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EAN : 9782130574873
224 pages
Presses Universitaires de France (03/11/2009)
3/5   3 notes
Résumé :
Ce livre dÉtienne Souriau se présente comme un petit traité consacré à une question fondamentale : y a-t-il différentes manières dexister ? Quel rapport entre lexistence dune uvre dart et celle dune personne ? Entre lexistence de latome et celle dune valeur comme la solidarité ? Ces questions sont les nôtres, à chaque fois que quelque chose prend consistance et vient à compter dans nos vies. Louvrage défend méthodiquement la thèse dun pluralisme existentiel : il y a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
1943-Étienne Souriau publie « Les différents modes d'existence », et Sartre, « l'Etre et le Néant »…

Comment peut-on avoir envie de parler d'ontologie en pleine guerre ?
C'est peut-être que derrière les constructions philosophiques, il n'est question que du rapport avec et au risque d'autres êtres…

La question traverse l'oeuvre de Souriau. D'une manière exemplaire, il est déjà lui-même en tant qu'auteur, mis à la question par l'oeuvre philosophique qu'il tente d'instaurer…
Tout comme il me semble qu'en tentant d'écrire le moindre commentaire sur Babelio, je peux aussi éprouver ce simple fait d'être « mis à la question »…

Plus généralement, ce livre s'intéresse à « l'existence de l'oeuvre à faire », prise dans sa grande variété philosophique, scientifique, sociale, morale…C'est d'ailleurs le titre d'un texte de 1956, réédité ici, et qui pourrait servir d'introduction tant il résume le fil conducteur de sa pensée, son esthétique de l'existence…

S'il n'est apparemment pas question du rapport avec d'autres existences humaines, alors quels sont ces autres « modes positifs d'existence venant à notre rencontre avec leurs palmes » ?
Pour s'ouvrir l'appétit métaphysique, continuons donc à renverser les points de vue…

Le phénomène existant en « patuité » se donne à tout autre chose sans rien attendre en retour…
L'existence réique, y compris le psychisme, s'efforce de réaliser sa permanence, son identité, comme la “souriauité” ou la “durandité”…
Les êtres de fiction, « sollicitudinaires », existent dans la proportion de I'importance qu'ils ont pour nous…
Les êtres virtuels peuvent n'évoquer qu'un fragment de réalité étranger à leur être propre, et par là « faire la différence entre l'accomplissable et l'absurde auto-destructeur »…

Accomplissable : n'est-ce pas l'expérience qui le dira ? Mais Souriau reconnaît assez facilement sa « haine de l'utopie ». A la limite, comment pourrait-il alors se risquer à la moindre expérience ? L'oeuvre à faire condamnée dès l'ébauche, voilà le comble de « l'absurde auto-destructeur »…

Identité : existe-t'elle le jour où des vies sont en jeu et qu'on est surpris par son propre choix ? Fallait-il résister, collaborer, fuir, porter secours ou tuer…
L'identité serait plutôt un être de fiction. On ne sera pas surpris en tous les cas de voir cet entêtement identitaire s'étendre à la question de l'existence de Dieu.

Selon la logique de cette première partie de l'enquête, des modes pures d'existence ont été isolés jusqu'à la limite de ce qui adhère encore avec l'expérience. On distingue en effet ces êtres par leur degré de dépendance avec l'Autre : « de l'aséité à l'abaliété ». Ce qui rappelle le risque de rater, inhérent à tout art d'exister.

En poursuivant dans ce sens on s'achemine vers des modes d'existence qui ont largué les amarres avec le phénomène et l'expérience, et on débouche sur les noumènes, « le Dieu nouménal des métaphysiciens » et « le Dieu senti des mystiques »…
Mais existent-ils de manière positive en dehors de l'existence problématique ?
Oui, répond Souriau, « ne serait-ce que d'une façon toute virtuelle par I'idée imparfaite que nous en formons. »
C'est sa version de « l'argument ontologique » : « il sera passage d'un mode d'existence à un autre ».

On laissera l'auteur se prendre la tête avec les Écritures et les quelques pages « où l'on peut avoir l'impression d'entendre un Dieu parler en Dieu » (sic)…
Et d'ailleurs, je me demande encore pourquoi je me prend la tête avec des livres d'ontologie qui versent dans le complexe psycho-théologique…

Souriau veut ainsi nous faire passer dans le deuxième genre de réalité, celui des modes synaptiques d'existence ou des passages d'un mode ontique à un autre ;
« Les modulations d'existence pour, d'existence devant, d'existence avec (et même contre) sont autant d'espèces de ce mode général du synaptique. »
Et si l'on veut le suivre jusqu'au bout, il restera alors à surpasser, dans la surexistence, les deux modes de l'agir et de l'être…

Pendant toute cette lecture, j'ai bien été préparé à faire une rencontre du 3ème type ; mais en attendant, j'ai dû me perdre en chemin, malgré l'aide d'une longue introduction passionnée…

Ce qui reste, c'est la nette impression qu'on ne peut rien dire sur ces questions existentielles sans jouer avec les mots
Il y a une partie de cache-cache entre philosophie et poésie. Poeta philosophus…

Si l'oeuvre à faire se joue comme une pièce dramatique, alors toute la trame dialectique est en place :
L'oeuvre est vouée à réussir ou à rater ; l'homme y est dévoué…
elle passera éventuellement d'une existence physique - exemple, la glaise - à l'existence spirituelle de la sculpture « éclatante » qui a « réussi »…
Les deux genres de réalité ontiques et synaptiques, l'être et l'agir, sont prêts à s'unir intensément…

En termes littéraires, l'expérience de l'oeuvre à faire est dite « anaphorique »…
*anaphore : figure de style mettant en oeuvre reprise et répétition, et ce notamment pour susciter une montée en intensité qui s'empare du lecteur, de l'auditeur, mais aussi du locuteur lui-même.

Mais ne manque-t-il pas une pointe de folie, une liberté absolue ? Ce grand mot, liberté, il ne le prononce timidement que dans le texte de 1956. Alors disons le plus fort, comme dans la chanson : « Il est libre Max ».

Il ne craint pas d'abuser de formules gracieuses, à la limite du ridicule : « l'âme est faite en sa virtualité de l'harmonie qui coordonne en accords ce dont l'ébauche d'une mélodie intérieure a tracé un instant le galbe interrompu… »
Il se fiche pas mal de sa distinction purement arbitraire des différents modes pures d'existence ;
S'agit-il d'une démonstration par l'absurde ? Il répond qu'il fallait « justifier la pluralité existentielle »…

Le style de Souriau est séduisant lorsqu'il inverse les points de vue et personnifie ces êtres rencontrés dans leur mode d'existence propre, leur art d'exister…
Très différent de Sartre, mais surtout par le fait que ce dernier s'intéresse aux êtres en chair et en os ;
Je n'ai toutefois pas envie d'opposer les deux styles, car ils expriment une authentique tension…
Est-il « tendancieux » ou de « mauvaise foi » de manifester subtilement ses désirs ou ses craintes ?
Question posée idéalement, selon leur propre terme, aux deux philosophes…

« Nous haïssons l'utopie » dit Souriau. Dans l'introduction on apprend qu'il a été fait prisonnier, « désoeuvré », pendant la première guerre ; avant d'être peut-être remobilisé pour la seconde…
Et moi, en ce moment, je ne pense qu'à la chanson « Imagine » de John Lennon, et à cette parole de Sartre qui rappelle que la guerre cesse si chaque mobilisé refuse de prendre les armes…

Décidément rien ne va de soi lorsque sa propre vie devient “l'oeuvre à faire”…

L'introduction s'est chargée de « refaire Souriau », quitte à défaire ses contemporains avec un remarquable acharnement ;
Leurs deux auteurs, Isabelle Stengers et Bruno Latour, m'ont d'ailleurs donné plusieurs fois l'impression de deux jeunes communiants ;
Non. Une vie d'athée n'est pas du tout un « petit bonhomme de chemin »…

Laissons Sartre répondre : « Qu'avons-nous besoin de Dieu ? L'Autre suffit, n'importe quel autre. Il entre et je ne m'appartiens plus »…
Mais oui, Souriau peut être lu en dehors d'un cercle agnostique ou catholique.

Renouveler ses croyances c'est déjà renouveler ses questions, et ça tombe bien car l'expérience de l'oeuvre à faire est justement une « situation questionnante ». Mais comme il manque d'illustrations, c'est encore l'intro qui s'en charge.
Attention brebis égarées ! la question de nos deux communiants est posée « à la plupart des peuples de la terre » : « comment hériter après une continuité brisée ? ».

Ironiquement, c'est une parfaite continuité qui saute aux yeux, avec l'héritage de Souriau père. Notons ce que dit ce dernier sur la dialectique de l'artiste et de l'oeuvre : « Voilà pourquoi les grands inventeurs, poètes, artistes, savants, se sont partout et toujours représentés eux-mêmes comme les instruments, en quelque sorte inconscients, d'une puissance étrangère et surnaturelle. »
On retrouve même quasiment le titre choisi par nos deux acolytes pour leur introduction, « Le sphinx de l'oeuvre » !

Malgré tout, au jeu des affinités, ce sont eux qui fixent les règles. Ils pointent d'abord Deleuze : comment ce diable a-t-il pu quasiment passer sous silence l'héritage de Souriau ?
Puis ils fixent le cap au lecteur : ne cherchez pas chez Souriau le tendancieux déguisé sous son apparence d'impartialité.

Il faut en effet tenir le choc des premières lignes du texte, où Souriau, avec un culot monstre, fait la leçon aux philosophes : « En même temps qu'ils affirment, ils désirent ».
Sur le coup, j'en ai même perdu mon goût habituel pour la polémique ; toute critique devenant absurde par cette simple remarque.

Si je dis maintenant qu'ils craignent ce qu'ils nient, n'est-ce pas la contraposée, c'est-à-dire la même chose ?
On n'a pas avancé mais ça fait réfléchir, et on y retrouve Souriau, car il craint en effet ce qu'il tend à nier : la liberté.

En conclusion, cette lecture n'a pas été aussi stimulante que je l'ai cru pendant un long moment. Sauf à poursuivre l'expérience avec ce diable de Deleuze et son livre « Différence et répétition » ; car toutes ces histoires de progression anaphorique, d'héritage et d'affinités évidentes, me paraissent tout sauf évidentes.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Rien de moins philosophique que la confusion des degrés de valeur avec la dyade du grand et du petit. Nulle raison pour qu’un grand corps céleste, galaxie ou système stellaire, sorte de Caliban sidéral, vaille mieux que tel Ariel infime, telle petite idée blottie aux feuillets d’un livre, telle motte de terre pétrie en statuette. Il n’est pas dit que le grain de sable ne contienne pas, dans son abîme, quelque atome habité plus précieusement que telle planète. Un seul acte de charité, œuvre d’un instant dans une âme humble, peut valoir mieux que les vastes actions, aveugles d’un grand corps social. Les sommets moraux de l’existence n’ont rien à voir avec les dimensions spatiales de l’être. (p. 171)
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