Quoi ? "
Maigret en Meublé" ? Mais comment cela se fait-il ? Et où est donc Mme
Maigret ? Serait-elle à nouveau sous le coup d'une opération qui lui fait garder le lit pendant un mois, comme dans "
Les Vacances de Maigret" ? A moins que, lasse de ne recevoir aucun coup de fil de son mari pour la prévenir pratiquement tous les jours que, non, il ne pourra pas rentrer déjeuner et que, de toutes façons, il ne sait pas non plus à quelle heure il va rentrer le soir, elle n'ait fait ses valises et ne soit repartie chez sa soeur, en Alsace ? Un divorce entre
Maigret et sa femme ?
Simenon l'a-t-il jamais envisagé, lui qui passa sa vie à aller d'épouse en épouse ? ;o)
Pourtant, c'est vrai, Mme
Maigret, dans cette aventure, se trouve, depuis une quinzaine de jours, chez sa soeur, en Alsace, pour la soigner. Et, comme de juste, alors que, d'ordinaire, tous les jours que Dieu fait ou presque, lorsqu'elle se trouve à Paris à soigner son ménage, le commissaire ne manque pas de crouler sous les affaires les plus compliquées et les plus exigeantes, aujourd'hui, c'est une vraie traversée du désert : rien, aucune affaire digne de ce nom à la P. J. Il y a bien cette affaire dite "de la Cigogne", du nom d'un bar qui s'est fait braquer par deux apprentis-malfrats mais d'abord, il n'y a pas eu de mort (on comprend pourquoi quand on découvre que l'"arme" utilisée était un jouet), ensuite, on connaît au moins le nom de l'un des responsables. On s'est même rendu à son adresse, dans la pension meublée de Melle Clément, rue Lhomond mais l'oiseau n'y était plus. Ou alors, il n'y était pas revenu. Comme toujours en pareil cas, on a laissé un policier en planque, c'est l'inspecteur Janvier qui s'y est collé et qui fait les cent pas les plus discrets du monde aux alentours de la maison.
... Et c'est là que le drame se produit : Janvier, atteint d'un coup de feu qui lui perfore le poumon, est transporté aux Urgences.
Maigret, qui apprend la nouvelle dans la nuit, est aux quatre-cents coups et, avec ça, la pauvre Mme Janvier est enceinte de son troisième enfant.
Bien entendu, toute la P. J. est sur les dents. Tout d'abord, on pense à Emile Paulus - l'apprenti-malfrat de "La Cigogne" - mais enfin, il serait fort curieux qu'un homme qui braque un bar avec un jouet d'enfant se mît tout à coup à tirer de vraies balles sur un policier en faction. Non. Ca ne tient pas debout. On vérifie donc tous les dossiers que Janvier a traités ces derniers mois : peut-être a-t-il envoyé derrière les barreaux un lascar qui a décidé de le lui faire payer ? Mais enfin, là non plus, ce n'est pas jouable. A moins de tomber sur un psychopathe implacable - cas rarissime chez
Maigret, pour l'instant, je ne me rappelle que "
La Tête d'un Homme" - l'hypothèse s'écroule avant même qu'on ait essayé de l'étayer sérieusement.
N'empêche que, même si son pronostic vital n'est plus engagé, Janvier est à l'hôpital, à se remettre d'une blessure qui a failli, à quelques centimètres près, se révéler mortelle. En outre, en ces temps bénis, on ne tire pas encore sur un flic uniquement pour le plaisir de faire un carton.
Ergo : quid ?
Persuadé que l'énigme comme sa solution se situent dans le meublé lui-même ou, à tout le moins, pas bien loin,
Maigret met à profit l'absence de sa femme pour prendre une chambre chez Melle Clément et flairer tout cela d'un peu plus près. Il se mêle aux résidents habituels, goûte la chartreuse verte de la propriétaire, fait le tour du bloc de maisons, observe les voisins, surtout ceux d'en face, ajoute deux à deux et quatre à quatre ... Et le miracle que nous attendions tous se produit : le dénouement se dévoile, cohérent, teinté d'une sorte de romantisme, mais gris, immuablement gris et terne, à l'image de deux de ses protagonistes,
l'assassin effectif et celle que l'on hésite, non sans un certain agacement, à nommer sa complice.
C'est un récit lent, avec d'amusants sommets qu'égaie à merveille une Melle Clément rayonnante et, au final, tissée jusqu'au dernier petit point bien gris, bien morne, l'une de ces histoires à la fois simples - presque banales - dont un homme se retrouve un jour bêtement prisonnier et à laquelle il cherche à échapper d'une façon, si possible, encore plus bête. On aimerait avoir de la sympathie pour les coupables mais ils sont si ternes et, malgré la fermeté de leur raisonnement, si ... oui, si mous ... Difficile d'avoir même la moindre empathie pour eux et encore plus périlleux de se mettre à leur place quand tous deux étaient jeunes. Ils ont comme quelque chose d'inachevé, de flou, presque d'invertébré, quelque chose d'accablé et d'accablant pour quiconque prête l'oreille à leur récit. Et ce n'est pas inattention ou manque de talent de la part de l'auteur : cet état de choses est voulu, délibéré, minable à dessein. Eh ! oui, les minables tuent aussi. Ce sont peut-être les plus dangereux parce qu'ils donnent l'impression de ne se rendre pas compte des conséquences éventuelles. Tout ce qu'ils trouvent à dire, c'est qu'"ils ne voulaient pas mais ..." Une déresponsabilisation absolue. On s'en sent tout sali, tout répugné - tout méprisant.
Un bon "
Maigret" cependant. Et la scène dans laquelle le commissaire contraint - sans le savoir - Melle Clément à consommer de nuit un énorme sandwich aux jambon qui, à l'origine, ne lui était pas destiné, vous n'êtes pas prêt, croyez-moi, de l'oublier. ;o)