Ai entrepris la lecture des recueils de nouvelles (parlons plutôt de récits, de "racconti") d'
Antonio Tabucchi. Longtemps, ces récits m'ont posé problème - je crois que je ne savais pas les aborder parce qu'ils ne correspondaient pas adéquatement à l'idée que je me faisais de la nouvelle à une certaine époque. Erreur grossière : je n'avais tout simplement pas compris. Mais quel plaisir de découvrir après plusieurs décennies tous les délices dont elles sont imprégnées. Particulièrement ce dernier récit que je viens tout juste de lire et qui me baigne encore de son charme insaisissable (Chambres, tiré des "Petits malentendus sans importance"; Bourgois; Récits complets, 1995). J'imagine sans effort la poésie de la langue d'origine; un doux bercement de l'âme qui s'accorde au paisible de ces scènes, qui malgré la souffrance en sourdine glissent avec une certaine aisance heureuse sur les souvenirs de la soeur du malade. Et moi de me délecter...
"(...); quand Guido était encore capable de se lever, c'est là qu'il écrivait, regardant dans l'encadrement de la fenêtre la cime des arbres et le flanc de la colline. Dans le tiroir de droite, caché dans un petit échiquier pliable, il rangeait son journal qu'elle a lu ponctuellement chaque matin, des années durant, comparant son impression de la journée écoulée à la description faite par son frère. Elle pense à quel point l'écriture est mensongère, son arrogance implacable, faite de mots définis, de verbes, d'adjectifs qui emprisonnent les choses, qui les matérialisent dans une fixité vitreuse, telle une libellule prise dans la pierre depuis des siècles, qui garde encore l'apparence d'une libellule, mais qui n'est plus une libellule. C'est ça l'écriture, avec sa capacité d'éloigner de plusieurs siècles le passé et le présent récent : tout en les fixant. Mais les choses sont diffuses, pense Amélia, et c'est pour cela qu'elles sont vivantes, parce qu'elles sont diffuses et sans contours et ne se laissent pas emprisonner par les mots." (Chambres, 273, sv.)
Entreprendre une lecture de ces récits, s'est s'affubler d'un désir sans fin pour une prose extatique qui nous ravit à chaque instant, à chaque mot, à chaque phrase et qui inlassablement nous porte jusqu'au ravissement qui est toujours au rendez-vous. Fortement conseillé.