«
Phototaxie » est le troisième roman de
Olivia Tapiero (2017,
Mémoire d'Encrier, 130 p.). Romancière tout juste trentenaire. Une maitrise en littérature à McGill University, Montréal et une maitrise en traduction à Concordia University, toujours à Montréal. Un roman «
Les Murs » (2009, VLB, 160 p.) et le prix Robert Cliche qui va avec pour un auteur de plus de 17 ans et un premier roman d'au moins 150 pages. Changement d'éditeur pour aller chez «
Mémoire d'Encrier » avec «
Phototaxie », et plus récemment «
Rien du Tout » (2021,
Mémoire d'Encrier, 136 p.).
«
Phototaxie », c'est un homme qui tombe, et qui continue de tomber. Déjà, dès le début de «
Rien du Tout », il y avait cette première phrase « L'orifice premier s'ouvre au monde : oeil, fleur, cri. L'anémone de mer, la valve du coeur. Une faille de lumière dans le vide galactique ». Cela me pose question de savoir si l'auteur est comme ces insectes qui viennent se bruler les pattes sur les lampes le soi dans la nuit éclairée. Plutôt cette fascination d'un « horizon absolu d'un trou noir qui défigure l'espace-temps » que celle d'une attirance vers les feux de la rampe, qui mettent de façon provisoire les talents supposés des vedettes de nos jours. L'attrait du trou noir et l'appel vers la lumière en opposition à la disparition de celle-ci, happée par la gravitation qui l'empêche d'en sortir. Quoi attire quoi ou qui en est la cause. Quoiqu'il en soit un homme tombe et continue de tomber.
Et cette vidéo de l'homme qui tombe d'un immeuble fascine Théo Schultz. Un peu comme ce laveur de vitres qui, tombant de son échafaudage, salue les locataires au fur et à mesure des étages. On pense, bien entendu à ce pauvre Tim Finnegan dont « la grande chute du mur d'angle entraina à si brève échéance la pftjschute », chute à l'origine des 10 mots de cent lettres qui rythment le «
Finnegans Wake » de
James Joyce. « bababadalgharaghtakamminarronnkonnbronntonnerroonntuonnthunntrovarrhounawnskawntoohoordenenthurnuk! »
Attirance que Théo Schultz, pianiste de son état décrit sans vraiment la comprendre. «Avec lui je sens la légèreté qui précède les catastrophes. Je lui ouvre tout. Lui ne me laissera rien, pas même ce qui lui colle entre les dents. Il est ma fête, ma cathédrale, mon louveteau exquis. J'aime tout de lui, chaque détail, les paupières, la peau entre les orteils, l'enfonçure autour de l'annulaire. Je lui donne tout pour le voir jouir comme la pluie tremble ». Mais est-ce le fait de voir l'homme qui tombe « L'homme qui tombe se multiplie, télescopé dans l'oeil du pianiste Schultz » ou la durée répétée de sa chute. « Il n'est pas question du moment où on regarde l'homme qui tombe mais de ce qui subsiste dans la répétition de cette image ». Etonnant de l'entendre rejouer Brahms et non point
Steve Reich.
Dans les autres chapitres, il y aura Zev, tout aussi anarchiste, tendance consumériste, canal vol à l'étalage pour « compenser la mendicité de l'achat ». C'est presque de la novlangue ou du moins du couper-coller des manuels du petit anarchiste, du moins dans son descriptif des valeurs bourgeoises comme le parc municipal. « Sa fonction hypocrite est de rendre plus vivable une existence urbaine, d'amortir l'émeute par la possibilité d'une promenade, l'illusion d'une bifurcation » Et Narr, jeune immigrante « Je n'ai pas peur de ma famille, je ne lui dois rien sauf la colère d'avoir misé sur moi »
Reste le décor qui échappe, par endroits, aux lois de la gravité « Aux rives, gonflées de méthane, les
baleines échouées explosent sur les derniers commerces balnéaires, leur puanteur glorieuse s'incruste sous la peau pendant des jours ». Quitte à aller voir et sentir les
baleines, je préfère celle de
Paul Gadenne dans «
Baleine » (2014,
Actes Sud, 36 p.) ressorti sous couverture rigide. Animal que Pierre et Odile vont comme qui dirait, visiter « il parait qu'elle brille au soleil comme une montagne de neige ».
Et à tout prendre, mais il faut garder de la place pour le dessert le «
Achab (Séquelles) » de
Pierre Senges (2015, Verticales, 624 p.). On y voit Achab à New York, devenu liftier, garçon d'hôtel, confesseur, comédien et souffleur (normal pour un ex-baleinier), avant de proposer à Londres des pièces au théâtre, puis de même à Broadway et à Hollywood. Ah ces prestations avec les Ziegfeld Folies… ou ces réflexions sur comment faire entrer un
baleineau au théâtre (en poisson rouge ?).