Quelle belle découverte, cet album,
La rédaction ! Je connaissais
Antonio Skarmeta surtout pour son roman
Une ardente patience. Je savais qu'il avait écrit d'autres oeuvres mais pas qu'il en avait réalisées pour la jeunesse. Et pas qu'une seule, non. Et même celles-là, elles font preuve de maturité. Et c'est le cas de cet album. Après tout, il a bien gagné le Prix du livre de jeunesse sur la tolérance (décerné par l'UNESCO) en 2002.
L'intrigue de
la rédaction se déroule dans un pays quelconque qui n'est jamais mentionné. Peut-être est-ce le Chili, le pays d'origine de l'auteur, qui a dû fuir la dictature ? Dans tous les cas, c'est un pays hispanophone si on se fie aux noms et prénoms des différents personnages. L'Espagne et plusieurs pays sud-américains ont subi leur lot de dictateur au 20e siècle. Sans doute ce manque de repère est intentionnel, afin que n'importe qui puisse s'y reconnaître, pour prétendre à une certaine universalité.
Le jeune Pedro Malbran est un enfant comme les autres, qui partage sa vie entre l'école (il est en CE2) et le football. Mais quelque chose l'intrigue : ses parents écoutent tard le soir la radio, on y entend des commentaires sur leur pays, des propos qu'on préfère ne pas dire ouvertement mais plutôt entendre en secret. Les choses en restent là jusqu'à ce que le père de son copain Daniel se fasse amener de force par des soldats. Gulp ! Pedro fait le lien entre cette arrestation et le fait que dorénavant son père mette le volume de la radio au plus bas. Et si on lui enlevait son père ? Il se passe quelque chose d'inquiétant, quelque chose dont ses parents ne veulent pas lui parler (pour la sécurité de tous) alors il doit essayer de rassembler lui-même le puzzle. Angoissant, terrifiant, même si le garçon n'arrive pas à mettre tous les mots sur la situation ni sur comment il se sent.
Le lendemain, un militaire intimidant fait son apparition en classe et leur demande d'écrire une rédaction. le sujet ? « Ce que fait ma famille le soir » À en donner des frissons. Et s'il raconte que ses parents écoutent en secret des émissions de radio où l'on parle en mal du pays et du chef d'état ?
Les plus jeunes lecteurs n'auront peut-être pas tout saisi, n'auront peut-être pas compris que cette histoire se déroule dans une dictature, au mieux, les pleurs de la mère, tous ces militaires et l'arrestation d'un simple épicier feront naitre en eux un sentiment de malaise. Ceux-là, ils ne verront pas venir le possible drame. Les lecteurs plus habiles ou matures, eux, oui. Ils se demandent si le jeune Pedro fera sa rédaction tel que demandé. Sans précisions de ses parents, qui ont tenu à le maintenir dans l'ignorance, dans l'innocence, comprend-il un peu les enjeux ? Peut-être même seulement à un niveau instinctif ?
Le suspense est maintenu jusqu'à la fin, presque jusqu'à la dernière ligne. du grand art ! Bravo à
Antonio Skarmeta. Il réussit à nous faire réfléchir sur la dictature, sur la façon dont vivent et survivent les gens ordinaires dans de telles conditions. Et sur les enfants qui la subissent et qui ne le devraient pas ! Bref, un sujet dur mais, malheureusement, encore d'actualité à bien des endroits dans notre monde.
Mention spéciale pour l'illustrateur
Alfonso Ruano. Je ne peux pas dire qu'il a réalisé le genre de dessins qui me plaisent le plus mais, étrangement, je les trouve appropriés pour cette histoire. Il a évidemment su prendre l'essentiel du roman, son cadre (le début des années 1970) et l'atmosphère qui s'en dégage, à la fois l'innocence de la jeunesse et le malaise du monde des adultes qui prend le dessus tranquillement.