Super intéressant et bien écrit. On y parle de la jeunesse des deux jeunes gens qui auront le sort de l'Europe entre leurs mains une décennie plus tard. Les évènements qui ont conduit à la Révolution française sont également bien décrits.
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Napoléon ressentit une tristesse soudaine, accablante, l’envahir. Cette ville avait été son foyer. Malgré toutes les années qu’il avait passées en France, il avait gardé Ajaccio et la Corse dans un coin de son cœur. Il s’était persuadé que son destin serait d’accomplir quelque chose d’important et de durable sur cette île. Tout cela était désormais terminé. La maison, dont il connaissait les moindres recoins comme il connaissait son propre corps. Le quai où il jouait, enfant, et écoutait les vantardises des pêcheurs. La citadelle, où il s’était lié d’amitié avec les soldats de la garnison, et qu’il avait essayé, après, de leur prendre. Tous ces endroits et tous ces gens avec lesquels il avait grandi, tout cela lui était désormais arraché.
— Et maintenant ? fit-il à voix basse.
Les oreilles de sa monture tressaillirent au son de sa voix. Napoléon se pencha en avant pour la rassurer d’une petite tape sur le cou.
— Tout doux.
Maintenant ? Il n’avait rien d’autre à espérer que de réussir à s’échapper. Une longue et dure chevauchée vers Calvi pour rejoindre le reste de sa famille l’attendait, puis ils prendraient tous le premier navire pour la France. Les Buonaparte débarqueraient en tant que réfugiés dans un pays étrange déchiré par la révolution, la guerre et l’insurrection. Quoi que le destin lui réserve, une chose était sûre, pensa-t-il : ses ambitions corses appartenaient au passé. Dorénavant, qu’il le veuille ou non, son destin était irrévocablement lié à celui de la France.
Il avait lu ces dossiers toute la matinée et, juste au moment où la masse de détails et d’analyses menaçait de devenir lassante, l’un deux retint son attention, peut-être parce qu’Arbuthnot avait personnellement supervisée l’étude du désastre de Toulon. Le nom de l’officier était déjà connu de lui, grâce aux rapports nébuleux de ses agents en France, et voilà qu’il le croisait de nouveau. Le général de brigade Napoléon Buonaparte, ou Bonaparte, comme il signait plus récemment. Tout en lisant, Arbuthnot compris que ce jeune homme à l’ascension fulgurante était bien plus doué dans les affaires militaires que la vaste majorité de ses pairs. Si la guerre contre la France devait se poursuivre encore plusieurs années, ce Bonaparte allait devoir être surveillé de près, car il pouvait poser un problème de taille aux armées britanniques. Arbuthnot finit de lire le rapport et, après un instant de réflexion, lui ajouta une note indiquant que le dossier devait être considéré comme prioritaire. Désormais, la carrière de Napoléon Bonaparte serait suivie de près par des yeux étrangers.
Il mit les deux dossiers côté à côté. Bonarparte et Wesley. Deux jeunes hommes très prometteurs, emblématique du genre d’officiers dont leurs pays auraient si désespérément besoin lors du prodigieux conflit à venir. Arbuthnot sourit. Si la guerre devait durer encore plusieurs années, tous deux risquaient de périr avant sa fin. Mais s’ils survivaient, prospéraient et obtenaient les promotions qu’ils méritaient si manifestement… On en pouvait qu’être fasciné en imaginant ce qu’il adviendrait s’ils se rencontraient sur un champ de bataille.