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EAN : 9782908254402
123 pages
La Clef d'Argent (17/03/2003)
2.25/5   4 notes
Résumé :
Né en 1890 à Providence, Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) est l'un des pères fondateurs d'un genre littéraire connu aux Etats-Unis sous le nom de weird fiction ; un genre qui emprunte autant au fantastique tel qu'on le pratiquait alors en Europe, qu'aux contes étranges de ses compatriotes Edgar Poe ou Ambrose Bierce. Lovecraft saura y mêler, pour la première fois sans doute, les éléments distinctifs d'un genre alors naissant : la science fiction. Les créatures ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Il a été compliqué pendant très longtemps de trouver des travaux en français sur Lovecraft, je crois l'avoir déjà mentionné ailleurs. le livre de Maurice Lévy, qui n'est plus édité, est quasiment introuvable, et c'est seulement depuis quelques années que ça commence à bouger dans l'édition française - chez ActuSF, pour être plus précise -, notamment avec la traduction de l'énorme biographie de Lovecraft de 2013 par T.S. Joshi, chercheur qui est devenu la référence absolue sur Lovecraft. Quelques autres ouvrages sont sortis, mais le corpus reste peu étoffé, aussi faut-il se rabattre sur ce qu'on trouve. Ma bibliothèque municipale disposant d'un livre intitulé Lovecraft : histoire d'un gentleman raciste, je me suis dit que le titre était probablement un chouïa racoleur, mais que le livre en question devait étudier Lovecraft de façon plus générale que sous l'angle du racisme. Pour une fois, j'aurais dû lire la quatrième de couverture... Bref, quand j'ouvre le livre, je découvre un premier chapitre intitulé "Qu'est-ce que le racisme". Là, je me dis que l'auteur me prend vaguement pour une conne. Second chapitre : "Comment devenir raciste". Troisième chapitre : "Lovecraft le raciste". Quatrième et dernier chapitre : "Racisme et fiction". Je suis étonnée que William Schnabel n'ait pas trouvé moyen d'ajouter "racisme" dans l'intitulé de la conclusion, mais en fait elle s'appelle juste "Conclusion", à mon grand désarroi. Et donc, je me dis que ce livre va à tous les coups me poser un gros problème, vu qu'étudier Lovecraft uniquement à l'aulne de son racisme (racisme avéré, soyons clairs), ben c'est pas très pertinent. C'est un truc qui m'agace tout le temps à propos de Barbey d'Aurevilly : on sait pas quoi dire de bien intéressant, et on se rabat joyeusement sur son catholicisme (alors qu'il a écrit des trucs absolument intolérables pour l'Église catholique, ce qui lui a d'ailleurs valu de gros soucis) et sur son royalisme. Oui mais non. C'est pas comme ça qu'on étudie l'oeuvre de qui que ce soit. Et c'est moi qui suis plus républicaine que bien des critiques, et athée contrairement à pas mal d'entre eux, qui me sens obligée mettre les points sur les i ! Passons.


Et ce qui devait arriver arriva : ce livre s'est révélé inintéressant, parce qu'éminemment partial, que l'auteur a choisi de se coller des oeillères, et qu'il opte pour une méthodologie extrêmement douteuse. Cela dit, ça fait un bon diptyque avec un autre ouvrage plus que médiocre que j'ai lu il y a des années - H.P. Lovecraft, le dieu silencieux, pour ne pas le nommer - et qui se terminait en une sorte de gros délire raciste. Je considère désormais que la boucle est bouclée, et que les deux versants de la critique lovecraftienne obsédée par le racisme ont été escaladés par mes soins - non sans souffrance, notez bien. Et voilà qu'à présent, il va me falloir expliquer tout ce qui ne colle pas dans ce bouquin de William Schnabel qui ne m'a rien appris, sinon que William Schnabel n'est pas un universitaire sérieux. Malheureusement, ce n'est pas le premier ouvrage éminemment médiocre écrit par un universitaire que je dois me farcir, ce qui constitue à mes yeux un énorme problème. Là encore, passons.


En gros, cet essai repose sur le postulat suivant : les écrivains sont bourrés de frustrations, de désirs et de fantasmes (bref, ils sont comme tout le monde) qu'ils transposent dans leurs textes, ce qu'on peut prouver par la biographie (là, ça devient très douteux, et encore, vous ne savez pas le nom du premier auteur cité pour appuyer cette affirmation ; préparez-vous à un choc), Lovecraft n'échappant pas à la règle. Par conséquent, Lovecraft qui était raciste (ça ,au moins, on sait que c'est vrai)... n'a écrit que pour faire partager ses thèses racistes avec le public. Et voilà comment, en moins de 100 pages, on vide quasiment entièrement l'oeuvre d'un écrivain de son contenu. Et à présent, je ne peux plus dire "Mais passons". Premier auteur qui se prêterait parfaitement à ce type d'analyse, pour le côté frustration/biographie : Shakespeare, je vous le donne en mille. Alors qu'il est bien connu, quand on s'intéresse un minimum à Shakespeare, qu'on sait justement peu de choses sur sa biographie. Et pourquoi citer Shakespeare ? Et pourquoi d'ailleurs cette histoire de rapports entre frustration et création ? Parce que Freud l'a écrit. Loin de moi l'idée de faire mon Michel Onfray et de cracher sur Freud, fondateur de la psychanalyse, ce qui n'est tout de même pas rien. Ce n'est pas pour autant que je considère que tout ce qu'a écrit Freud est forcément parole d'Évangile, et ce d'autant moins qu'il m'est arrivé de lire des textes de lui où il se montrait d'une mauvaise foi agaçante (cela dit, je ne suis pas une grande connaisseuse de Freud, loin s'en faut).


Le gros problème qui va se poser après quelques extraits de citations de Freud, c'est que Schnabel va nous faire de la psychanalyse à la petite semaine tout le long du bouquin. Or, si utiliser la psychanalyse comme prisme pour l'étude d'oeuvres littéraires peut s'avérer intéressant, ça demande un minimum de délicatesse. Et utiliser la psychanalyse pour l'appliquer à l'étude de la biographie d'un écrivain, mort de surcroît (notamment afin de diagnostiquer une ou plusieurs pathologies), ça devient carrément périlleux, quand on ne tombe pas carrément dans le foutage de gueule. Chez Schnabel, on est dans le foutage de gueule (déjà, il n'est pas absolument pas psychanalyste), vu qu'il va jusqu'à se servir de citations de psychanalystes comme si elles étaient appliquées à Lovecraft, alors qu'à l'origine elles ne concernaient absolument pas Lovecraft. Pour une idée générale de la façon dont Schnabel manipule le discours psychanalytique, voici un exemple qui me paraît assez parlant. Il concerne la description des habitants d'Innsmouth dans une nouvelle extrêmement célèbre, habitants aux allures visqueuses et qui ont en gros des têtes de poissons, "ultime horreur, car Lovecraft abhorrait le poisson et les fruits de mer, symboles sexuels pour les freudiens." (p.83) Alors déjà, le coup du coquillage comme symbole sexuel, ça remonte à pas mal de siècles ; ensuite, le coup de la métaphore sexuelle, qui tendrait à démontrer que Lovecraft détestait le sexe (c'est dit encore ailleurs avec beaucoup de subtilité), non seulement c'est un cliché désolant, non seulement on s'en foutrait royalement si c'était prouvé (et ça ne l'est pas), mais en plus ça n'a aucun rapport avec le racisme de Lovecraft dans ses textes de fiction, ce qui est tout de même le sujet du chapitre et du paragraphe. J'ai un autre exemple en tête, mais comme je n'avais pas assez de marque-pages pour tous les passages problématiques du livre, je n'arrive pas à le retrouver. En tout cas, il y est question de Freud, de phallus (comme c'est original !) et des frustrations de Lovecraft. Allez, la suite (parce qu'on n'a pas fini...) !


Au-delà de cette pseudo-psychanalyse employée par Schnabel (ce qui est déjà pas mal), l'ouvrage est bourré de divagations, d'affirmations non étayées et de répétitions sur le thème "Lovecraft était raciste" (au cas où on n'aurait pas compris que c'est le sujet, parce qu'on est trop bêtes). Je n'ai pas commencé par là, mais dans le premier chapitre, Schnabel nous explique ce qu'est le racisme. le nazisme, c'est le racisme, le fascisme, c'est le racisme, les guerres bosniaques, c'est le racisme, l'oppression des Palestiniens par les Israéliens, c'est le racisme, et le capitalisme - même si Schnabel n'écrit pas le mot, pour une raison qu'on verra plus tard -, c'est le racisme (j'ai dû oublier deux ou trois trucs en passant). du coup, j'ai envie de dire que le racisme, c'est un peu tout ce qui nous passe sous la main. Il précise tout de même, en disant que le racisme, c'est la haine de l'autre : bonjour la révélation ! À partir de là, toute la méthodologie déployée est forcément douteuse. William Schnabel ne va pas s'encombrer d'objectivité, ni du moindre sérieux. Ainsi, il dit que Lovecraft considérait ses lecteurs comme des gens cultivés, ce qui me paraît extrêmement discutable (mais il faudrait étudier la chose de près), vu que Lovecraft avait pas mal de mépris pour les pulps dans lesquels étaient publiées ses nouvelles (car il n'a jamais été publié en recueil de son vivant), et, il me semble, pour le lectorat de ces mêmes magazines. Donc je doute fort qu'il ait pris la majorité de ses lecteurs pour des érudits... Lorsqu'il est question de l'admiration que Lovecraft vouait à Hitler - on a effectivement des lettres de Lovecraft qui disent son admiration pour Hitler, mais il y en a d'autres, plus tardives, où ce qu'il dit sur Hitler est très différent -, aucune citation de Lovecraft en vue. Schnabel nous dit bien ce qu'on doit penser plutôt que de le citer : quand Lovecraft dit qu'il admire Hitler, c'est vrai, quand il dit plus tard que Hitler est abominable, on ne doit pas le croire. Même chose pour tout ce qui tempère les tendances les plus désagréables de Lovecraft dans sa correspondance : on doit croire qu'il est atrocement raciste (ce qu'il est, faut pas non plus se cacher les choses) quand il l'écrit à Untel, mais ne pas le croire quand il se met à changer de ton quelques années plus tard avec quelqu'un d'autre (comme Robert Howard, j'imagine, qui était un peu l'inverse de Lovecraft et qui a beaucoup correspondu avec lui).


Et il est très choquant de voir que William Schnabel ne s'appuie que sur des citations traduites en français (si j'avais fait ça en fac, je me serais fait massacrer par mes profs), et que, pire, il va citer "le mythe de Cthulhu" comme "l'oeuvre mythique" de Lovecraft, alors que la nouvelle en question s'intitule en français L'appel de Cthulhu (n'importe qui sait ça), traduction littérale de The Call of Cthulhu, et que le fameux "mythe de Cthulhu" est une pure invention d'August Derleth, qui a publié Lovecraft après sa mort et, disons, réorganisé les textes de Lovecraft afin de les maintenir dans trois thématiques qui lui convenaient, mais qui posent de gros soucis pour la lecture de Lovecraft. de même, comment peut-on parler du cycle dit dunsanien de Lovecraft (ou cycle du rêve) en s'appuyant sur un recueil français dont certaines nouvelles sont illisibles tant la traduction est atroce, comment peut-on s'appuyer sur un recueil qui n'a jamais été du fait de Lovecraft mais d'un éditeur français, recueil en sus justement célèbre pour cette horrible traduction (c'est un cas d'école) ? Comment peut-on dire à l'envi que Lovecraft était raciste tout comme la plupart de ses autres concitoyens (et que je te parle du racisme aux États-Unis, comme si on n'était pas au courant - ah mais oui, c'est vrai qu'on est idiots, j'avais oublié), puis affirmer sans sourciller que ces mêmes citoyens étaient en revanche très attachés à la démocratie (d'où les lois racistes de l'époque, j'imagine) et dont la pensée n'avait strictement rien à voir avec l'idéologie nazie (d'où, évidemment, toutes les études d'historiens qui ont démontré l'inverse), et donc que Lovecraft se démarquaient complètement d'eux ?


En sus de tout ça, il y a des sujets que William Schnabel aborde de façon confuse, voire douteuse, et qui m'ont mise mal à l'aise parce qu'il n'y a pas moyen de savoir ce que l'auteur en pense vraiment. C'est le cas de Darwin et de sa théorie de l'évolution, ou encore de Nietzsche, qui sont cités de façon floue, ce qui pousse à les assimiler plus ou moins au racisme ou au nazisme. Idem pour l'athéisme ou l'anticapitalisme de Lovecraft, qui donnent la vague impression d'être considérés comme quelque chose de mauvais par Schnabel, alors qu'il a conspué le capitalisme dès le début de son livre, mais sans le nommer. Ce qui est beaucoup plus clair, en revanche, c'est que pour William Schnabel, on ne doit lire Lovecraft qu'avec l'intention de débusquer son racisme (comme s'il fallait faire des efforts pour ça ; faudrait vraiment être à la masse pour ne pas comprendre, en lisant les nouvelles de Lovecraft, qu'il était raciste). On ne doit voir dans les nouvelles et les romans de Lovecraft qu'un message raciste qu'il tient absolument à faire passer. En gros, toute la fiction de Lovecraft tient en un message, qui correspond au seul élément de programme du Rassemblement national : "Halte à l'immigration !" D'où les quelques exemples de nouvelles dont se sert Schnabel, en oubliant L'appel de Cthulhu, La couleur tombée du ciel, La quête onirique de Kadath, Les rats dans les murs, La musique d'Erich Zann, L'étrange maison haute dans la brume, et j'en passe. En oubliant des personnages emblématiques comme Cthulhu ou Nyarlathotep ! du coup, oui, des nouvelles comme Horreur à Red Hook et La rue (la nouvelle la plus ouvertement raciste de Lovecraft que vous pourrez lire) conviennent très bien à ce que William Schnabel veut montrer, à savoir que Lovecraft était raciste. Sauf que choisir les quelques fictions les plus médiocres (et La rue est d'une rare médiocrité) d'un auteur, c'est déjà peu pertinent pour l'étudier. Et en choisir deux autres, parmi les meilleures, pour n'en tirer qu'une conclusion elle-même médiocre (sans réel argument pour ce qui est des Montagnes hallucinées et avec un argument que Christophe Thill a, lui, remis en cause pour ce qui est du Cauchemar d'Innsmouth), à savoir que Lovecraft était raciste, c'est se foutre de la tronche des lecteurs. Oui, Lovecraft était raciste. Et après ? Une fois qu'on a dit ça, on n'a pas dit grand-chose.


Ce que je conserve de la lecture de cet essai, c'est l'idée que William Schnabel, pour des raisons qui lui appartiennent, déteste Lovecraft et cherche à en dégoûter les autres, en s'asseyant sur toute méthodologie sérieuse ; je trouve ça absolument incompréhensible. le pire, pour moi qui m'intéresse depuis des années aux thématiques de la dégénérescence et de l'hybridation dans les arts plastiques et dans la littérature, c'est qu'il y avait un vrai sujet à traiter. Mais pour ça, ça supposerait de remonter à la peur du métissage chez Delacroix ou chez Cordier, par exemple, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le racisme. Ça supposerait de s'intéresser à Darwin et aux délires (pour le meilleur ou pour le pire) sur l'hybridation que la publication de L'origine des espèces a provoqué dans l'imaginaire collectif. Ça supposerait de s'intéresser à la peur du métissage de Jules Verne, patente dans Les enfants du capitaine Grant, ou à l'horreur de l'hybridation chez Stevenson, dans une nouvelle comme Olalla. Bref, ça supposerait d'être un minimum sérieux et de bosser son sujet, et pas seulement d'utiliser des termes savants comme "tératologie".
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Le sujet devait être abordé et Willian Schnabel, avec Lovecraft, histoire d'un gentleman raciste (La Clef d'Argent, 2003), résume assez bien ce que les « études lovecraftiennes » nous ont fait progressivement découvrir. Oui, Lovecraft était raciste, d'un racisme à la fois psychologique et socioculturel. Sur le plan psychologique, son racisme est celui d'un raté : un gamin confiné entre sa mère et ses tantes dans le souvenir d'une grandeur familiale disparue, qui n'ira pratiquement jamais à l'école, qui ratera son mariage et dont l'oeuvre littéraire restera de son vivant tout à fait confidentielle/ Sur le plan socioculturel, Lovecraft baignait dans l'air du temps. Celui d'une Amérique qui luttait contre l'immigration, instaurait des quotas, défendait l'eugénisme pour prévenir le métissage et donc la dégénérescence de la race anglo-saxonne. On retrouvera tout cela dans sa fiction, l'Autre se transformant en monstre contre lequel il est difficile de lutter car l'essentiel du mal est déjà fait. Mais il ne faut pas non plus exagérer, la création lovecraftienne a bien d'autres composantes que la dégénérescence. Je pense notamment à celle du rêve, vecteur grâce auquel l'auteur nous ouvrira les portes conduisant à des mondes indicibles. Et comme l'écrivait Franck Périgny dans un numéro de Dragon & Microchips : « j'admire un écrivain raciste, sans honte, parce que ce n'est pas le raciste que j'admire, c'est l'écrivain. »
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