi.


L'auteur m'a donné une telle impression de maîtrise et d'aisance qu'il m'est venu l'idée qu'il aurait tout aussi bien pu produire un tel roman sur la base d'une idée arbitraire, et sa longue bibliographie me conforte dans cette idée. Je veux dire, après le style particulier, deux choses sautent aux yeux quand on lit Saramago : la virtuosité de sa technique littéraire et l'acuité de son regard critique sur la société. Ces deux choses-là semblent n'admettre aucune limite chez lui. Qu'on lui donne un fil de n'importe quelle matière et Saramago le transformera en fil d'or, brodant à l'envi et les phrases et les idées. Et derrière le compliment apparaît peut-être en filigrane, cette fois-ci grossièrement brodé, la gêne que j'ai fini par ressentir : le péché par excès (d'effets stylistiques, d'étude des moeurs) et par absence (quid des attendus du roman ?). Mais sur ce dernier point je serais déjà moins critique car je pense qu'en fin de compte, Saramago ne cherche pas à raconter une histoire. Avant tout, Saramago aime (bien) parler et parler bien. Donc, malgré le pitch et la première partie prometteuse, je pense que ce concept d'aveuglement n'est qu'un prétexte, au plus un fil conducteur narratif. Même pas un fil conducteur pour les idées développées : il n'y a pas de démonstration en dehors du cadre général de l'étude de la nature humaine. Dans ce roman, Saramago parle de la société tout entière, de tous les sujets qui le touchent et qu'il aimerait nous faire toucher du doigt, spécialement les sujets qui font mal et ceux d'apparence banale mais qui font honte et qu'on fuit. Certes, il brodera également sur le sujet annoncé à la moindre occasion, mais ce thème-là ne représente pas plus de dix pour cent de son propos. Détail révélateur : le fléau dont il retourne n'est pas développé. Seul deux faits sont donnés, qui lui donnent un semblant de réalité : deux phrases, une au début, une à la fin, répétées itérativement. On ne pouvait faire plus minimaliste et artificiel. La « gestion sanitaire » du gouvernement, avec toute la connotation qu'on peut en percevoir à notre époque post-covid, est à peine plus esquissée.


Même si elles ne sont pas marquées, trois parties structurent clairement ce roman.

Les 50 premières pages sont consacrées à la phase d'exposition, qu'on croirait extraite d'un film catastrophe hollywoodien. Cette première partie est admirable, à tous points de vue. Elle introduit les personnages principaux que l'on va suivre, initialement dispersés dans un quartier urbain mais tous liés les uns aux autres par des relations familiales ou par le hasard des rencontres. Elle introduit également le thème principal sans tarder puisque ces personnes vont être les premières touchées par le mystérieux virus qui rend les gens subitement aveugles (et pour ces malheureux le verdict tombe comme un couperet, par de petites phrases sèches bien senties qui ponctuent les rares paragraphes). La façon qu'a l'auteur de jongler avec les trames est opportuniste et fait écho à la façon dont fusent déjà ses observations pertinentes et impertinentes à la fois.

La seconde et principale partie transfert l'action dans un ancien asile psychiatrique où sont mis en quarantaine nos personnages (une déportation dans les faits). C'est un huis clos parfait qui rompt avec le rythme de l'introduction. Âmes sensibles, soyez prévenues : dans ce théâtre sinistre vont se jouer les pires actes qu'on puisse imaginer. le ton détaché, presque tranquille de la narration est trompeur. Heure après heure, jour après jour, les sévices et les drames s'amoncellent, l'horreur grandit, la folie guette. C'est une lente montée en enfer fort bien rendue, éprouvante pour le lecteur. Ce huis clos se termine par un climax libérateur (dans tous les sens du terme) qui se profilait depuis un certain temps.

La dernière partie m'a laissé perplexe. Elle occupe le tiers final du roman et il ne s'y passe pas grand-chose, même si la verve de l'auteur ne tarit pas. Les personnages maintenant libérés errent et tentent de survivre dans une ville devenue inadaptée à des aveugles. Il n'y a plus de tension dramatique, on ne sait pas où veut nous emmener l'auteur, ailleurs que d'appartement en appartement. Un long moment de flottement et de répétitions dans une atmosphère très post-apo (on retrouve l'ambiance des premières scènes de roman « Anna »). Pour les personnages, pour les humains, c'est l'heure du bilan et de la remise en question. le roman se termine par un dénouement très logique compte tenu des circonstances dans lesquelles le « mal blanc » est apparu.
Je n'aurais pas craché sur ce même dénouement (ou tout autre) immédiatement après le climax de la seconde partie. Parce que ces 120 dernières pages donnent l'impression que le roman n'en finit pas de ne pas finir.


Saramago a un style très fort, certainement unique. Chez Saramago, tout est fort d'ailleurs.

En surface, il y a bien sûr cette réappropriation de la ponctuation et de la présentation du texte. Ni parties ni chapitres. Quelques paragraphes tout au plus pour marquer le temps qui passe. La virgule pour marquer la pause et quelques points concédés pour reprendre son souffle. Parce que pour Saramago, le texte est une partition ininterrompue faite de notes et de pauses.
J'ai essayé de m'y faire et j'ai plus ou moins réussi puisque je suis arrivé au bout de la lecture. Mais bon, personnellement, l'expérience a été plus pénible qu'autre chose. Certes, au bout de quelques pages, on se surprend à lire assez vite ces rangées de caractères. L'écriture très précise de l'auteur compense, ainsi que l'attention qu'il porte sur les cas d'ambiguïté, n'hésitant pas à recourir à des constructions typiquement lourdes et redondantes (mais qui s'accordent bien avec son style) pour clarifier les référents ou le propos. La lecture reste pénible : tout le long durant, une partie de mon cerveau était monopolisée par un traitement algorithmique de surface, à la volée, tentant d'attribuer à chaque virgule l'un des nombreux sens possibles desquels découle l'interprétation correcte du texte. Parfois, le traitement en surface échoue et nécessite une analyse plus profonde pour comprendre le sens. Ces difficultés sont malheureusement décuplées par le style narratif de l'auteur dans lequel fusionnent dialogues et récits, et se mélangent différents types de narration.
Dans La Route, Cormac McCarthy adopte un style intermédiaire. Sans guillemets ni tirets, les dialogues restent lisibles et le rythme aussi effréné que celui insufflé par Saramago, si ce n'est davantage. Aussi, McCarthy compense ses phrases interminables par des paragraphes doublement espacés. À partir du moment où Saramago marque ses paragraphes par un alinéa rentrant, je ne vois pas ce qu'on perd à sauter une ligne.


L'aspect le plus intéressant dans l'écriture de Saramago reste son usage de la langue.
Un style très académique et logique. Un style délicieusement pompeux, qui m'a rappelé la langue dans laquelle Simak fait parler le narrateur des notes qui accompagnent les contes de Demain les chiens.
Saramago semble exceller dans le registre soutenu. Peu de mots rares, mais une richesse impressionnante de constructions syntaxiques (des tours comme disent les linguistes) qu'il semble mettre à profit pour donner libre cours à l'expression de son discours.

Souvent cela n'a l'air de rien, mais derrière la simplicité apparente se cache une grande élégance :
« […] seul le chien qui avait bu les larmes accompagna la femme qui les avait pleurées »
Cette phrase est doublement intéressante car elle introduit le personnage du chien et la façon dont il sera nommé dès lors : « le chien des larmes ». En effet, Saramago a recourt à de (très) nombreux effets de style, et l'un d'entre eux consiste à nommer les personnages principaux (dont fait partie le chien) par des caractéristiques physiques ou des liens relationnels (la femme du médecin…). McCarthy a fait la même chose dans La route avec « l'homme » et « l'enfant », mais sans doute avec des buts opposés : Saramago ne fait rien pour qu'on rentre dans la peau de ses personnages (j'y reviendrai), et je pense que ne pas leur donner un nom faisait partie du plan.

Parfois, le style devient ampoulé :
« […] encore que ne soit pas loin celui qui affirma qu'il n'y a pas et il n'y a jamais eu de contradiction entre une chose et l'autre. »
quand il suffisait de dire : « même si tout est possible. »

Autre exemple trop élitiste à mon goût, avec cinq cas de métonymie en dix lignes : les nombres, les volontés, les esprits, les enthousiastes, les pistolets.

Saramago use de nombreuses métaphores, le plus souvent pour appuyer son discours.
Ici, un rare exemple de métaphore poétique qui ne sert qu'au récit :
« […] les autres mirent un peu plus de temps [à se réveiller], ils rêvaient qu'ils étaient de pierres et personne n'ignore combien le sommeil des pierres est profond, une simple promenade dans les champs le confirme, elles y dorment à moitié enterrées, attendant de se réveiller d'on ne sait quoi. »
Et un peu plus loin la petite phrase qui donne tout son éclat à cette métaphore de la pierre :
« […] les éclaboussures aidèrent les pierres à se transformer en êtres humains »

Parmi les effets de style les plus amusants et surprenants, il y a cet usage immodéré des proverbes, comme :
« […] Allons-y, seule mourra qui doit mourir, la mort choisit sans prévenir. ».
C'est un véritable festival, entre les proverbes et les pseudoproverbes, je ne serais pas étonné qu'il y en ait une centaine, ce qui est assez hallucinant quand on y pense : placer un proverbe dans un roman est typiquement casse-gueule…


Si Saramago prend des libertés avec certains aspects du langage comme la ponctuation, j'ai trouvé son écriture globalement très académique, rigoureuse et précise.
Signe caractéristique, j'ai noté chez lui l'usage récurrent d'une technique particulière. Je n'ai pas de nom en tête pour cette technique, mais deux proverbes la caractérisent assez bien (eh oui, moi aussi je peux balancer des proberbes comme ça !) : le « Faute avouée à moitié pardonnée. » et, plus certainement dans le cas de Saramago qui sait ce qu'il fait, le « Mieux vaut prévenir que guérir. ». Il s'agit d'une stratégie bien connue des orateurs comme les politiciens, qui consiste à prévenir toute critique en en parlant soi-même en premier lieu. Ce procédé existe aussi chez les écrivains, mais semble être surtout le fait des écrivains « pointus ».
Quelques exemples :

Usage du registre familier :
« […] ce ne fut pas, comme on dit, d'une propreté nickel »

Usage d'un mot rare :
« […] l'eau du ciel y coulait lustralement, mot précieux »
Saramago utilise le registre soutenu mais, comme d'autres écrivains, il semble éviter les mots rares, peut-être parce qu'ils ont mauvaise réputation. En tout cas il estime que ce mot détonnerait trop ici, mais ne résiste pas à l'envie de le « placer » !

Usage d'un proverbe :
« […] petite pluie abat grand vent, que quelqu'un d'autre trouve donc la rime »
Le roman a beau comporter une centaine de proverbes, on a l'impression que l'auteur n'assumait pas totalement celui-ci dans le contexte, et a tenté de détourner l'attention du lecteur pour faire passer la pilule !

Focalisation externe rompue :
Cet exemple est énorme ! Juste avant, le narrateur habituel vient de passer deux pages à raconter un épisode très intéressant qui s'est déroulé dans une banque, sauf qu'on comprend bien que personne n'a pu être témoin de la scène, ce qui constitue clairement un cas de rupture de la focalisation externe que semblait respecter à la lettre Saramago… Et voici comment il s'en sort, tel un chat qui toujours retombe sur ses pattes :
« […] comme il n'y avait pas de témoins, et s'il y en eut rien ne porte à croire qu'ils eussent été appelés dans le cadre de ce procès-verbal à nous relater les événements, il est tout à fait compréhensible que quelqu'un demande comment il est possible de savoir que les événements se sont déroulés ainsi et pas autrement, et la réponse à donner est que tous les récits sont comme ceux de la création de l'univers, personne n'était là, personne n'y a assisté, mais tout le monde sait ce qui s'est passé. »

En général j'apprécie ce genre de procédés. Cela dit, quand ils reviennent un peu trop souvent comme c'est le cas dans ce roman, cela finit par me faire grincer des dents : je ne peux plus m'empêcher de voir la pirouette qui, à moindres frais, transforme une maladresse en tour astucieux ! Une arnaque… et aussi une pratique élitiste.


Autre caractéristique du style de Saramago : il y a comme une sorte de fusion entre récit et dialogue, entre le discours du narrateur et ceux des personnages. Je ne me souviens plus si c'est comme ça dès le début, mais je sais qu'à un moment, on ne pouvait plus ignorer ce curieux mélange des genres. Je ne parle pas de l'absence de ponctuation qui brouille déjà la frontière. Je parle du propos : à bien des moments il n'y a plus de différence entre le narrateur habituel et les personnages : tous sont capables de discourir sur la nature humaine de la même façon, et surtout avec le même langage (celui de Saramago). Je n'avais vu ça nulle part ailleurs. Ce fait étonnant s'avère cohérent avec le style de l'auteur, et me conforte dans le fait que Saramago cherche avant tout à parler librement de sa vision de la société, et que pour pouvoir le faire sans contraintes, il est prêt « sacrifier » la caractérisation de ses personnages pour en faire des sortes de relais du narrateur. Si je me souviens bien, hormis l'enfant qui ne dit presque rien, tous les personnages principaux fonctionnent comme cela. Et tous jouent aussi au jeu des proverbes !


Comme Margaret Atwood dans La Servante écarlate, Saramago adopte une narration en mode ralenti : dès les premiers mots, les événements sont décrits dans leurs moindres détails, même insignifiants (et certains le sont vraiment, insignifiants). Je pense que le but est le même dans les deux cas : donner le temps et surtout des occasions au narrateur de disserter et digresser pour raconter les choses vraiment intéressantes (la critique sociale dans L'aveuglement, le contexte dans La Servante écarlate). J'aime beaucoup cette technique narrative, mais je conçois qu'elle puisse rebuter.


Sur les idées, que dire ? Saramago est un humaniste. Difficile de ne pas adhérer. Presque à chaque coup, je trouve sa pensée juste et sa manière de le dire efficace et élégante à la fois. Ma seule réserve est qu'il y en a trop, et comme ça tire tous azimuts, il est difficile de retenir beaucoup de choses, même après seulement quelques jours !


Concernant l'intrigue : dans l'asile, le voleur de voitures menace la femme du médecin. Une piste qui retient l'attention mais qui est finalement abandonnée. La même chose se produit plus tard avec le véritable aveugle devenu le nouveau chef des scélérats.


Sur la crédibilité, j'ai noté les points suivants :

- Les conditions de la quarantaine mise en place par le gouvernement paraissent excessivement inhumaines.

- de même, le comportement des militaires.

- J'ai du mal à comprendre que les aveugles aient cédé aux chantages énormes (le premier sur les objets personnels, et le second sur le viol des femmes) du groupe des scélérats, alors même qu'ils n'avaient aucune garantie en retour.

- Les femmes du dortoir des personnages qui se mettent à coucher avec les hommes de leur dortoir, juste parce qu'elles vont être violées par les scélérats ensuite, pas tout compris.

- L'attirance de la jeune fille pour le vieillard aussi, je n'y crois pas, même si je comprends l'idée.

- J'ai du mal à croire que dans les conditions cauchemardesques décrites (où survivre un jour de plus est un exploit), un groupe dominant se soit amusé à instaurer des pratiques de viol en réunion. J'adhère plus à la vision de McCammon dans son Swan Song : les cruels Macklin et Roland correspondent aux scélérats et instaurent quelque chose d'équivalent quand ils sont près du lac, mais tant qu'ils sont piégés au coeur de la montagne (dans des conditions de confinement, de salubrité et de sécurité similaires à celles de l'asile psychiatrique), aucune pulsion sexuelle n'est rapportée.

En revanche, je suis à 100 % d'accord avec l'auteur sur l'importance du « facteur caca ». Étant donné l'exiguïté des lieux et le nombre de personnes parquées, ça me paraît l'un des points les plus sensibles. Ce thème est omniprésent dans le roman, je pense que cela peut rebuter aussi…



Quelques pistes de lectures :

Si le pitch d'une épidémie dangereuse qui semble se transmettre par un simple regard échangé à faible distance, si vous souhaitez voir cette idée développée davantage, ainsi que ses conséquences, si enfin, de la vraie SF ne vous fait pas peur, il y a Jean-Michel Calvez et son touchant Styx, roman très fort également, dans le registre des émotions et de l'humanisme.


Dans Les bras de Morphée,
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