MÉDITATION SUR UN BALAI
Voici à quelle occasion fut composée cette fameuse parodie.
Lors des visites annuelles que Swift fit à Londres, raconte le docteur Thomas Sheridan, il passait une bonne partie de son temps chez lord Berkeley, officiant comme chapelain de la maison, et assistant lady Berkeley dans ses dévotions particulières, après lesquelles le docteur, sur sa demande, avait coutume de lui faire quelque lecture morale ou religieuse. La comtesse, à cette époque, s’était prise de belle passion pour les Méditations de M. Boyle, et était déterminée à les lire d’un bout à l’autre de cette manière ; mais comme Swift était loin d’avoir le même goût pour ce genre d’écrits, il fut bientôt las de sa tâche, et, une lubie lui passant par la tête, il résolut de s’en débarrasser de façon à égayer la maison, pour qui la plaisanterie n’était pas un moindre régal. La première fois qu’il eut à lire une de ces Méditations, il profita d’une occasion pour emporter le livre, et y insérer adroitement une feuille, sur laquelle il avait écrit sa propre Méditation sur un balai : après quoi, il eut soin de remettre le livre à sa place ; et, lorsqu’à la séance suivante, mylady lui demanda de continuer la lecture, il ouvrit le volume à l’endroit où il avait inséré le papier, et lut avec beaucoup de sang-froid : « Méditation sur un balai. » Lady Berkeley, un peu surprise de l’étrangeté du titre, l’arrêta en répétant : « Méditation sur un balai ! Quel singulier sujet ! Mais qui peut savoir les enseignements utiles que ce merveilleux homme est capable de tirer des choses en apparence les plus triviales. Voyons, je vous prie, ce qu’il dit là-dessus. » Swift alors, avec un sérieux imperturbable, se mit à lire la Méditation, du même ton solennel dont il avait débité les précédentes. Lady Berkeley, ne se doutant pas du tour qu’il lui jouait, tout entière à ses préventions, exprimait de temps en temps, pendant cette lecture, son admiration pour cet homme extraordinaire, qui savait tirer de si belles réflexions morales d’un sujet si méprisable… Bientôt après, des visites étant survenues, Swift saisit un prétexte pour se retirer, prévoyant ce qui allait arriver. Lady Berkeley, pleine de son sujet, entame l’éloge de ces divines Méditations de M. Boyle. « Mais, dit-elle, le docteur vient de m’en lire une qui m’a surprise plus que tout le reste. » Quelqu’un de la compagnie demanda quelle était celle dont elle voulait parler. Elle répondit aussitôt, dans la simplicité de son cœur : « C’est cette excellente Méditation sur le balai. » Les assistants s’entreregardèrent avec surprise, et eurent peine à s’empêcher de rire. Mais tous s’accordèrent à dire qu’ils n’avaient jamais ouï parler de cette Méditation. « Sur ma parole, reprit la dame, la voici ; regardez dans ce livre, afin de vous convaincre. » Un d’eux ouvrit le livre, et l’y trouva en effet, mais de la main de Swift, sur quoi ce fut un éclat de rire général ; et mylady, le premier étonnement passé, goûta la plaisanterie autant que qui que ce soit, disant : « Quel infâme tour m’a joué ce coquin ! Mais voilà comme il est, il n’a jamais su résister à faire une plaisanterie. » L’affaire n’eut pas de suite plus sérieuse, et Swift, comme on pense bien, ne fut pas mis en réquisition pour lire le reste du volume.
Méditation sur un balai.
Ce simple bâton, que vous voyez ici gisant sans gloire dans ce coin négligé, je l’ai vu jadis florissant dans une forêt : il était plein de sève, plein de feuilles et plein de branches, mais à présent, en vain l’art diligent de l’homme prétend lutter contre la nature en attachant ce faisceau flétri de verges à son tronc desséché : il n’est tout au plus que l’inverse de ce qu’il était, un arbre renversé sens dessus dessous, les rameaux sur la terre, et la racine dans l’air ; à présent il est manié de chaque souillon, condamné à être son esclave, et, par un caprice de la destinée, sa mission est de rendre propres les autres objets et d’être sale lui-même : enfin, usé jusqu’au tronçon entre les mains des servantes, il est ou jeté à la rue, ou condamné, pour dernier service, à allumer le feu. Quand je contemplai ceci, je soupirai, et dis en moi-même : certainement l’homme est un balai !
La nature le mit au monde fort et vigoureux, dans une condition prospère, portant sur sa tête ses propres cheveux, les véritables branches de ce végétal doué de raison, jusqu’à ce que la hache de l’intempérance ait fait tomber ses verdoyants rameaux et n’ait plus laissé qu’un tronc desséché. Alors il a recours à l’art, et met une perruque, s’estimant à cause d’un artificiel faisceau de cheveux (tout couverts de poudre) qui n’ont jamais poussé sur sa tête ; mais en ce moment, si notre balai avait la prétention d’entrer en scène, fier de ces dépouilles de bouleau que jamais il ne porta, et tout couvert de poussière, provînt-elle de la chambre de la plus belle dame, nous serions disposés à ridiculiser et à mépriser sa vanité, juges partiaux que nous sommes de nos propres perfections et des défauts des autres hommes.
Mais un balai, direz-vous peut-être, est l’emblème d’un arbre qui se tient sur sa tête ; et je vous prie, qu’est-ce qu’un homme, si ce n’est une créature sens dessus dessous, ses facultés animales perpétuellement montées sur ses facultés raisonnables, sa tête où devraient être ses talons, rampant sur la terre ! Et pourtant, avec toutes ses fautes, il s’érige en réformateur universel et destructeur d’abus, en redresseur de griefs, il va fouillant dans tous les recoins malpropres de la nature, amenant au jour la corruption cachée, et soulève une poussière considérable là où il n’y en avait point auparavant, prenant tout le temps son ample part de ces mêmes pollutions qu’il prétend effacer ; ses derniers jours se passent dans l’esclavage des femmes, et généralement des moins méritantes : jusqu’à ce qu’usé jusqu’au tronçon, comme son frère le balai, il soit jeté à la porte, ou employé à allumer les flammes auxquelles d’autres se chaufferont.
Anniversaire de Stella, 13 mars 1726
Ce jour-là, quel que soit le décret du Destin, Je serai toujours observé
avec joie par moi;
Aujourd'hui, ne nous disons pas
que vous êtes malade et que j'ai vieilli,
ni que nous ne pensons à nos maux imminents,
et que vous ne parlerez pas de lunettes et de pilules;
Demain sera assez de temps pour
entendre des choses aussi mortifiantes.
Pourtant, puisque de la raison peut être apportée
Une pensée meilleure et plus agréable,
Qui peut, malgré toutes les décadences,
Soutenir quelques jours restants:
De pas le plus grave des divins
Acceptez pour une fois quelques lignes sérieuses.
Bien que nous ne puissions plus former de
longs schémas de vie, comme auparavant;
Pourtant, pendant que le temps passe vite, vous
pouvez regarder avec joie ce qui est passé.
Le bonheur et la douleur futurs étaient-ils
un simple artifice du cerveau,
comme le soutiennent les athées, pour séduire,
et adapter leurs prosélytes au vice
(le seul confort qu'ils proposent,
avoir des compagnons dans leurs malheurs).
Accordez-en le cas, mais c'est sûr que c'est dur.
Cette vertu, a appelé sa propre récompense,
Et par tous les sages ont compris
Être le chef du bien humain,
Devrait agir, mourir ou laisser
un plaisir durable dans l'esprit.
Qui par le souvenir apaisera le
chagrin, la maladie, la pauvreté et l'âge;
Et tirez avec force sur une fléchette radieuse,
Pour briller à travers la partie déclinante de la vie.
Dites, Stella, ne vous sentez pas content,
réfléchissant à une vie bien passée;
Votre main habile employée pour sauver les
misérables désespérés de la tombe;
Et puis soutenir avec votre magasin,
ceux que vous avez tirés de la mort avant?
Ainsi attend la Providence sur les mortels,
Préservant ce qu'elle crée d'abord,
Audace généreuse pour défendre
Un ami innocent et absent;
Ce courage qui peut vous rendre juste,
Pour mériter humilié dans la poussière;
La détestation que vous exprimez
Pour le vice dans toute sa robe scintillante:
Cette patience sous la torture de la douleur,
Où les têtus se plaindraient.
Doit-on passer comme des ombres vides,
ou des formes reflétées sur un verre?
Ou de simples chimères dans l'esprit,
Cette mouche, et ne laisse aucune trace derrière?
Le corps ne prospère-t-il pas et ne grandit-il pas
par la nourriture d'il y a vingt ans?
Et, s'il n'avait pas encore été fourni,
Il doit être mort mille fois.
Alors, qui avec raison peut soutenir
Qu'aucun effet de la nourriture ne subsiste?
Et la vertu de l'humanité n'est-elle pas
le nutriment qui nourrit l'esprit?
Soutenu par chaque bonne action passée,
Et encore continué par la dernière:
Alors, qui avec raison peut prétendre
que tous les effets de la vertu s'arrêtent?
Croyez-moi, Stella, quand vous montrez
ce vrai mépris pour les choses d'en bas,
ni ne valorisez votre vie à d'autres fins
que simplement pour obliger vos amis,
vos actions antérieures réclament leur part,
Et joignez-vous à fortifier votre cœur.
Car la vertu dans sa course quotidienne,
comme Janus, porte un double visage.
Regardez en arrière avec joie où elle est allée,
et continue donc avec courage.
Elle attendra sur votre canapé maladif
et vous guidera vers un meilleur état.
O alors, quel que soit l'intention du ciel,
ayez pitié de vos amis compatissants;
Ne laissez pas vos maux affecter votre esprit,
Pour imaginer qu'ils peuvent être méchants;
Moi, sûrement moi, vous devez épargner,
Qui partagerait volontiers vos souffrances;
Ou donnez-vous mon morceau de vie,
et pensez-le bien en deçà de votre dû;
Toi aux soins de qui je dois si souvent
que je suis vivant pour te le dire.
Une belle jeune nymphe va au lit
Corinna, fierté de Drury-Lane,
pour qui aucun berger ne soupire en vain;
Jamais Covent Garden ne s'est
vanté d'avoir un Toast si brillant et flânant;
Pas de râteau ivre pour la chercher,
pas de cave où sur Tick pour souper;
De retour à l'heure de minuit;
Four Stories grimpant à son Bow'r;
Puis, assise sur une chaise à trois pieds,
enlève ses cheveux artificiels:
Maintenant, choisissant un œil de cristal,
elle l'essuie et le dépose.
Ses yeux-sourcils d'une peau de souris, collés
avec l'art de chaque côté, se
retirent avec soin et les affichent d'abord,
puis dans un livre de jeu les pose en douceur.
Maintenant adroitement ses Plumpers dessine,
Cela sert à remplir ses mâchoires creuses.
Dénoue un fil; et de ses gencives
un ensemble de dents vient complètement.
Sort les chiffons conçus pour soutenir
Ses Dugs flasques et ils tombent.
En
continuant , la belle déesse se détache à côté de son corsage à côtes d'acier;
Qui par la compétence de l'opérateur,
appuyez sur les bosses, les creux se remplissent,
haut houe sa main, et elle glisse
les traversins qui fournissent ses hanches.
Avec le toucher le plus doux, elle explore ensuite
ses Shankers, ses problèmes, ses plaies en cours d'exécution, les
effets de nombreux désastres tristes;
Et puis à chacun s'applique un plâtre.
Mais il faut, avant qu'elle aille au lit,
effacer les taches de blanc et de rouge;
Et lisser les sillons de son front,
avec du papier gras collé dessus.
Elle prend un bolus pendant qu'elle dort;
Et puis entre deux couvertures rampe.
Avec des douleurs de l'amour tourmenté les mensonges;
Ou si elle a la chance de fermer les yeux,
de Bridewell et du compter rêve,
et sent le fouet, et crie faiblement;
Ou, par un Bully infidèle dessiné,
À quelque Hedge-Tavern se trouve dans Pion;
Ou en Jamaïque semble transporté,
seul, et par aucun planteur courtisé;
Ou, près des oozy Brinks de Fleet-Ditch,
Entouré de cent puantes,
tardif, semble guetter pour mentir,
Et prendre quelques Cull qui passent;
Ou, frappé de peur, sa fantaisie court
Sur Watchmen, gendarmes et Duns,
dont elle rencontre fréquemment des frottements;
Mais jamais des clubs religieux;
Dont elle est sûre de trouver la faveur,
parce qu'elle les paie toutes en nature.
CORINNA se réveille. Une vue terrible!
Voici les ruines de la nuit!
Un rat méchant que son plâtre a volé, a
mangé à moitié et l'a traîné dans son trou.
L'Oeil de Cristal, hélas, manqua;
Et Puss avait sur ses Plumpers énervé.
Un pigeon a choisi son Issue-Peas;
Et choquez ses tresses remplies de puces.
La nymphe, bien que dans cette
détresse mutilée , doit à chaque fois que Morn ses membres s'unissent.
Mais comment décrirai-je ses arts
pour se souvenir des parties éparses?
Ou montrer l'angoisse, la peine et la douleur
de se ressaisir?
La muse timide ne supportera jamais
dans une telle scène d'intervenir.
Corinna in the Morning dizen'd,
Qui voit, vomira; qui sent, soit empoisonné.
Et tandis que l'esprit de l'homme, lorsqu'en piquant des deux il lâche les rênes à ses pensées, ne s'arrête jamais, mais parvient, par un mouvement naturel, jusqu'aux extrêmes du Haut et du Bas, du Bien et du Mal, la première envolée de sa fantaisie le transporte généralement jusqu'à l'idée même de ce qu'il y a de plus parfait et de plus élevé, jusqu'à ce que, dépassant sa portée et les limites de ses sens, ne se rendant plus compte que les frontières du ciel sont souvent contiguës à celles de l'abîme, le voilà qui, dans le même essor et du même coup d'aile, tombe tout droit jusqu'au fond dernier des choses, comme quelqu'un qui marcherait de l'est à l'ouest ou comme une ligne droite s'allongeant jusqu'à former un cercle; soit qu'une certaine perversité naturelle nous incite à opposer irrésistiblement à toute notion d'un objet brillant la notion contraire, soit que la Raison, se réfléchissant sur la totalité des choses, ne puisse comme le soleil illuminer qu'une moitié du globe, laissant inévitablement l'autre moitié dans l'ombre et les ténèbres, soit encore que l'imagination volant d'emblée à la conception de ce qu'il y a de plus haut et de meilleur, s'époumone, et s'épuise, et s'essouffle, et s'abatte soudain sur le sol comme un oiseau de paradis sans vie.
"Les Voyages de Gulliver" de Jonathan Swift | Des histoires merveilleuses