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sur 1360 notes
Saramago, ce diable de Saramago… On comprend aisément à la lecture de L'Aveuglement que cette oeuvre ait marqué celles et ceux qui l'on lue. BLAM ! la claque ! Parce que ce petit pépère, avec ses grosses lunettes et son air de ne pas y toucher, nous envoie en pleine face l'immonde, l'indicible vérité ; la puanteur ensevelie en chacun de nous et qu'on juge totalement inavouable.

Inavouable parce qu'on a honte de nous même, parce qu'on a honte de se savoir fait de cette argile-là. Argile qui vue d'ici ressemble comme deux gouttes d'eau à de la merde. Oui, le mot est cru mais il n'en existe pas d'autre pour exprimer avec autant de force tout le dégoût qu'il contient. Fange, c'est trop joli, ça rime avec ange, alors que l'autre, il ne rime qu'avec lui-même ou bien des dérivés comme " emmerde ", " démerde " et, à la rigueur certaines formes conjuguées du verbe " perdre ".

Bon, je l'avoue, ce n'est pas tout à fait un hasard si j'ai choisi ces quatre mots car ils résument à eux seuls tout ce qui attendrait une communauté frappée d'aveuglement. D'abord ils perdent, puis viennent les emmerdes, alors il faut qu'ils se démerdent et finalement, ils pataugent tous dans leur … bon, bref, je vous laisse imaginer la suite.

Ce livre est vraiment étonnant et incroyable, car avec rien ou presque, en étant pourtant complètement dans le réel, en introduisant simplement une toute petite variable, il nous plonge dans la science-fiction pure et dure : c'est implacable.

Un truc tout bête : une personne tombe aveugle subitement en pleine rue au volant de sa voiture. En soi, même si c'est peu probable, on se dit que ça pourrait arriver. L'élément narratif qui modifie tout, c'est que cette pathologie est contagieuse ; toute personne approchant de cet aveugle le devient elle aussi en quelques minutes ou quelques heures.

Si bien que ce cas isolé ne tarde pas à devenir une épidémie sans précédent. Voilà, la science-fiction s'arrête ici, ensuite, il suffit juste de laisser agir l'humain sur cette mixture pour voir ce qui arrive. (Vous qui avez des yeux, profitez-en.)

Et là, c'est l'apocalypse ! Pas besoin d'être particulièrement clairvoyant pour s'apercevoir que José Saramago a une assez piètre opinion de l'humain en général et, malheureusement, nous ne saurions totalement lui donner tort. Se recrée alors un univers concentrationnaire, se recréent alors l'enfer pestilentiel des lazarets ou les ravages imaginables des villages de cholériques, tels qu'ont pu nous les décrire Albert Camus ou Jean Giono.

Toutefois avec cette nuance supplémentaire, à savoir qu'ici, le mal ne tue pas et donc qu'il autorise toutes les sauvageries, toutes les bestialités, toujours présentes en l'humain, en chacun de nous, et que le vernis social n'a qu'assoupi, conjoncturellement assoupi. L'histoire des camps de la Seconde guerre mondiale prouve, à qui en douterait encore, qu'en situation extrême les victimes se transforment facilement entre-elles en abjects bourreaux, en bêtes immondes dénuées de toute " humanité ".

José Saramago nous rappelle avec amertume que c'est pourtant " ça ", l'humain. Eh oui, on n'ose pas y croire, on en a honte, on ne veut pas le voir, et pourtant, c'est sans doute ce qu'il y a de plus universellement " humain " dans l'humain : la bestialité de son instinct de survie.

Cette première partie du livre, au sein du centre fermé destiné à recevoir les personnes frappées de cécité tandis que le reste de la société continue à fonctionner m'a littéralement enthousiasmée. Je la trouve horrible, absolument écoeurante mais je la trouve juste, bien sentie, très crédible, en tous points exceptionnelle. En revanche, j'ai été moins séduite par le second temps du roman, hors du centre fermé.

On sent que l'auteur a cherché à atténuer un peu son propos, à rendre l'humain un peu plus fréquentable, à ne pas passer pour un pur misanthrope. Selon moi, c'est une erreur : je trouve qu'il fait perdre un peu de sa puissance au livre. Mais cela n'engage que moi, comme je l'écris souvent.

Il faut maintenant en venir au message de cette seconde partie d'ouvrage, qui me semble intéressante aussi, mais dont j'ai moins aimé le traitement. En deux mots, le fait que nous sommes aveugles en croyant voir. Nous survolons, nous croyons connaître en ne faisant qu'effleurer, tant les choses, que l'organisation sociale à laquelle nous appartenons, que les gens que nous côtoyons. Nous nous figurons les connaître en n'examinant que leur " épiderme " psychique.

Nous sommes tellement, tellement plus complexes ; le monde dans lequel nous évoluons est tellement, tellement autre chose que ce que nous croyons qu'il est après un examen rapide, trop rapide, ce à quoi nous nous arrêtons communément.

On peut très certainement y lire aussi une forme d'avertissement d'ordre plus politique. La notion floue " d'intérêt général " qui pousse les états à parquer des hommes comme des bêtes dans un centre clos dénué de tout, même de l'essentiel. Et si l'aveuglement c'était ça aussi ? Notre cécité à percevoir la tyrannie dans ce qui se donne des airs démocratiques au-dessus de tout soupçon ?

Donc, prenons le temps… Explorons, avec tous nos sens si possible… Détachons-nous de notre aveuglement, et… lisons Saramago. Mais ce n'est bien évidemment qu'un modeste avis, qui n'y voit que d'un oeil, c'est-à-dire, pas grand-chose.

N. B. : Je tiens à remercier chaleureusement André qui m'a offert et permis de découvrir ce livre. Cette critique lui est amicalement dédiée ; il se reconnaîtra.
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Jose Saramago, prix Nobel de littérature en 1998 signe ici avec l'aveuglement une fiction ahurissante car de sa plume, il fait de l'inimaginable une réalité plausible mais combien effrayante.

Un homme perd la vue à un feu rouge. C'est le début d'une pandémie où chacun perdra la vue en très peu de temps. Une seule femme sera épargnée, la femme du médecin. Car ici, nul n'est nommé. le filou voleur de voitures, l'enfant louchon, la femme aux lunettes teintées, l'homme au bandeau noir. Saramago ne les nomme pas comme s'ils n'existaient déjà plus. C'est d'ailleurs là que se trouve le poumon de ce livre: être privé de la vue c'est être privé de la vie. Être privé de la vie, c'est être banni des règles de civilité, du respect, de savoir vivre et savoir être.

Ce premier petit groupe d'aveugles sera reclus en quarantaine dans un vieux dortoir désaffecté. Enfermés, privés de liberté, affamés et souillés. Ils devront faire face aux diverses humiliations suprêmes, la merde est partout, l'odeur devient pestilentielle. Quand arrive le second groupe de plus de deux cent personnes, les conflits s'annoncent.
Survivre est l'unique but pour ces aveugles. Si la solidarité permettait une certaine stabilité à dix, celle-ci éclate quand centuple le nombre. Car l'homme sait se montrer primaire, bestial, égoïste, tortionnaire pour assouvir sa faim. Certaines scènes ont été très éprouvantes. Quand un leader se forme et bascule dans l'ignominie. Inutile de vous faire un dessin, l'homme est d'une cruauté sans égale quand la société et ses jolies règles s'effondrent.

Ce roman d'anticipation est brillant, entraînant et addictif. Oppressant et nauséabond à souhait. Fourmillant de messages existentiels à la pelle.
L'écriture est intelligente et sait nous tenir en haleine.
On reprochera peut-être à l'auteur de ne pas s'attarder sur l'origine du fléau, sur les angoisses des uns et des autres de vivre dans le noir du jour au lendemain. Ce roman est une plongée en autarcie dans l'enfer humain. L'enfer c'est les autres disait Sartre, on nage en plein dedans.

Toute la complexité de ce roman tient à mon humble avis sur le message d'alerte et sur toute la symbolique visuelle que nous assène l'auteur. Pour voir, il faut être humain. Nous passons notre vie ensemble sans nous voir et pire, sans même nous comprendre. Sans nos yeux, territoire de l'âme, clés de la compréhension, de l'humanité, de l'ouverture, du monde, il nous est bien impossible de vivre de manière éclairée.
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L'Aveuglement” est le roman le plus captivant qu'il m'ait été donné de lire depuis longtemps mais aussi celui que j'ai refermé avec le plus grand soulagement. Son atmosphère oppressante et nauséabonde, rien que d'y penser j'en ai la chair de poule !

Imaginez une pandémie qui, en quelques semaines, frappe de cécité la population dans son ensemble ! La dimension extraordinaire et brutale du cataclysme empêche la mise en place de la moindre organisation salvatrice et engendre un chaos absolu.
Sans eau, sans électricité, les aveugles errent en groupes disparates à la recherche de nourriture qui jour après jour se raréfie dans les magasins saccagés. Les personnes les plus vulnérables expirent dans la rue au milieu des voitures abandonnées et des déjections de toutes sortes. Les cadavres encore chauds sont la proie de chiens faméliques, de rats énormes, d'oiseaux nécrophages...
Le lecteur accompagne un groupe d'une dizaine de personnes, les toutes premières victimes du fléau mises en quarantaine, qui dans son malheur a la chance inespérée de compter en son sein une femme qui voit encore. Cette dernière par prudence feint la cécité et seul son mari, médecin ophtalmologue, est au courant de cette heureuse anomalie du destin.

Avec “L'Aveuglement”, paru en 1995, le futur Nobel José Saramago signe une fiction incroyablement réaliste dans laquelle la bestialité prend rapidement le pas sur toute humanité. Heureusement le comportement altruiste et l'intelligence de la femme du médecin atténuent quelque peu la noirceur ambiante !
L'étrangeté de cette fiction est encore accentuée par la syntaxe singulière de l'écrivain portugais chez qui la virgule est reine.

Constamment collé aux basques des protagonistes dans leurs déplacements à tâtons, le lecteur sidéré par le degré apocalyptique de l'intrigue fera jusqu'au dénouement... les yeux ronds.
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Réglez vos mirettes !
Ni vu, ni connu, imaginez qu'un bonhomme, puis deux, puis trois, puis beaucoup, les enfants, les femmes, les construits, les déconstruits, les mal construits, les reconstruits et les bien foutus, everybody en body ou en peignoir, perdent subitement la vue au volant de leur voiture, pendant une séance chez un ophtalmo ou en beurrant des tartines.
Pas vu pas pris ? Et bien si. le gouvernement tente d'enrayer l'épidémie en réquisitionnant un hospice abandonné pour enfermer les victimes et les cas contacts. Quelques aveugles de naissance égarés sont également enfermés, principe de précaution oblige. L'armée est chargée de les rationner avec ordre de tirer à vue en cas d'évasion.
Dans cette quarantaine forcée, à la solidarité initiale entre victimes va succéder le pire et le meilleur de l'humanité. Pour ne pas abandonner son mari devenu aveugle, une épouse, bon pied bon oeil, s'est laissée enfermer avec les obtus de la cornée et va tenter de sauver son mari et ses anciens patients : un enfant bigleux, une jeune fille aux lunettes teintées, un vieillard au bandeau noir, le patient 0 et un voleur de voitures en bonus.
Comme la cécité a touché aussi bien de bons samaritains que de viles crapules, la loi du plus fort s'instaure au sein de cette communauté fortiche à Colin-maillard, où s'entassent plusieurs centaines de malades. En mode survie, revenus à l'état de nature, les besoins primitifs de chacun priment peu à peu sur toute humanité. C'est oeil pour oeil. Tout le monde peut se garer sur les places pour handicapés.
Je vous conseille d'acheter cette fable immorale du prix Nobel Portugais les yeux fermés. Ce texte, paru en 1995, n'est pas seulement dérangeant et passionnant, il nous rappelle de la façon la plus crue, dans un récit qui n'épargne aucun détail, qu'il est plus important d'observer que de voir sans regarder. L'auteur tape aussi comme à son habitude sur les pouvoirs autoritaires et sur l'individualisme.
Je n'ai pas suivi cette histoire en confiance comme un aveugle suit son labrador sur un passage piéton. José Saramago m'a fait traverser une autoroute les yeux bandés derrière un caniche. Il fait du lecteur un voyeur, détaillant ce que les personnages ne peuvent plus voir, les impudeurs, la saleté, l'oubli de soi et un rapport au corps débarrassé du regard des autres. Pratique pour se balader à poil dans son jardin mais un brin humiliant quand il s'agit de fréquenter les toilettes publiques en nocturne. Cette cécité protège finalement ses personnages de l'ignominie qu'ils supportent.
Ce roman, adapté au cinéma dans un film que Julianne Moore ne parvient pas à sauver malgré son talent ( « Blindness – 2008), prend une dimension de récit post apocalyptique quand les personnages quittent leur prison et tentent à tâtons de parcourir une ville où la recherche de nourriture constitue l'unique raison de vivre.
L'auteur portugais n'a jamais été tendre avec la religion mais ce roman a une résonnance biblique avec la parabole du Christ pour les pharisiens : « Ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Or si un aveugle guide un aveugle, ils tomberont tous les deux dans la fosse. » Source Evangiles selon Luc, Matthieu et Wikipédia qui marche aussi avec les moutons. Brueghel en a fait un tableau, forcément très gai.
Il faut croire qu'il n'y a pas que l'amour qui rend aveugle.
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Science-fiction et Prix Nobel peuvent cohabiter et même faire bon ménage : L'Aveuglement est un roman de José Saramago, prix Nobel de littérature en 1998, et seul auteur portugais à avoir eu cet honneur.

Un homme au volant de sa voiture ne redémarre pas au feu vert. Concert de Klaxons et protestations n'y feront rien : l'homme est subitement devenu aveugle! C'est inquiétant et intrigant, mais très vite on comprend que c'est le cas index d'une série interminable de cécités subites : le seul contact visuel avec une personne atteinte par ce « mal blanc » (ces aveugles-là ne sont pas plongés dans les ténèbres mais dans un vide blanc), provoque la maladie.

Rapidement les autorités réagissent et parquent les sujets atteints dans un hôpital psychiatrique désaffecté. Les conditions sont ultra-précaires et rapidement les parias sont confrontés à des obstacles de toutes sortes, et à des conditions d'hygiène épouvantables. Et une femme parmi eux s'en rend compte de manière plus aiguë que les autres puisqu'elle est la seule à ne pas être atteinte. Elle a juste feint le handicap pour accompagner son mari.

Lorsque les cas se multiplieront au dehors, l'existence des reclus, plus de trois cent dans des locaux destinés à recevoir nettement moins de pensionnaires, les conditions de survie deviendront inhumaines. Et c'est alors que se manifeste la part animale de l'homme.


Autant dire que le récit est terrifiant et l'empathie nous fait souffrir avec eux. Peu importe que l'idée de départ soit peu crédible. Les conséquences, elles, sont totalement plausibles. Et l'horreur de la dégradation physique et des souffrances charnelles est amplifiée par l'infamie des outrages psychologiques. C'est glaçant.

Le style est particulier et demande une attention soutenue : les dialogues ne sont pas séparés du récit, les phrases, juste sépares par des virgules, ce qui oblige à s'interroger sur qui dit quoi. Difficile de juger de la traduction, mais le style m'a plu parfois bizarre.

D'autres particularités rendent ce récit singulier, comme l'absence d'identité des personnages, nommés en fonction des circonstances qui les ont introduits dans le roman : la femme du médecin, le premier aveugle, le chien des larmes…

C'est un roman marquant. Merci à Gwen21 pour ce cadeau.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Une épidémie de cécité très contagieuse s'abat sur les hommes qui au fur et à mesure de leur contamination sont parqués dans un asile gardé par l'armée. Là les aveugles livrés à eux-mêmes découvrent l'enfer. Au manque de nourriture et à la saleté repoussante s'ajoutent la violence de l'armée et celle d'un groupe d'aveugles qui rançonnent violentent avilissent leurs compagnons de misère.

Les assaillants comme les victimes, femmes et hommes sans noms, sont les représentants anonymes de toute la société « le monde tout entier est ici ». Et si tous ont peur et certains voient dans leur malheur une punition de Dieu, les femmes s'avèrent plus courageuses et combatives que les hommes. D'ailleurs la seule personne épargnée par la cécité est une femme qui va se battre pour les aveugles victimes. Mais la tyrannie renversée, on peut se demander si cette femme souhaite un retour à un état antérieur susceptible de lui faire perdre sa prédominance.

Un roman cauchemardesque et terriblement angoissant (surtout en ce moment), d'une dimension symbolique évidente, où il semblerait que les fragilités d'une démocratie, incapable de gérer une crise sanitaire, soient ce que José Saramago entende dénoncer.

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Il était temps que j'écrive quelque chose à propos de ce roman alors que nous sommes en plein confinement à cause de cette pandémie du Coronavirus. Car, il s'agit bien d'une situation semblable dans ce roman où une épidémie des plus étranges se propage dans une ville pour atteindre tout le pays et se propager à travers le monde.

L'aveuglement est un roman atroce où le réalisme d'une situation imaginaire renforce cet aspect cruel de l'histoire. José Saramago conduit en maître la trame de son roman en décrivant jusqu'à où l'humanité entière peut s'abaisser et atteindre une bestialité hideuse. En effet, on suit le parcours d'un groupe de personnes, dont le nom n'est pas mentionné et qui sont mises en quarantaine après avoir été contaminées par une maladie étrange ; une cécité blanche ! Au fur et à mesure que l'épidémie se développe et que la base où étaient enfermées ces personnes reçoit d'autres malades, on assiste à une dégradation totale des principes et des moeurs. La panique et l'envie de survivre les poussent à faire des comportements inhumains. Tout cela on le voit grâce à la femme de l'un des malades ; la seule qui peut voir, par bonheur ou par malheur car elle sera témoin de toutes ces ignominies.

Ainsi, la perte de la vue entraîne la perte de ce garde-fou contre le mal. Les aveugles ne voyant plus rien se permettent tout et sachant que personne ne les voient, ils se sentent plus libres dans le manque de tout contrôle moral ou pénal. Par contre la cécité a permis aux gens de découvrir, de « voir » leur véritable nature, de sonder leur côté caché, presque diabolique. Car précisément ils étaient « des aveugles qui voient, Des aveugles qui, voyant, ne voient pas ».

Cette histoire des aveugles guidés par cette femme, comme l'image de la liberté guidant le peuple, au milieu des excréments, des cadavres et des ordures, est une horrible satire de l'infamie de l'Homme et de sa faiblesse ; son insignifiance. Cette femme réussit à les aider à survivre (surtout le groupe qu'elle guide) mais elle ne pourra pas, malgré ses efforts, à les tirer de leur bestialité. Cette histoire où les noms des personnages et des lieux sont absents prend une dimension universelle et répond parfaitement à la définition du roman selon Kundera puisqu'elle décrit mieux que n'importe quel essai la condition humaine. Chose ironique, le titre original est "Essai sur la cécité".

Le style de Saramago est assez singulier (pour ceux qui n'ont jamais eu l'occasion de lire ses romans). Les dialogues ont une forme inhabituelle puisque récit et dialogue ne sont séparés ni de tirets ni de guillemets ; seules, des majuscules nous informent du début de chaque réplique et du changement des interlocuteurs. La narration dense et compacte nous tient en suspens et l'on se voit parcourir des paragraphes qui s'étalent sur plusieurs pages et où la virgule est la reine. Mais dès qu'on s'habitue à son style particulier, on entre dans le jeu de Saramago.

Le roman est d'une profondeur remarquable, et sincèrement on ne sort pas indemne de cette lecture. Malheureusement, son adaptation cinématographique n'était pas à la hauteur de ce roman.
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Mon histoire avec Saramago est plutôt particulière. Elle a commencé il y a presque 15 ans, en même temps que mon attirance pour les prix Nobels. C'est sans doute le premier auteur récompensé par le prix que j'ai lu parce qu'il l'avait été. Après m'être rendu compte que trois de mes auteurs préférés (Camus, Faulkner et Garcia Marquez) étaient tous trois lauréats, j'ai commencé à regarder plus attentivement la liste complète. Et, ayant trouvé un livre de Saramago dans ma bibliothèque, j'ai donc commencé la découverte par Histoire du siège de Lisbonne, loin d'être un des plus connus de l'auteur. J'ai continué par L'année de la mort de Ricardo Reis, Cain... là encore des livres plus confidentiels de l'auteur. Et ce n'est que plus récemment que j'ai lu L'autre comme moi (après avoir vu l'adaptation ciné Enemy de Denis Villeneuve), déjà plus connu. La route me mène donc tout droit à L'aveuglement, sans doute le best-seller de l'auteur, en tout cas le plus lu sur ce site.

Comme pour la grande majorité de ses livres, Saramago commence par une idée simple mais forte. Ici c'est "Et si tout le monde devenait aveugle". A partir de là, il développe son style propre, fait de longs paragraphes à la ponctuation frustre, surtout composée de virgules. Les dialogues s'entremêlent, une petite musique s'installe. Les phrases trop bien construites sont le plus souvent ironiques mais on n'est pas à l'abri au détour d'une page de voir débouler la poésie, l'émotion, le sublime.

En partant de cette première idée simple, l'auteur semble vouloir en explorer toutes les implications, et il nous plonge avec lui dans les méandres de cette obscure clarté subie par ses protagonistes. On plonge ici surtout dans l'horreur de la situation, on descend à chaque chapitre d'un étage supplémentaire alors qu'on croyait être descendu au plus bas. Les conséquences les plus "quotidiennes" de cette cécité globale progressive sont explorées jusqu'à l'écoeurement. le questionnement est politique au premier abord, avec la gestion de la crise, mais dérive vite vers le religieux, le sociologique, l'existentiel pour venir questionner en profondeur notre humanité et ce qui en fait l'essence. On ne peut à certains moments que faire certains parallèles avec la crise sanitaire actuelle et sa gestion (et on en vient à se dire qu'on a quand même évité le pire !) et on se dit qu'une épidémie qui handicape les gens d'un sens est sans doute plus terrible que celle qui les tue... surtout si la contamination devient aussi rapidement globale.

A la fin de l'ouvrage, je me dis que Saramago reste lui-même, dans ses plus grands succès comme dans les livres plus confidentiels. Ce qui a sans doute fait le succès de celui-ci est l'effet plus "choc" de la grande idée de base, qui ne peut qu'interpeller tout lecteur, d'où qu'il soit dans le monde. Et c'est sans doute ce qui a aussi contribué à sa Nobélisation, survenue seulement 3 ans après la parution du roman.
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Au feu vert, les voitures s'élancent mais dans une file d'attente une voiture est arrêtée, les klaxons s'acharnent, des conducteurs excédés sortent pour pousser la voiture encombrant la circulation, mais l'homme à l'intérieur, paniqué, gesticule et crie : « je suis aveugle »… C'est le début d'une indicible épidémie qui s'abat sur le pays à une vitesse foudroyante, les gens sont subitement frappés par une lumière blanche et aveuglante. Seule une femme n'est pas touchée par l'épidémie, ses yeux deviendront précieux pour ces aveugles privés de tout repère.

La prunelle de nos yeux est précieuse mais savons-nous voir l'essentiel, «sommes nous des aveugles qui, voyant, ne voient pas ». Faut-il devenir aveugle pour réellement voir ce qu'il y a de plus caché en nous. Bandez vos yeux et imaginez ce que serait le monde si nous devenions tous aveugles. Saramago l'a étonnamment imaginé et nous raconte ce que serait le monde sans nos yeux.
Un roman paradoxalement lumineux qui m'a entrainée parmi cette horde d'aveugles anonymes, perdus et réduits aux mêmes conditions.
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L'Aveuglement (1995) est un grand livre, le genre qu'on n'oublie pas. José Saramago (1922-2010) est d'abord un conteur hors-pair. Il part d'une situation banale, des voitures qui attendent au feu rouge, vous présente un petit nombre de personnages ordinaires et les plonge peu à peu dans un monde terrible, apocalyptique. Sa phrase est sinueuse, labyrinthique, avec beaucoup de rythme. Et puis sa voix vous guide au milieu de celle des personnages avec sa petite lampe à huile quand vous êtes perdu dans l'allégorie, ou que vous êtes trop éprouvé par la cruauté des hommes. Il digresse volontiers avec une explication en aparté, un proverbe ou bien un dicton qui vous arrache un sourire tout en créant une connivence rassurante.

Un automobiliste arrêté devant un feu de circulation se trouve soudainement plongé dans une blancheur aveuglante. C'est le premier aveugle. Un homme serviable le ramène chez lui. Il lui volera sa voiture. L'automobiliste et sa femme se rendent chez l'ophtalmologiste. Dans la salle d'attente, un petit qui louche, un vieillard portant un bandeau, une jeune femme aux lunettes teintées. L'ophtalmologiste qui l'examine consciencieusement ne peut rien pour l'automobiliste. le soir en plein désarroi le médecin se confie à sa femme dévouée. le lendemain il est aveugle. Suivront la fille aux lunettes teintées en plein travail, le petit garçon louchon etc. La femme du médecin est la seule qui continue de voir. Elle décidera de simuler la cécité pour demeurer avec son mari. Les autorités sanitaires prévenues par le médecin placent le groupe en quarantaine dans le dortoir insalubre d'un ancien hôpital psychiatrique désaffecté.
Livrés à eux-mêmes, avec pour seul lien avec le monde extérieur, la voix mécanique d'un fonctionnaire qui leur donne des ordres à travers un micro, ils s'organisent tant bien que mal. Mais bientôt arrivent d'autres aveugles de plus en plus nombreux, de plus en plus affamés, de plus en plus sales. Les aveugles sont alors plongés dans la plus répugnante des promiscuités. Les gardiens apeurés reçoivent l'ordre de tirer à vue en cas de tentative d'évasion. Une horde de scélérats confisque la nourriture et réclame des femelles en échange de rations. Dans le groupe que nous suivons, la femme qui voit guide les autres…
Les personnages n'ont pas de nom, ils sont désignés par leur fonction ou par un détail physique qui les rendent proches et universels. Sans repères et sans regard sur eux-mêmes, les âmes sont nues et les corps sans pudeur. Chaque homme révèle sa vérité individuelle : impuissance, bassesse, lâcheté, cruauté mais aussi courage, sens du sacrifice. Les besoins primaires prennent le dessus sur tous les beaux discours. La peur paralyse le système démocratique et engendre la violence aveugle des soldats. A l'intérieur du groupe, l 'individualisme ne mène à rien face au chaos, à la violence. Mais comment s'organiser ? Comment se défendre ? La femme qui simule la cécité est plus lucide et clairvoyante que les autres mais souffre de voir l'horreur. Il est plus facile de se voiler la face et de détourner la tête. Son mari, le médecin dira à la fin du livre : « Je pense que nous ne sommes pas devenus aveugles, je pense que nous étions aveugles. Des aveugles qui voient. Des aveugles qui, voyant, ne voient pas. »

Merci Chrystèle !
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