Pour le kabbaliste de l’école de Luria, Tsimtum ne désigne pas la concentration de Dieu en un point, mais sa retraite loin d’un point.
Qu’est-ce que cela signifie ? Il signifie brièvement que l’existence de l’univers est rendue possible par un processus de contraction en Dieu. Luria commence par poser une question qui donne l’apparence d’être réaliste, ou si l’on préfère un peu brutale. Comment peut-il y avoir un monde si Dieu est partout ? Si Dieu est « tout en tout », comment peut-il y avoir des choses qui ne soient pas Dieu ? Comment Dieu peut-il créer le monde ex nihilo s’il n’y a pas de néant ? Telle est la question.
La solution, en dépit de la forme brutale qu’il lui donna, parut d’une très grande importance dans l’histoire de la pensée du Kabbalisme postérieur. Selon Luria, Dieu fut contrait de faire une place pour le monde, pour ainsi dire, en abandonnant une région à l’intérieur de Lui-même, une sorte d’espace mystique duquel Il se retira pour y retourner dans l’acte de la création et de la révélation.
Le premier acte de l’En-Sof, l’Être infini, est par conséquent, non un pas en dehors, mais un pas à l’intérieur, un mouvement de recul, de retour sur Soi-même, de retraite à l’intérieur de Soi-même. Au lieu d’une émanation, nous avons l’opposé, une contraction.
Le Dieu qui se révéla avec des contours définis fut remplacé par Celui qui est descendu plus profondément dans les retraits de Son propre Être, qui Se concentra en Lui-même et fit ainsi depuis le commencement de la création.
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Ce paradoxe du Tsimtum, comme l’a dit Jacob Emden, est la seule tentative sérieuse qui ait jamais été faite pour donner un fond à l’idée de création ex nihilo. En outre, le fait qu’une idée, qui à première vue apparaît aussi raisonnable que la création « ex nihilo », puisse, soumise à un examen plus approfondi, aboutir à un mystère théosophique, nous montre à quel point est illusoire l’apparente simplicité des principes de toute religion. (pp. 381-382)
Dieu, dans les profondeurs les plus cachées de ses manifestations, quand Il vient, pour ainsi dire, de se lancer dans son travail de création, est appelé Lui. Dieu, dans le déroulement complet de son Être, de sa Grâce et de son Amour par lesquels Lui devient capable d’être connu par la « raison du cœur », et par conséquent d’être exprimé, est appelé « Vous ». Mais Dieu, dans Sa manifestation suprême, là où la plénitude de son Être trouve son expression finale dans le dernier de Ses attributs qui embrasse tout, est appelé « Je ».
C’est l’étape de la véritable individuation, dans laquelle Dieu, en tant que personne dit : « Je » à Lui-même. Ce Moi divin, ce « Je », selon les kabbalistes théosophes – et ceci est l’une des doctrines les plus profondes et les plus importantes – est la Chekhina, la présence et l’immanence de Dieu dans le tout de la création.
C’est le point où l’homme, en atteignant la compréhension la plus profonde de lui-même, remarque la présence de Dieu. Ce n’est qu’en partant de là et en se tenant, pour ainsi dire, à la porte du royaume divin, qu’il avance dans les régions les plus profondes du Divin, dans Son « Vous » et « Lui » et dans les profondeurs du Néant. (pp. 316-317)