L'éclat inaltérable de l'amour maternel.
Publié en 2009 aux éditions Verdier, l'avant-dernier roman de
Pierre Silvain (1926-2009), dont le somptueux «
Julien Letrouvé colporteur» m'avait déjà transportée, évoque les souvenirs, gravés dans la mémoire d'un homme, d'une enfance au Maroc et de la relation d'amour possessif et tourmenté avec sa mère, une mère qui lui tenait lieu de monde dans la ferme de son enfance, une maison blanche isolée non loin de l'océan, où son père, agriculteur taciturne, semble avoir été une ombre inaccessible.
«Là où depuis un moment elle se tient assise, face à l'océan, une vague plus forte de la marée montante déferle sans violence, l'entoure puis la dépasse, pour s'étaler et mourir derrière elle sur le sable que barre comme d'un trait d'écume pétrifiée un dépôt de coquilles blanches. Leur crissement, s'il arrive que le flux les atteigne, ne la fait pas se retourner, elle demeure les yeux fixés sur le large, sur le lointain, sur rien qui soit visible à l'enfant assis, lui aussi, en retrait, au-delà des coquilles. Dans l'abrupte lumière de l'après-midi, il ne voit que le dos découvert par l'échancrure en pointe du maillot de bain, la nuque au hâle léger, mais non les cheveux dont pas une mèche ne déborde d'un bonnet en caoutchouc noir enfoncé jusqu'au-dessous des oreilles. L'immobilité du corps, au bout d'un moment, finit par l'angoisser, de même que le silence de ce coin de plage où il a cessé peu à peu d'entendre, à cause de sa monotonie, la rumeur de l'océan. Ici, il n'y a personne qu'eux deux. Aucune autre présence, maintenant que la journée décline, si ce n'est l'ombre gigantesque qui recouvre l'enfant fatigué, l'ombre du père.»
La posture immobile de cette femme dans cette scène fondatrice, assise face à l'océan par lequel elle est arrivée sur cette terre marocaine, reflète sa solitude dans ce lieu perdu, et le lent écoulement des jours d'une vie pétrifiée, en dehors des jeux avec l'enfant et de fugaces moments d'une révolte vaine. Embarquée en 1921, loin «des verdures, des chemins creux et des prés humides» du centre de la France, elle a rejoint au Maroc un mari qu'elle connaissait à peine, et qui s'était établi quelque temps auparavant comme fermier, profitant de l'attribution d'un lot de colonisation.
Ces souvenirs d'une vie archaïque sont marqués par la proximité avec sa mère, par l'ordre familier et rassurant des jours que surplombe la menace, présente dès l'enfance, de la perte inéluctable de leur relation d'amour exclusive et de son existence même. L'arrière-plan historique du siècle, en particulier la seconde guerre mondiale, se fait entendre en échos assourdis depuis cette ferme recluse, comme si la grande histoire n'avait rien d'essentiel au regard de cette narration intime, jusqu'au moment de la décolonisation qui mettra un terme à cette vie marocaine, lorsque les parents aborderont sur les rives de la vieillesse de nouvelles solitudes.
«Ce sont maintenant un homme et une femme vieillis gardant, enfouie, la marque inaltérée de leurs années d'Afrique. Bien qu'ils n'en parlent pas entre eux, chacun en ressent l'emprise, dissemblablement, sans possible partage, sans nostalgie, sans regrets communs. Lui, a-t-il eu conscience, a-t-il jamais su que la solitude et l'âpreté du bled s'accordaient d'emblée aux siennes, qu'il attendait depuis toujours de pouvoir satisfaire, en le retrouvant là-bas, son tourmentant besoin d'une activité qui ne connaît pas de repos ? Son existence ici, bornée, vacante, il l'endure comme un congédiement, comme l'exclusion d'une autre vie qu'il n'avait pas choisi d'abandonner de son plein gré. Il donne peu à peu des signes de l'absence, de l'égarement où il va sombrer.»
Ce récit intime, situé dans le temps malléable des rêves ou des souvenirs, est bouleversant dans la narration d'une vie archaïque et solitaire et d'une relation entre une mère et son fils dont le souvenir intense brille de l'éclat d'un amour éperdu.
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