Si vous me suivez ici régulièrement vous savez que j'ai lu deux biographies de
Shakespeare, trois en fait mais l'un d'elle n'a pas fait l'objet d'un billet.
Dans les trois, les auteurs se posent beaucoup de question sur l'identité même de l'auteur anglais, des zones d'ombres importantes persistent, en particulier sur ses études, sur une dizaine d'années où l'on ignore ce qu'il a pu faire. Toujours les biographes se sont interrogés sur le surgissement brutal de cet auteur si doué, si magnifique sur la scène londonienne, disons le, du jour au lendemain
D'ailleurs
Stephen Greenblatt note les trous dans la biographie et les incertitudes
C'est au point que beaucoup d'écrivains et non des moindre,
Borges,
Henry James, Dickens, Twain,
Walt Whitman sans oublier
Freud, mettaient en doute que l'auteur de théâtre ait pu ainsi surgir d'un chapeau.
Beaucoup de noms ont été avancés,
Francis Bacon, Edouard de Vere ou Marlowe, sans que jamais on ne soit parvenu à rien prouver faute de documents.
Voici l'essai de
Lamberto Tassinari qui n'hésite pas à franchir le Rubicon et à considérer que
William Shakespeare en tant qu'auteur n'a jamais existé, que sous ce nom se cache John Florio italien de naissance, anglais d'adoption, l'auteur du premier dictionnaire anglais/italien le Monde des mots et le traducteur de
Montaigne et Boccace en anglais.
Pour l'occasion et afin que vous ne me preniez pas pour une hurluberlue j'ai relu la biographie romancée de John Florio par
Anne Cuneo.
La biographe place
Shakespeare au plus près de Florio même si dans la post-face l'auteur prend bien garde de préciser que jamais au grand jamais elle n'a pu penser à une possible paternité de John Florio, faute de temps dit-elle.
Ce qui m'a intéressée dans le travail de Tassinari c'est qu'alors que
Shakespeare est un des auteurs ayant entrainé la production de travaux universitaires en nombres ahurissants, personne n'ait cherché à travailler sur Florio éminent intellectuel de son temps, linguiste émérite, traducteur reconnu. Comme si cet homme singulier n'avait jamais existé et surtout n'avait aucun lien avec
William Shakespeare.
Pourtant le premier livre de Florio First Fruites est un ouvrage d'un linguiste qui aurait dû susciter l'intérêt de tous les chercheur soucieux de reconstituer la langue anglaise de
Shakespeare
On constate quand on lit
Shakespeare qu'il a un penchant pour les proverbes en tous genres hors
Le second livre de l'italien Second frutes est un « texte extrêmement pénétrant, résultant d'un travail de journalisme littéraire intelligent et cultivé sur la vie londonienne de l'époque. Bref, c'est un manuel plein de vivacité, d'érudition, d'idées et de tournures stylistiques qui, souvent, se retrouvent inchangées dans les oeuvres de
Shakespeare »
Plusieurs universitaires ont commencé d'étudier
Shakespeare à la lumière de Florio, mais au dernier moment, alors qu'il avancent des arguments en faveur d'un lien fort, ils renoncent à faire un pas de plus et à dire Florio =
Shakespeare
Ce qui est certain et n'est nié par aucun biographe de
Shakespeare c'est que « indépendamment de la question identitaire, le processus de l'écriture, de la représentation et de l'impression des oeuvres de
Shakespeare demeure un mystère presque total » et j'avoue qu'en relisant la biographie de Greenblatt le lien qu'il fait entre, un penchant possible pour l'alcool du père de
Shakespeare et la création de l'ivrogne Falstaff, est un rien tiré par les cheveux par exemple.
Alors d'où viennent les connaissances de
Shakespeare en musique, son vocabulaire musical est étendu, en botanique, en médecine ...
Tous les biographes mettent l'accent sur l'influence de
Montaigne sur
Shakespeare (
le Roi Lear,
la Tempête)
Montaigne dont
les Essais furent traduits par.... John Florio
Florio a forgé 1149 mots en anglais pour traduire
Montaigne, rappelez vous que l'on dit que
Shakespeare lui en aurait inventé 2000, il semble improbable que deux hommes vivant à la même époque, créent en même temps un nouveau vocabulaire sans se connaitre !
Plus pertinent encore la connaissance par
Shakespeare des écrits de
Giordano Bruno pas encore connu, que Florio a côtoyé plusieurs années auprès de l'ambassadeur de France.
Le Marchand de Venise et
Othello ont pour source d'inspiration des
romans italiens non traduits en anglais au moment où
Shakespeare écrit.
La Renaissance se prêtait bien aux emprunts littéraires, le droit d'auteur n'était pas fixé et « la masse des emprunts de
Shakespeare à Florio est avérée »
On a souvent fait noté les emprunts de
Shakespeare à la Bible et son savoir en la matière, ce à quoi l'Tassinari répond qu'en effet John Florio a fait des études au séminaire de Tübingen ce qui lui permettait de vivre « bible en poche »
Enfin la connaissance fine de l'Italie est sûrement un argument de poids, connaissance des textes, de la commedia del arte, et sentiment de l'exil très souvent utilisé par
Shakespeare.
Florio est un italien amoureux de la langue anglaise ce qui pourrait expliquer l'étrangeté souvent remarquée de la langue de Will le barde.
L'essai de
Lamberto Tassinari n'est pas parfait mais il a le mérite d'ouvrir un débat.
« Pourquoi ce linguiste polyglotte, lexicographe, traducteur, courtisan, ami des plus puissants parmi les nobles de son époque, durant seize ans secrétaire personnel de la reine Anne de Danemark et grand diffuseur des cultures européennes en Angleterre a-t-il été boudé par les universitaires ? »
Il n'y a pas de preuves de ce que
Lamberto Tassinari avance MAIS il y a un tel faisceau d'éléments concordants qu'à tout le moins on peut être certain d'une coopération entre ces deux personnages si tant est qu'ils ne fassent pas qu'un.
Que les anglais résistent à l'idée d'étudier la question on peut le comprendre, imaginons qu'un trublion vienne nous dire que
Molière c'est du vent ....
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