CONSPIRATION VERMEILLE
Sinisterra a déjà fait montre d'une grande inventivité dans les formes théâtrales, si l'on pense au jeu d'aller-retour temporel avec
Ay Carmela (retour vers la guerre civile espagnole : 1936/39) ou à l'absence des comédiens en titre remplacés par des figurants dans « Los Figurantes ».
Dans « Conspiration vermeille » il s'agit également d'une disparition, mais cette fois c'est celle de l'interlocuteur. En clair toute la pièce est construite sur des conversations téléphoniques d'une seule personne. Sinisterra a conçu là une pièce très économe : pas de décor, un éclairage qui circonscrit l'action, une bande son qui détermine les lieux narratifs et un unique comédien n'ayant qu'un téléphone portable comme accessoire : on peut donc parler de minimalisme. En ces jours d'austérité et de budget riquiqui c'est une pièce qui devrait attirer l'attention de productions désargentées. L'histoire n'avance que par les multiples conversations que notre personnage unique a avec ses correspondants, soit qu'il les appelle ou qu'il le soit par eux. Mais ne nous y trompons pas, il ne s'agit pas d'une pièce uniquement verbale, il y a de l'action physique. Ainsi nous voyageons beaucoup, du sommet d'un immeuble en cours de construction, au fin fond des égouts, dans une église, dans un concert techno... on doit avoisiner la dizaine de lieux différents. Ce qui réclame de la part du comédien une capacité physique à les rendre concrets. Par ailleurs le système de la conversation téléphonique implique que nous ne connaissons qu'une partie du dialogue, nous sommes donc obligés de reconstruire le reste et Sinisterra se joue de nous et nous mène malicieusement vers des quiproquos absurdes et drôles.
Quant au personnage qui s'agite devant nous, il est tout simplement en train de travailler. Ah bien sûr la nature de son employeur est énigmatique, s'agit-il d'un service d'espionnage, de la pègre, d'une agence de presse... Toujours est-il que notre personnage doit suivre des indications précises et qu'il doit les suivre à la lettre sans les discuter. Mais il ne peut pas s'empêcher de poser des questions auxquelles on répond plus ou plus moins poliment. Parallèlement comme tout bon salarié, il profite de son temps de travail pour régler des problèmes personnels avec sa maman ou avec une dame qu'il essaie de charmer au téléphone.
Les préoccupations politiques ne sont jamais totalement absentes des pièces de Sinisterra, cependant dans cette comédie quasi burlesque les aspects politiques ou sociaux sont très allusifs.
Cet auteur dramatique espagnol est trop peu connu des scènes francophones, car ses pièces sont d'une inventivité et d'une profondeur assez peu communes. Alors je n'ai qu'un conseil à vous donner, lisez les pièces de
José Sanchis Sinisterra et si vous en avez la chance allez les voir sur scène !