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Le Pays des autres tome 1 sur 2
4016 pages
Gallimard/folio (10/03/2022)
3.88/5   4187 notes
Résumé :
En 1944, Mathilde, une jeune Alsacienne, s’éprend d’Amine Belhaj, un Marocain combattant dans l’armée française.
Après la Libération, le couple s’installe au Maroc à Meknès, ville de garnison et de colons. Tandis qu’Amine tente de mettre en valeur un domaine constitué de terres rocailleuses et ingrates, Mathilde se sent vite étouffée par le climat rigoriste du Maroc. Seule et isolée à la ferme avec ses deux enfants, elle souffre de la méfiance qu’elle inspir... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (482) Voir plus Ajouter une critique
3,88

sur 4187 notes
Avec ce troisième roman, Leïla Slimani sort de sa zone de confort. Elle ouvre ses horizons bien au-delà de la bourgeoisie parisienne, bien au-delà du drame contemporain en lieu clos pour proposer une saga familiale sous forme de trilogie. Ce premier tome s'inspire de l'histoire de ses grands-parents et couvre les années 1946-1956.

Dès les premières pages, son talent de narratrice m'a embarquée, glissant d'un personnage à un autre avec une fluidité remarquable, alternant les points de vue dans une intensité croissante. Et tous les personnages sont absolument superbes car d'une richesse psychologique rare. Ils sont tous terriblement vivants dans leurs contradictions, leurs aspirations, leurs emballements, leurs errements, toujours observés avec bienveillance par Leïla Slimani.

Et tous vivent dans le pays des autres. A commencer par Mathilde, jeune alsacienne qui débarque à Rabat après avoir épousé un spahi marocain venu libérer la France durant la Deuxième guerre mondiale, emplie d'un appétit de vivre assoiffé, rêvant d'aventures à la Karen Blixen. Mais c'est l'opprobre des colons qu'elle rencontre, c'est la solitude, c'est une ferme miséreuse dans laquelle elle vit et c'est un mari qui s'assombrit et s'épuise qu'elle découvre dans une vie plate et morne. Mathilde est la petite soeur d'Emma Bovary. Durant tout le roman, son enjeu sera de trouver la voix de l'émancipation dans ce pays des autres sans heurter la culture de son mari, et pour cela, elle doit perdre son identité facle de Française pour s'en construire une autre, plus personnelle.

Un si beau personnage, c'est déjà un cadeau mais là, tous les autres sont tout aussi passionnants. Amine, son mari, le Charbovary du bled : lui le soldat qui a a touché en France le sentiment fugace d'être quelqu'un et qui une fois au Maroc, redevient un indigène ; il assume mal d'avoir une femme blanche qui ne le comprend pas, il en devient amer et autoritaire, et en même temps il a des valeurs chevillées au corps, le travail, l'honneur, la famille. Selma, sa petite soeur de seize ans, débordant de sensualité et obligée de l'étouffer pour vivre dans le pays des hommes. Et la merveilleuse Aïcha, la fille de Mathilde et Amine, enfant brillante, sauvage, secrète, scolarisée dans une école de bonnes soeurs où elle est la seule non blanche. Métisse dans un pays où il faut choisir son camp

Ce qui est formidable dans ce roman, c'est l'indulgence et la douceur du regard que l'auteure porte sur eux, ils ne sont jamais jugés. Et c'est ainsi qu'elle traite tout l'arrière-plan historique de ce Maroc qui se révolte pour ouvrir la voie à la décolonisation : sans sectarisme, sans manichéisme, mais avec tous les camaïeus de gris, en respectant les aspérités complexes de l'histoire. Il faut assurément beaucoup de maturité et de tolérance pour parler ainsi du monde.
Cette plongée dans l'histoire en parallèle de l'intimité personnelle de ceux qui la vivent est passionnante. Les logiques de domination colon – indigène, homme-femme sont décrits avec une acuité percutante. L'adjectif « romanesque » prend du sens lorsqu'on lit le Pays des autres. Je l'ai dévoré. le talent de conteuse de Leïla Slimani, son écriture fine et précise dénué de lyrisme lourdaud, l'épaisseur de ces personnages, j'ai tout aimé. J'aurais juste voulu m'enflammer, aller au-delà de l'émotion et de la vibration pour palpiter de partout.

J'attends avec impatience le deuxième tome qui sera centré sur les années 1970-80, les années de plomb au Maroc. J'espère y retrouver Aïcha. Et décidément, après Dans le jardin de l'ogre, après Une Chanson douce, après Sexe et mensonges ( la vie sexuelle au Maroc ), Leïla Slimani est vraiment une auteure importante.
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Le pays des autres est un grand livre, plein de souffle, d'une belle et forte simplicité, qui possède tout ce qu'on attend d'une lecture: une vision très personnelle et un souffle épique , historique, une parole décapante et des points de vue contrastés , une richesse d'émotions jointe à  une parfaite rigueur d'analyse. 

Leila Slimani s'inspire de la vie de ses grands parents, Amine et Mathilde, lui colonel des spahis, elle jeune fille gâtée d'une famille bourgeoise alsacienne, unis par une passion sensuelle et forte, et par un rêve héroïque de réussite , à la Karen Blixen, sur les terres arides des environs de Meknès.

Deux très jeunes époux, deux cultures, deux religions, deux éducations radicalement différentes-et l'amour. Mais celui-ci  mis à rude épreuve par celles-là. Sans compter que Mathilde comme Amine sont ce qu'on peut appeler des caractères..

 
Comme Mathilde, sensible et généreuse, comme la farouche et secrète Aïcha née de ces noces "de la carpe et du lapin", comme Selma la jeune et jolie belle-soeur, comme toutes ces femmes "modernes" qui luttent pour leur émancipation qu'elle soit financiere et quasi professionnelle, pour Mathilde, scolaire pour la petite Aïcha  ou sexuelle pour Selma, le Maroc d'après guerre rue, lui aussi, dans les brancards. 

Mais ce sont ceux de la colonisation, ce Protectorat français qui  met sous tutelle ce fier pays qui a cru mériter le respect de la France en combattant à  ses côtés et découvre, après la guerre, l' ignorance et le mépris de cette seconde "mère-Patrie" qui le  traite en enfant mineur ou en femme subalterne, jusqu'à l'éclatement des émeutes nationalistes et indépendantistes de 1956.

On devine que le pays acquerra plus vite son autonomie-sans parler des libertés démocratiques- que les femmes qui y vivent.

Voilà pour la saga familiale et la fresque historique. Mais c'est oublier ce qui fait tout le sel de cette première partie de ce qui est annoncé comme une trilogie.

D'abord, les personnages, jamais figés, jamais d'un bloc, toujours pris sous plusieurs angles pour éviter leur caricature ou leur simplification, et pour rendre, surtout , leur adaptation au réel, si différent de leurs rêves , retracer leur évolution dans un pays lui-même en mutation profonde. J'en veux pour exemple ce Noël alsaco- marocain bouleversant où Amine, le droit et honnête Amine,  va voler nuitamment un cônifère sur les terres du colon voisin pour que Mathilde ait son sapin, où il subit avec stoïcisme et fureur rentrée la condescendance méprisante des commerçants, en venant acheter un costume de père Noël.. .sans réussir à satisfaire les attentes de sa femme qui ne retrouve pas dans cette pauvre mascarade ses souvenirs  de Noël alsacien et pleure de déception devant un cadeau mal choisi tandis que les enfants sont épouvantés par ce père Noël incongru.

Les personnages sont modelés par leur expérience, par les grands événements de leur vie.

Plus tard, Mathilde, encore fantasque et rebelle, toute pleine de désirs inassouvis et d'amères déconvenues, part pour un séjour d'un mois en Alsace où son père vient de mourir. Après le bluff, les mensonges sur sa vie prétendument héroïque et romanesque, au Maroc, elle finit par confesser à une soeur qu'elle n'aime pas la triste vérité, faite de misère, de renoncement, de contraintes et de malentendus. Et par lui dire sa tentation de rester, en abandonnant au pays ses deux enfants.

Elle revient pourtant.

Et c'est, pour moi, un des plus beaux passages du livre : "Tandis qu’elle pénétrait dans la maison, qu’elle traversait le salon baigné par le soleil d’hiver, qu’elle faisait porter sa valise dans sa chambre, elle pensa que c’était le doute qui était néfaste, que c’était le choix qui créait de la douleur et qui rongeait les âmes. Maintenant qu’elle était décidée, à présent qu’aucun retour en arrière n’était possible, elle se sentait forte. Forte de ne pas être libre."

Tout un petit monde, bien campé et extrêmement vivant, fourmille autour de ce couple mixte déchiré, déchirant et pourtant solidaire aux heures graves.

Le récit procède par petites touches, jamais partial, toujours partiel, plein de facettes et d'antennes sensibles, attentif aux petits frémissements, aux grandes colères, aux terribles résignations, aux rêves entrevus et brisés des existences individuelles   comme aux secousses plus vastes et inquiétantes de l'Histoire en marche.

Leïla Slimani excelle à rendre les contrastes de paysages: Meknès avec ses ruelles et sa médina grouillante de vie, ses patios frais, ses odeurs prégnantes,  la campagne avec ses collines arides où toute exploitation agricole tient de l' exploit, la mer magique, dorée et bleue,  comme une récompense rare, un événement..

   Plus qu'une chose en particulier, j'ai aimé ...tout! 

La cohérence entre le particulier et le général, les contrastes subtils, jamais forcés, la vérité renversante des personnages, la simplicité,  le naturel et la force de conviction de la langue dont le lyrisme est toujours discret, les choix,  classiques et justes, sans esbrouffe, sans afféterie, sans tic...

Du grand Slimani. 

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« Ici, c'est comme çà » affirme Amine, spahi glorieux qui a contribué à la libération de l'Alsace où il a épousé Mathilde, quand le couple arrive au Maroc au lendemain de la Guerre.

La jeune épouse va découvrir la condition des femmes dans ce protectorat aspirant à retrouver sa souveraineté. Exploitée, outragée, défigurée par les coups de son époux, Mathilde vit asservie dans la ferme familiale. Tantôt soumise, tantôt révoltée, elle essaye d'éduquer et d'instruire Aïcha leur fille en la scolarisant dans un établissement tenu par des religieuses accueillant essentiellement des filles de colons.

Omar, le frère d'Amine, incarne le nationaliste pur et dur en lutte pour l'indépendance de son pays mais également farouche partisan de la dépendance des femmes, et notamment de leur soeur Selma … Celle ci est livrée par ses frères à Mourad, ancien ordonnance d'Amine devenu régisseur de leur ferme, qui l'épouse contre son gré. Et Mathilde, privée de son prénom, est rebaptisée Mariam lors de ce « mariage ».

Leïla Slimani expose le contraste croissant au fil des années entre le discours de libération politique et l'asservissement des femmes. Totalitarisme qui rappelle celui pratiqué au delà du rideau de fer comme le constate le docteur Dragan Palosi, un réfugié hongrois.

Cette bouleversante tragédie laisse peu de place à l'espoir dans ce premier tome d'une saga dont la suite est annoncée … puisse Aïcha et ses compagnes y découvrir les voies d'une liberté dont leurs mères ont été progressivement privées !
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Pluie , vent , éclaircies, fraîcheur, un temps à rester à la maison et à ...lire . Et quelle lecture ! Commencé et ... terminé dans la foulée ce magnifique " Pays des autres " de Leila Slimani .Oui , le mauvais temps n'explique pas tout , et sûrement pas mon intérêt pour ce " voyage " au Maroc avec Mathilde et Amine.
1944 , le bel Amine , soldat marocain de l'armée française passe par l'Alsace avec son régiment et tombe dans les bras de la belle Mathilde . ( non , non , pas celle du " Grand Jacques ) . Un des rares effets bénéfiques d'un conflit aussi meurtrier sur les hommes et..les femmes . Grand amour et , pour Mathilde , un départ vers une vie idyllique dans un pays méconnu mais qui , sous le Protectorat , passe pour un véritable Eldorado ...Il y a bien quelques réticences familiales mais rien ne pourra détourner Mathilde de son destin ...
Au Maroc où ils s'installent , le monde idéal entrevu s'écroule rapidement . Déjà , Amine retrouve un statut que Mathilde n'avait pas " vu " , l'argent manque , Amine ne vivant que pour son travail alors que Mathilde préférerait les " strass et paillettes " et subit les remarques désobligeantes des femmes françaises tout autant que marocaines . le choc culturel est rude pour Mathilde et son couple subit les assauts violents assénés par des us et coutumes ancestraux .....En dire plus serait priver les lecteurs de tout le sel de cette première partie d'une saga prévue en trois volumes .
Ce qui est extraordinaire , c'est l'implication subtile de madame Slimani qui , franchement , sait " rester à distance " , ne prend pas partie mais se montre d'une remarquable bienveillance vis à vis de tous ses personnages dont aucun , vraiment aucun , ne méritera un qualificatif de " gentil ou de méchant " , mais évoluera avec ses convictions et sa sincérité , ses qualités et ...ses défauts . On se plaira à accompagner les personnages dans leurs quêtes, dans leurs interrogations , dans leurs troubles , dans leurs émois. Certaines scènes, comme - celle de la livraison du lit chez le régisseur, nous feront mourir de rire , d'autres nous émouvront ou nous révolteront . Nous nous intéresserons au sort de tous sans que l'auteure ne prenne position , mais nous " donne à voir , à penser " .Il est vrai que cette période d'avant l'indépendance du Maroc montrait une situation de tension croissante entre les uns et les autres , entre français et populations autochtones. On ressent du reste cette tension bien présente mais vécue dans la vie quotidienne bien plus que dans les hautes sphères politiques , absentes du roman . On se trouve plongés au milieu de ces populations qui ne savent plus trés bien où elles sont , où elles vont , qui ne comprennent pas forcément pourquoi il faudrait bouleverser un monde établi et se préparer à tirer , demain , sur les amis d'hier .
Toutes proportions gardées , j'ai retrouvé dans ce roman , la même saveur , la même émotion que dans le brillant " Art de perdre " de la non moins brillante Alice Zeniter et c'est avec impatience que j'attendrai la suite de ce " Pays des autres " . J'aimerais bien savoir si la " greffe va prendre entre le citronnier et l'oranger " offerts par Amine à sa fille Aicha , Aicha qui , du haut du toit , dans les toutes dernières pages , lance un beau et mystérieux regard de défi sur ... Dans ce premier tome , je vous laisse " découvrir " le " fruit obtenu ".
Quant à la forme du récit, que dire ? Que Leila Slimani sait écrire , adapter son style à la situation , jouer avec les mots et faire " vivre " les émotions et nous " transporter " dans son monde ?...Bien sûr mais je ne serais pas très original ....Même si les prix sont parfois décriés, c'est tout de même un " prix Goncourt " , un prix Goncourt qui sait où il va ...et d'où il vient . Un très beau livre , enfin , selon moi . Nul doute que je ne serai pas le seul à le penser .
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Le pays des autres est un roman « de regard ».
De celui qu'on perçoit dans les yeux de ceux qui ne sont plus de nulle part.
Le pays des autres est un roman « d'égards ».
De ceux que l'on accorde avec respect aux êtres qui ont bâti leur destin dans d'autres chemins, sur d'autres territoires avec une faculté rare.

J'ai, avec avidité embrassé le dessein de Mathilde l'alsacienne, tombée amoureuse d'Amine le combattant marocain de l'armée coloniale venu défendre une patrie qui n'était pas la sienne, de tout quitter pour rejoindre cet homme dans son Maroc vivre son amour baroque.
Admirable pour l'époque !

A la faveur de son intrigue, Leïla Slimani distribue les cartes d'une sorte de jeu des sept familles où sur chaque lame la vie de chacun est développée, capturée, comme saisie sur le Rif.

A vous de jouer…

Dans la famille Alsace, je veux Georges, le père de Mathilde. Pour lui, l'Afrique évoque les femmes aux seins nus, les hommes en pagnes. Un lieu où l'on pouvait être les maitres du monde.
Dans la famille Maroc, je veux la mère d'Amine, Mouilala qui, sa vie durant n'a fait que la cuisine et des enfants et qui n'est jamais sortie de la médina. Qui en fait n'est jamais sortie de la vie qui lui a été assignée, sans résistance.
Dans la famille Maroc encore, je veux Amine, le revenu de la guerre imposée comme une figure, avec l'idée de reprendre les terres de son père mort qui sont juste en face de celles florissantes des colons français. Pour faire les mêmes avec sa sueur et ses gènes.
Dans la famille Alsace j'aime Mathilde, sa force, sa fougue. Qui ne veux pas qu'on dise
qu'elle a « atterri là ». C'est son choix, elle va l'assumer.
Dans la famille Rebelle, j'ai entendu Omar, le frère d'Amine, dire sa haine des envahisseurs français, sa hargne à les chasser. Pour lui, même Amine aurait du mourir, il a pactisé.
Dans la famille Malaise, je plains Aïcha, la fille de Mathilde et Amine, blanche mais crépue,
ça fait jaser dans l'école des Soeurs où sont regroupées les enfants de colons.
Dans la famille Indomptable, j'ai mal pour Selma, la soeur d'Omar, qui se fait battre et se fait traiter de pute par son frère parce qu'elle est trop belle et qu'elle pourrait plaire. Lui, qui avec ses valeurs ancestrales immuables se prend pour le père. Quel avenir pour elle.
Dans la famille Délaissé, j'ai écouté grogner Mourad le contremaitre de l'exploitation, revenu d'Indochine et qui pour plaire à Amine veut imposer la rigueur aux fellahs, leur faire plier l'échine, incapables de discipline. En sera-t-il récompensé ?
Et enfin, dans la Famille Alsace restée sur place, je veux Irène qui envie sa soeur Mathilde d'avoir quitté une vie sans relief et sans adrénaline. Les lettres qu'elle reçoit la font rêver,
mais est-ce la réalité ?

Dans ce roman Leïla Slimani explore tous les mécanismes de la société coloniale dans le Maroc de l'après guerre de 40 où, tous les rouages sensibles des comportements humains sont exploités avec les engrenages de la fierté et de l'arrogance et les ressorts de l'orgueil et du mépris. La machine va-t-elle se gripper ?

Bonne pioche…
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critiques presse (5)
LaLibreBelgique
04 mai 2022
Leïla Slimani publie le 2e tome de son enthousiasmante trilogie "Le pays des autres". "Regardez-nous danser" prend place dans le Maroc de l'après Mai 68. Une période trouble, entre hédonisme et répression.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeDevoir
06 avril 2020
Au moyen d’une riche galerie de personnages féminins marquants, Leïla Slimani aborde de front la condition des femmes — ici doublement colonisées, à travers le joug français et celui des hommes. Une trajectoire à fleur de peau, passionnante et cruelle, servie par un souffle narratif indéniable.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Bibliobs
05 mars 2020
La lauréate du prix Goncourt 2016 porte dans son nouveau livre un regard à la fois original, complexe et très juste sur ce que fut la colonisation française au Maroc.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Culturebox
04 mars 2020
Dans cette grande fresque, la romancière nous offre de très beaux personnages, à commencer par Mathilde, qui évolue au fil du récit. Jeune fille "frivole et écervelée" , "fantasque", sensuelle et déjà audacieuse au début de l'histoire, elle change et prend de l'épaisseur au contact de ce nouveau monde qui lui est étranger.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Bibliobs
27 février 2020
Quatre ans après son prix Goncourt, la romancière revient avec « le Pays des autres », grande saga familiale qui démarre dans le Maroc colonial de l’après-guerre. Féminisme, identité, Macron, migrants... elle aborde ici tous ces sujets sans langue de bois.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (419) Voir plus Ajouter une citation
Mathilde aimait le cinéma, si passionnément que cela la faisait souffrir. Elle regardait les films sans presque respirer, le corps tout entier tendu vers les visages en Technicolor. Quand, au bout de deux heures, elle quittait le noir de la salle, l'agitation de la rue la heurtait. C'était la ville qui était fausse, incongrue, c'était le réel qui lui apparaissait comme une fiction triviale, comme un mensonge (...). Elle aurait voulu entrer dans l'écran, vivre des sentiments qui aient la même matière, la même densité. Elle aurait voulu qu'on lui reconnaisse sa dignité de personnage.
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Cette vie sublime, elle aurait voulu l'observer de loin, être invisible. Sa haute taille, sa blancheur, son statut d'étrangère la maintenaient à l'écart du coeur des choses, de ce silence qui fait qu'on se sait chez soi.
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« Papa, ce ne sont que les méchants Français qui sont attaqués, n’est-ce pas ? Les gentils, les ouvriers les protègent, tu ne crois pas ? »
Amine eut l’air surpris et il s’assit sur le lit. Il réfléchit quelques instants, la tête basse, les mains serrées devant sa bouche.
« Non, asséna-t-il d’une voix ferme, cela n’a rien à voir avec la gentillesse ou avec la justice. Il y a des hommes bons dont les fermes sont brûlées et des salauds qui échappent à tout. Dans les guerres, il n’y a plus de gentils, plus de méchants, plus de justice.
— C’est la guerre alors ?
— Pas vraiment », dit Amine, et comme s’il se parlait à lui-même, il ajouta : « En réalité, c’est pire que la guerre. Car nos ennemis ou ceux qui devraient l’être, nous vivons avec eux depuis longtemps. Certains sont nos amis, nos voisins, notre famille. Ils ont grandi avec nous et quand je les regarde, je ne vois pas un ennemi à abattre, non, je vois un enfant.
— Mais nous, est-ce que nous sommes du côté des gentils ou bien des méchants ? »
Aïcha s’était redressée et le regardait avec inquiétude. Il pensa qu’il ne savait pas parler aux enfants, qu’elle ne comprenait sans doute pas ce qu’il essayait de lui expliquer.
« Nous, dit-il, nous sommes comme ton arbre, à moitié citron et à moitié orange. Nous ne sommes d’aucun côté.
— Et nous aussi ils vont nous tuer ?
— Non, il ne nous arrivera rien. Je te le promets. Tu peux dormir sur tes deux oreilles. »
Il attrapa doucement les oreilles de sa fille pour approcher son visage du sien et déposer sur sa joue un baiser. Il ferma la porte délicatement et dans le couloir il songea que les fruits du citrange étaient immangeables. Leur pulpe était sèche et leur goût si amer que cela faisait monter les larmes aux yeux. Il pensa qu’il en allait du monde des hommes comme de la botanique. À la fin, une espèce prenait le pas sur l’autre et un jour l’orange aurait raison du citron ou l’inverse et l’arbre redonnerait enfin des fruits comestibles.
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Quand il apprit la mort de son beau-père, Amine dit : « Tu sais que je
l’aimais beaucoup », et il ne mentait pas. Il avait immédiatement ressenti
une vive amitié pour cet homme franc et joyeux, qui l’avait accueilli dans
sa famille sans aucun préjugé et sans paternalisme. Amine et Mathilde
s’étaient mariés dans l’église du village alsacien où Georges était né. À
Meknès, personne ne le savait et Amine avait fait promettre à sa femme de
garder le secret. « C’est un crime grave. Ils ne comprendraient pas. »
Personne n’avait vu les photographies prises à la sortie de la cérémonie. Le
photographe avait demandé à Mathilde de descendre de deux marches pour
être à la même hauteur que son époux. « Sinon, avait-il expliqué, c’est un
peu ridicule. » Pour l’organisation de la fête, Georges céda à tous les
caprices de sa fille à qui il glissait parfois quelques billets dans la main, en
secret d’Irène que les dépenses inutiles consternaient. Lui comprenait qu’on
ait besoin de jouir, de se trouver beau, et il ne jugeait pas la frivolité de son
enfant.
Jamais Amine ne vit d’hommes aussi soûls que ce soir-là. Georges ne
marchait pas, il tanguait, il s’accrochait aux épaules des femmes, il dansait
pour masquer son étourdissement. Vers minuit, il se jeta sur son gendre et il
enserra son cou dans son coude, comme on le fait à un garçon bagarreur.
Georges n’était pas conscient de sa force et Amine pensa qu’il pourrait le
tuer, lui rompre le cou par excès d’affection. Il entraîna Amine vers le fond
de la salle surchauffée où quelques couples dansaient sous des guirlandes de
lampions. Ils s’accoudèrent au comptoir en bois et Georges commanda deux
bières sans prêter attention à Amine qui agitait les mains pour refuser. Il se
sentait déjà tellement ivre et il avait même dû se cacher, quelques minutes
auparavant, pour vomir derrière la grange. Georges le fit boire, pour
mesurer sa résistance, pour le faire parler. Il le fit boire parce que c’était la
seule façon qu’il connaissait de nouer une amitié, d’établir un lien de
confiance. Comme les enfants qui s’entaillent le poignet et scellent un
serment dans le sang, Georges voulut noyer dans des litres de bière son
affection pour son gendre. Amine avait des haut-le-cœur et il ne cessait pas
de roter. Il chercha Mathilde des yeux mais la mariée semblait avoir
disparu. Georges le saisit aux épaules et l’entraîna dans des conversations
d’ivrogne. Avec son fort accent alsacien, il prit l’assistance à témoin :
« Dieu seul sait que je n’ai rien contre les Africains ni contre les croyants de
ta race. D’ailleurs, je ne connais rien à l’Afrique si tu veux savoir. » Abrutis
par l’alcool, les hommes autour d’eux ricanèrent, leurs lèvres humides
pendaient. Le nom de ce continent continua de résonner dans leur crâne,
évoquant des femmes aux seins nus, des hommes en pagne, des fermes
s’étendant à perte de vue et cernées par une végétation tropicale. Ils
entendaient « Afrique » et ils s’imaginaient un lieu où ils pourraient être les
maîtres du monde s’ils survivaient aux miasmes et aux épidémies.
« Afrique », et surgissait un désordre d’images qui en disaient plus sur leurs
fantasmes que sur ce continent lui-même. « Je ne sais pas comment on traite
les femmes de par chez toi mais la gosse, dit Georges, elle n’est pas facile,
hein ? » Il donna un coup de coude au vieillard avachi à ses côtés comme
pour lui demander de témoigner de l’insolence de Mathilde. L’homme
tourna ses yeux vitreux vers Amine et ne dit rien. « Moi j’ai été trop coulant
avec elle, poursuivit Georges dont la langue semblait avoir gonflé et qui
avait du mal à articuler. La gosse avait perdu sa mère, qu’est-ce que tu
veux ? Je me suis laissé attendrir. Je l’ai laissée courir sur les bords du Rhin,
on me l’a ramenée par la peau du cou parce qu’elle avait volé des cerises ou
parce qu’elle s’était baignée nue. » Georges ne remarqua pas qu’Amine
avait rougi et qu’il s’impatientait. « Tu vois, j’ai jamais eu le courage de la
rosser. Irène avait beau me gronder, j’y pouvais rien. Mais toi, il ne faudra
pas te laisser faire. Mathilde, elle doit comprendre qui commande. Hein
fiston ? » Georges continua à parler et il finit par oublier qu’il s’adressait à
son gendre. Une camaraderie grasse et virile s’était désormais installée
entre eux et il se sentit autorisé à parler des seins des femmes et de leurs
fesses, qui l’avaient consolé de toutes les désillusions. Il tapa du poing sur
la table et d’un air égrillard il proposa une tournée au bordel. Les voisins
rirent et il se rappela que c’était la nuit de noces d’Amine et que ce soir,
c’était des fesses de sa fille qu’il s’agissait.
Georges était un coureur et un ivrogne, un mécréant et un sacré
roublard. Mais Amine aimait ce géant qui, pendant les premières soirées où
le jeune soldat avait été posté dans le village, se tenait en retrait dans le
salon, fumant sa pipe dans son fauteuil. Il observait, sans mot dire, l’idylle
naissante entre sa fille et cet Africain, sa fille à qui, lorsqu’elle était enfant,
il avait appris à se méfier des idioties qu’on écrit dans les livres de contes.
« Ce n’est pas vrai que les nègres mangent les méchants enfants. »
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Au bout d’une semaine, alors que Mathilde avait passé l’après-midi
seule, il rentra dans la chambre, nerveux, contrarié. Mathilde le couvrit de
caresses, elle s’assit sur ses genoux. Il trempa ses lèvres dans le verre de
bière qu’elle lui avait servi et il dit : « J’ai une mauvaise nouvelle. Nous
devons attendre quelques mois avant de nous installer sur notre propriété.
J’ai parlé au locataire et il refuse de quitter la ferme avant la fin du bail. J’ai
essayé de trouver un appartement à Meknès, mais il y a encore beaucoup de
réfugiés et rien à louer pour un prix raisonnable. » Mathilde était
désemparée.
« Et que ferons-nous alors ?
— Nous allons vivre chez ma mère en attendant. »
Mathilde sauta sur ses pieds et elle se mit à rire.
« Tu n’es pas sérieux ? » Elle avait l’air de trouver la situation ridicule,
hilarante. Comment un homme comme Amine, un homme capable de la
posséder comme il l’avait fait cette nuit, pouvait-il lui faire croire qu’ils
allaient vivre chez sa mère ?
Mais Amine ne goûta pas la plaisanterie. Il resta assis, pour ne pas avoir
à subir la différence de taille entre sa femme et lui. D’une voix glacée, les
yeux fixés sur le sol en granito, il affirma :
« Ici, c’est comme ça. »
Cette phrase, elle l’entendrait souvent. À cet instant précis, elle comprit
qu’elle était une étrangère, une femme, une épouse, un être à la merci des
autres. Amine était sur son territoire à présent, c’était lui qui expliquait les
règles, qui disait la marche à suivre, qui traçait les frontières de la pudeur,
de la honte et de la bienséance. En Alsace, pendant la guerre, il était un
étranger, un homme de passage qui devait se faire discret. Lorsqu’elle
l’avait rencontré durant l’automne 1944 elle lui avait servi de guide et de
protectrice. Le régiment d’Amine était stationné dans son bourg à quelques
kilomètres de Mulhouse et ils avaient dû attendre pendant des jours des
ordres pour avancer vers l’est. De toutes les filles qui encerclèrent la Jeep le
jour de leur arrivée, Mathilde était la plus grande. Elle avait des épaules
larges et des mollets de jeune garçon. Son regard était vert comme l’eau des
fontaines de Meknès, et elle ne quitta pas Amine des yeux. Pendant la
longue semaine qu’il passa au village, elle l’accompagna en promenade,
elle lui présenta ses amis et elle lui apprit des jeux de cartes. Il faisait bien
une tête de moins qu’elle et il avait la peau la plus sombre qu’on puisse
imaginer. Il était tellement beau qu’elle avait peur qu’on le lui prenne. Peur
qu’il soit une illusion. Jamais elle n’avait ressenti ça. Ni avec le professeur
de piano quand elle avait quatorze ans. Ni avec son cousin Alain qui mettait
sa main sous sa robe et volait pour elle des cerises au bord du Rhin. Mais
arrivée ici, sur sa terre à lui, elle se sentit démunie.
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FESTIVAL OH LES BEAUX JOURS ! 8e édition
Leïla Slimani et Jean-Marie Laclavetine Lecture par Anna Mouglalis
Pour clore la belle série des grands entretiens 2024, Oh les beaux jours ! reçoit Leïla Slimani. Né à Rabat, au Maroc, en 1981, l'écrivaine construit une oeuvre où elle mêle romans et essais, explorant à la fois des questions d'identité, de genre, et scrutant avec finesse les maux de la société. Leïla Slimani a acquis une renommée internationale avec son deuxième roman, « Chanson douce », thriller familial où elle explore les tensions entre une nounou et une famille bourgeoise, livre couronné par le prix Goncourt en 2016, et adapté à l'écran.Connue pour ses engagements, elle n'hésite pas dans ses romans, mais aussi dans ses essais et tribunes à aborder des sujets polémiques, la sexualité et le corps des femmes, le colonialisme, en revendiquant sa double nationalité marocaine et française. Ces dernières années, elle a entrepris l'écriture d'une trilogie, « Le Pays des autres », vaste fresque qui retrace l'histoire de la colonisation française au Maroc à travers le regard de personnages féminins.Elle a également publié un très beau récit personnel, « Le Parfum des fleurs la nuit », inspiré par une nuit passée dans les collections d'art du Palazzo Grassi, à Venise, confession discrète et intense où elle évoque son père, jadis emprisonné.
Son éditeur et premier lecteur, Jean-Marie Laclavetine, nous raconte l'envol de l'écrivaine qu'il avait reçu pour un stage d'écriture et qu'il continue d'accompagner. La comédienne Anna Mouglalis partage ses combats féministes et lit certains passages de ses livres, notamment « Sexe et mensonges », livre choc autour de la sexualité au Maroc. On découvrira le travail de la réalisatrice Sonia Terrab, complice de longue date, avec qui elle a lancé le manifeste des «hors-la-loi» et créé l'association Moroccan Outlaws.Une heure trente en compagnie d'une écrivaine passionnée, interviewée par Olivia Gesbert, qui dirige la revue NRF chez Gallimard.
À lire - « Regardez-nous danser. le Pays des autres », tome 2, Gallimard, 2022. - « Le Parfum des fleurs la nuit », coll. «Ma nuit au musée», Stock, 2021. - « Sexe et mensonges. Histoires vraies de la vie sexuelle des femmes au Maroc », Les Arènes, 2021. - « Le Pays des autres, tome 1 », Gallimard, 2020. - « Chanson douce », Gallimard, 2016 (prix Goncourt 2016). - « Dans le jardin de l'ogre », Gallimard, 2014.
Un grand entretien animé par Olivia Gesbert et enregistré en public le 26 mai 2024 au Mucem, à Marseille, lors de la 8e édition du festival Oh les beaux jours !
Podcasts & replay sur http://ohlesbeauxjours.fr #OhLesBeauxJours #OLBJ2024
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