DADA EST TATOU...
... tout est Dada ! exultait le plus connu des cofondateurs et promoteurs du mouvement Dada, le roumain francophone
Tristan Tzara.
Né directement de l'horreur de ces années d'une guerre improprement surnommée "Grande" - sauf s'il s'agit de qualifier les massacres innombrables et inutiles d'êtres vivants dont elle fut si absurdement prodigue -, ce mouvement, né à Berlin d'un manifeste littéraire, puis éclatant de tous ses feux dans le tumultueux Cabaret
Voltaire de Zürich, DADA, plus tard récupéré par
André Breton et "son" surréalisme, fut un pur moment de délivrance intellectuelle, artistique et poétique au sein duquel se côtoyèrent poètes, littérateurs, compositeurs, peintres, penseurs dans un grand moment de rejet des conventions, des normes, des vieilleries de l'époque par le biais d'une liberté anarchique affirmée, d'un grand sens de la dérision, de tentatives artistiques novatrices, d'expérimentations stylistiques, graphiques et de langage innovantes.
Walter Serner, bien que le plus méconnus de ces artistes pionnier, par ailleurs écrivain d'expression allemande, n'en est pas moins l'un des premiers cofondateurs du mouvement créé presque comme une énorme farce par cette bande de joyeux foutraques.
Parfois surnommé le
Maupassant du crime, ses textes les plus connus (
La Tigresse - son roman -,
Au singe bleu,
le Onzième doigt, ouvrages tous publiés chez Allia) sont de brèves nouvelles portraiturant des monte-en-l'air de bas étage, des arnaqueurs à la petite semaine, des bas-bleus, des cocottes et autres demi-mondaines, toute une théorie, donc, d'une humanité à la marge, peu soucieuse du qu'en-dira-t-on, tout autant qu'elle se trouve, par ce biais décalé, témoin de sa contemporanéité. Une sorte de peinture littéraire cubiste (c'est d'époque) de la société des années folles que nous propose
Olivier Mannoni dans cette traduction de huit nouvelles choisies parmi les deux recueils cités plus haut.
Ainsi suit-on, dans celle intitulée "Le chef d'oeuvre", une riche veuve, entre deux âges, se laissant séduire par un homme beaucoup jeune qu'elle, qui s'avérera être un ruffian doublé d'un monte en l'air, profitant de la proximité de la chambre de la dame pour s'emparer de bijoux d'importance dans une chambre du grand hôtel, où se déroule l'histoire, située en face de celle de la veuve pas trop éplorée. Et cette dernière, échaudée mais conciliante, de reconnaître dans un murmure que le malandrin audacieux a réalisé un véritable chef d'oeuvre dans l'art de la cambriole.
Plus loin, c'est un escroc d'un autre genre dont il nous est fait le portrait : un homme d'aspect absolument banal, en dehors d'un étrange tic de la tête, et fort sympathique au demeurant, parvient, semble-t-il , à alléger son semblable des sommes coquettes dont il est porteur. L'une de ses victimes, plus curieuse et vexée que réellement scandalisée du forfait cherche à découvrir la méthode de ce gentleman pickpocket. Il la découvrira bel et bien, mais pour mieux se laisser de nouveau avoir !
D'une écriture pas toujours évidente - car DADA est Tatou, n'est-ce pas ? -, ces courts textes ne laissent toutefois pas insensibles dans leur peinture d'un monde aujourd'hui parfaitement disparu, et même si leur brièveté ne permet guère de s'attacher durablement à la galerie des visages (d)étonnants peints par
Walter Serner. Une oeuvre d'un abord pas si évident, certes, malgré les apparences, mais dont il était bon qu'elle ne disparaisse pas dans les méandres industriels de l'hyper-production éditoriale actuelle. Remercions en les remarquables éditions Allia, d'autant plus que l'ouvrage est offert pour tout acquéreur de deux autres de leurs petits livres au format et à la mise en page si élégante.
Pour mémoire, et parce qu'il nous semble toujours opportun de rappeler ce genre de drame inexcusable,
Walter Serner, de son vrai nom Walter Eduard Seligmann, fut déporté en août 1942 par les Nazis et est mort à l'âge de cinquante-deux ans au camp de Theresienstadt.