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EAN : 9782864327844
249 pages
Verdier (05/03/2015)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Les nouvelles de Lutz Seiler, dont une bonne moitié relèvent de l'autofiction, ont toutes pour toile de fond l'Allemagne de l'Est où l'auteur a grandi, et dont il restitue l'atmosphère avec un art de la narration exceptionnel. Ses héros sont issus comme lui-même de cette classe ouvrière censée être l'objet de toutes les attentions du régime, mais dont le quotidien restait inévitablement banal, avec ses joies et ses misères cachées. Les mots qui n'ont pas été dits, c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« le Poids du Temps » de Lutz Seiler, traduit de « Die Zeitwaage » par Uta Müller et Denis Denjean (2015, Verdier, 256 p.) regroupe 22 nouvelles relativement courtes. Un premier recueil « le Baiser sur le Capuchon » en regroupe 10 sur une quarantaine de pages, suivie par la « Trilogie du jeu d'échecs » et d'une dizaine d'autres sur la centaine de pages qui restent, dont « Turksib » un long voyage en train vers la Sibérie. Toutes se déroulent avec la RDA pour toile de fond, où l'auteur a grandi, et dont il restitue l'atmosphère de façon exceptionnelle. Ses héros sont issus comme lui de la classe ouvrière. Elle est censée être l'objet de toutes les attentions du régime, mais dont le quotidien est resté inévitablement très banal, avec ses joies et ses misères cachées. Elles ont toutes en commun une grande tristesse. Impossible d'en lire plusieurs à la suite sans sombrer dans un abîme de mélancolie et de larmes de désespoir, en ayant l'impression d'une existence bâclée. Les histoires sont toutes très différentes dans leur ton et leur sujet. Elles vont d'une histoire de séparation en deux parties à des histoires d'enfance et de jeunesse en RDA et reprennent de nombreux motifs de la poésie de l'auteur.
Lutz Seiler est né à Gera dans l'est de la Thuringe. Son village natal, Culmitzsch, a été rasé en 1968 pour l'exploitation du minerai d'uranium par la « SDAG Wismut » qui fournit le minerai à l'URSS. C'était le village natal de Otto Dix (1891-1969). La famille déménage à Korbußen jusqu'à ce qu'on lui attribue un appartement neuf à Gera-Langenberg, pas très loin de Iena. A Gera, il termine une formation professionnelle avec baccalauréat (Abitur) en tant qu'ouvrier du bâtiment et travaille comme charpentier et maçon. Cela lui servira par la suite, comme il le narre dans « Star 111 » traduit par Philippe Giraudon (2022, Verdier, 576 p.), lorsqu'il fréquente ls squats de Berlin Est, quand le Mur est tombé. Il effectue son service militaire dans la « Nationale Volksarmee », (NVA, Armée populaire nationale) de la RDA. Il s'intéresse alors à la littérature, en particulier à Georg Trakl (1887-1914) et commence à écrire. Durant l'été 1989, il travaille comme saisonnier ou « esskaa » mot formé d'après « SK » l'abréviation de « Saisonkraft » ou travailleur saisonnier. Cela se passe sur l'île de Hiddensee dans la Baltique (Oostzee), en face de l'île danoise de Møn. Il y trouve un emploi de plongeur dans un hôtel. L'ile est en fait un lieu de vacances en marge de la société communiste de RDA, une de ces villégiatures pour salariés méritants d'un combinat métallurgique. Surtout, c'est un point de départ clandestin pour le Danemark, le Lampedusa du Nord. Ile où se retrouvent artistes et intellectuels attirés par la nature sauvage et la pensée « alternative ». Il s‘en servira lors de l'écriture de « Kruso » traduit par Uta Müller et Bernard Banoun (2018, Verdier, 480 p.). Il y raconte cette expérience. Avec surtout en filigrane la chute du Mur et l'effondrement de la RDA.
« le Poids du temps » a été publié en 2009. Lutz Seiler a alors 46 ans. Sa nouvelle « Turksib » publiée en 2007 a été couronnée par le prix Ingeborg Bachmann. Il a vécu la chute du Mur et l'effondrement de la RDA. Dans les années 1990, il anime la revue « Moosbrand » qui s'est vite imposée comme l'affirmation d'une nouvelle littérature allemande, jusqu'à sa disparition en 1998.
Pour ce qui concerne la fin de la RDA, du point de vue littéraire, il faut lire Christa Wolf, ainsi que Jenny Erpenbeck. de façon surprenante, la réunification allemande a été plus commentée en RDA qu'en RFA. Ces derniers sont individuellement moins concernés par cette problématique. Ensuite, on trouvera peu de voix décrivant ces changements avec enthousiasme et béatitude, ce serait plutôt déceptions et désenchantements, même narrés de façon comique.
Pour la première, lire son journal « Un jour dans l'année 1960-2000 » traduit par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein, (2006, Fayard, 574 p.). Oeuvre originale puisque qu'il s'agit d'un chronique, écrite chaque 27 septembre, qui retrace son parcours, à « l'initiative de « Un jour dans le monde » lancée par Maxime Gorki en 1935 ». Lire aussi « Médée : Voix » traduit par Alain Lance, (1996, Stock, 292 p.). C'est une revisite et une réécriture du célèbre mythe d'Euripide, déjà beaucoup revu par Sénèque, Corneille et tant d'autres. Dans le mythe, Médée quitte la Colchide pour suivre Jason qui est venu avec les Argonautes conquérir la Toison d'Or. Médée conjure tout d'abord le serpent gardien de la toison et s'enfuie. Plus tard, réfugiée à Corinthe, Créon a pour ambition de faire de Jason son successeur et de le marier à sa fille, Creüse, mais Médée la tue. Elle tue également ses deux fils, Merméros et Phérès, et doit s'exiler, d'abord à Athènes, puis retourne en Colchide.
Christa Wolf commence son récit après la conquête de la Toison d'or. Médée fuit un pays dont elle ne supporte plus la corruption. Ce n'est plus elle qui tue son frère, mais elle ramasse ses morceaux éparpillés par les vieilles fanatiques qui l'ont assassiné. En fait, de par leurs positions d'étrangères, Agaméda la colchidienne et/ou Médée se retrouvent doublement étrangères en Corinthe. Tout les oppose, entre un monde que l'on pourrait qualifier d'archaïque et un autre qui serait moderne. Comment ne pas voir en Colchide et Corinthe, l'opposition entre la RDA et la RFA. Il est tout aussi surprenant de trouver cette critique à peine voilée du dirigeant ‘un pays de l'est. « Il vit caché dans des échafaudages intellectuels soigneusement fabriqués qu'il prend pour la réalité mais n'ont d'autre fin que d'étayer la conscience, légèrement branlante, qu'il a de lui-même. Il ne supporte pas la contradiction, plein d'arrogance il déverse en cachette ou ouvertement des sarcasmes sur les esprits inférieurs, sur chacun, donc, puisqu'il ne saurait être qu'au-dessus de tous. Je me souviens de l'instant où j'ai compris cela : sa connaissance de l'âme humaine étant limitée, il est bien obligé de vivre dans un cadre de principes que personne n'a le droit de remettre en question, sinon il se sent menacé d'une façon intolérable. » Il y a surtout cette interrogation, venue après confrontation avec des idées nouvelles ou étrangères. « C'était la première fois que je parlais avec une étrangère de la situation de notre cité, j'allai encore plus loin et lui demandai comme elle expliquait notre déclin. La réponse, selon elle, était évidente. C'est à cause de votre présomption, dit-elle. Vous vous estimez au-dessus de tout et de tous, cela fausse votre vision de la réalité et cela vous empêche aussi de voir qui vous êtes réellement. Elle avait raison, et cette phrase résonne encore en moi aujourd'hui. ». Surtout, cette profonde désillusion des allemands de l'Est, les « Ossis » face aux « Wessis », désillusion que l'on retrouve dans « le mélange de scepticisme et de commisération » des Corinthiens face aux Colchidiens. Je me souviens des reportages montrant les gens de l'Est découvrant les bananes à la Porte de Brandebourg, à Berlin.
L'ironie et l'autodérision restent toutefois un rempart contre l'ostalgie, ce qui n'empêche pas l'auteur de dénoncer les relations conflictuelles entre Allemands de l'Est et de l'Ouest, ainsi que la condescendance de ces derniers, tel collègue remettant constamment en question la vie en RDA : « Ce n'était pas une vie chez vous ! Les journaux n'étaient pas des journaux. Les élections n'étaient pas des élections. Les routes n'étaient pas des routes. Même les voitures n'étaient pas des voitures ». D'ailleurs, la blague qui faisait réaliser qu'on était sur une autoroute en RFA ou RDA, concernait les panneaux. En RFA, les indications de ville s'appelaient surtout « Ausfart » (sortie) alors qu'en RDA c'était « Umleitung » (déviation).
On retrouve cette désillusion dans les livres de Svetlana Alexievitch qui décrivent l'homme soviétique actuel. « La Fin de l'Homme Rouge ou le Temps du Désenchantement » traduit par Sophie Benech (2013, Actes Sud 544 p.). le livre est très significatif de cette désillusion. Hélas, la liberté ne s'acquiert pas du jour au lendemain. le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière, tout cela n'apparait pas de suite et les saucissons ne poussent pas aux arbres.
Jenny Erpenbeck, née en 1967, fait également partie des auteurs dont les textes portent en filigrane par les conséquences de la chute du Mur et de la réunification. Un récent recueil rassemble des essais qui pointent la perte rapide des repères d'un quotidien qui, d'un jour à l'autre, a radicalement changé56. Jenny Erpenbeck n'a pas écrit de livre pour cette thématique, mais celle-ci traverse tous ses textes. À commencer par son premier récit, « Enfant sans âge », traduit par Bernard Kreiss (2001, Éditions Albin Michel, 150 p.) de « Geschichte vom alten Kind ». C'est l'histoire d'une jeune femme qui se métamorphose en adolescente et intègre un foyer d'enfants. le récit peut se lire comme une parabole du « tournant », la transmutation représentant à la fois les changements et le refus de les accepter ainsi que la volonté de retrouver l'univers sécurisé de l'enfance.
Dans « le Bois de Klara », traduit par Brigitte Hébert et Jean-Claude Colbus, (2009, Actes Sud, 190 p.), Jenny Erpenbeck retrace l'histoire d'un terrain et d'une maison à travers le XXeme siècle, au bord d'un lac non loin des quartiers Est de Berlin. « Ici, il y a des pins et des chênes à l'ombre desquels poussent lentement des buissons, ici un jardinier arrose le gazon, les fleurs sont vivaces et la petite va cueillir l'aneth pour les pommes de terre chez la voisine au début du chemin de sable. Ici, les gens ne s'attardent dans le jardin que pour être dans le jardin ». Dans le dernier chapitre, elle évoque le principe de la restitution à leurs anciens propriétaires des biens expropriés qui ont servi de pâturage pour les chevaux de l'Armée Rouge.
Un autre texte à lire, plus gai car empreint de beaucoup d'ironie. Judith Schalansky est née à Greifswald, à équidistance entre Berlin et Hambourg, en RDA. Dans son livre « L'inconstance de l'Espèce » traduit de « der Hals der Giraffe » (Le Cou de la Girafe) par Matthieu Dumont (2013, Actes Sud, 224 p.), Inge Lohmark enseigne la biologie et l'éducation physique dans un collège de l'ex-RDA dans l'arrière-pays de Poméranie Occidentale. Pour échapper à la crise, elle élève des autruches avec son mari Wolfgang. La région se dépeuple, la réunification a provoqué un exode massif, surtout des jeunes, et l'école va donc fermer. Un regard acide et désabusé d'un professeur sur ses élèves, sur son lycée, sur les utopies de l'ancien régime et les incohérences du nouveau, et sur la vie qui l'entoure en général. « Apathiques, dépassés, exclusivement soucieux d'eux-mêmes. Ils s'abandonnaient sans retenue à leur indolence. L'attraction terrestre semblait agir sur eux avec trois fois plus de force. Toute chose requérait un immense effort. La moindre parcelle d'énergie dont disposaient ces corps était mobilisée pour une métamorphose douloureuse qui n'était pas sans rappeler la laborieuse libération de la chrysalide. Ce n'est qu'en de rares cas, cependant, qu'un papillon en résultait ». Son voisin Hans est un solitaire forcé. « Hans disait qu'au moins, avant, il y avait eu la Stasi pour s'intéresser à lui. Quand il se sentait particulièrement seul, il relisait son dossier ». Pour illustrer son propos, elle utilise l'ironie et un style raffiné. le tout est accentué par des illustrations en noir et blanc, dessins sortis tout droit d'un vieux livre de biologie.
On en revient à Lutz Seiler dont certains textes se déroulent à l'époque de la RDA et tentent de capter une enfance qui parait très lointaine.
« Turksib » est paru séparément en 2007, puis traduit par Uta Müller et Bernard Banoun (2018, Verdier, 480 p.). La « voie ferrée Turkestan-Sibérie » (Tourkestano-Sibirskaïa maguistral) ou Turksib est une ligne de chemin de fer intérieure de l'URSS reliant l'Asie centrale à la Sibérie, de Tachkent à Novosibirsk. Au moment de sa construction, cette voie ferrée traverse l'Ouzbékistan, le Kazakhstan et la Russie. Un embranchement permet également de rejoindre Bichkek, la capitale du Kirghizstan.
La nouvelle « Turksib » narre un voyage en train à travers le Kazakhstan. C'est la rencontre du narrateur à la première personne avec un chauffeur qui cite Heine. le narrateur porte sur lui un compteur Geiger, et on nous fait poliment remarquer qu'il ne s'agit pas tant d'une référence à l'extraction de l'uranium, comme un autre titre « Pech und Blende » pourrait le suggérer. Il s'agit du mot caché Geigerthäler. (Violoniste) plutôt que Geigerzähler (compteur Geiger). Il est d'ailleurs surprenant que le mot compteur Geiger soit transformé en conteur Geiger dans le texte de chez Verdier. Par ailleurs ce compteur est proposé aux voyageurs pour détecter d'éventuelles radiations.
Le poème de Heine sur la Lorelei est également mentionné lors du voyage en train, quoique « sémantiquement difficile » et « bégayé » par le chauffeur russe. « Ihrrweiss nieherrt, wahs sohlbe deute / dass ihrrsoo trau riebrrtbien / einmährre aussallteseite ». Déjà que se moquer d'un défaut de prononciation…., il semble que les ambitions poétiques de Seiler auraient pu ruiner le texte si l'humour de l'auteur ne l'en avait pas empêché.
Second dans la « Trilogie du jeu d'échec », la nouvelle « Gavroche » parle, non pas du fils des Thénardier, mais d'une fille qui boit de la bière, fume et parle avec l'accent de Manfiel. On retiendra aussi la troisième et dernière nouvelle de cette trilogie, « Un bon fils » met en scène un retour sur un passé irrévocable. Restes de souvenirs d'enfance, d'accordéon dans l'orchestre des mines d'uranium de Thuringe. Sauts en hauteur ambitieux mais peu réussis. Retour du père de captivité, mis un père complètement étranger, que le fils n'a pas reconnu.
Une curiosité, le « chronocomparateur » dans le dernier chapitre « L'échappement » avec des passages sur la réparation d'une horloge « Spezimatic » de Glashütte. C'est une machine, ou plutôt un appareil de mesure qui permet de vérifier les irrégularités d'un mouvem

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