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EAN : 9782742785674
191 pages
Actes Sud (15/08/2009)
3.73/5   276 notes
Résumé :

Anna Song, `la plus grande pianiste vivante dont personne n'a jamais entendu parler", laisse derrière elle une œuvre discographique sans précédent.

Malgré la maladie, et clans un engagement du corps et de l'âme proche de la ferveur, elle a voué ses dernières années à arpenter, avec une indéfectible justesse, un territoire musical des plus vastes.

Gardien du temple et architecte de la légende : Paul Desroches, son mari et produ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (69) Voir plus Ajouter une critique
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Chers amis, connaissez-vous Anna Song ? Non ? Pourtant il s'agit de « la plus grande pianiste vivante dont personne n'a jamais entendu parler ». Étonnant donc que vous n'en ayez pas encore entendu parlé... Alors je vais vous raconter son histoire...
Et dire que j'ai choisi ce livre un peu par hasard dans ma médiathèque préférée ! À le saisir, ce petit livre, je ne pensais pas qu'il serait si lourd...
Je l'ai ouvert, j'ai commencé à arpenter les premières pages et j'ai compris très vite qu'ici j'entrais dans un mystère, celui de l'amour absolu.
La double vie d'Anna Song. Comment pourrais-je vous parler de ce court roman si dense d'une auteure que je découvre par la même occasion, Minh Tran Huy ? Déjà dans le titre, vous imaginez que les choses ne sont pas si simples...
Anna Song est une pianiste classique devenue célèbre en quelques mois, après son décès, par la publication d'enregistrements..
Or, il s'agirait de faux enregistrements volés à des musiciens méconnus, ce sont pas moins de cent-deux enregistrements qu'elle aurait accomplis sur les toutes dernières années de son existence, de manière quasiment stakhanoviste et dont aucun ne serait d'elle : presque un scénario de roman policier. On pourrait se dire que ce livre nous entraîne dans les méandres d'une affaire d'escroquerie, de mystification. Très vite, le lecteur est happé vers autre chose, bien plus complexe... Et c'est ainsi que le sol se dérobe sous nos pieds. Parce qu'on aurait voulu croire à ce rêve, parce qu'on se raccroche à quelque chose qui referme la trappe encore béante où nos pas sont au bord du vide... Les êtres que nous aimons sont façonnés autant de chair que de chimères... On voudrait juste comprendre...
C'est l'histoire d'une profonde amitié qui se transforme un jour en amour. On dit que cela est impossible. Un homme nous démontre que c'est possible, nous parle, le narrateur Paul Desroches, l'homme qui aimait Anna Song depuis l'enfance, leur enfance partagée. Ils se sont perdus de vue, puis retrouvés. Celui qui est devenu plus tard son mari et son producteur...
Je sors de cette lecture et je cherche à y revenir, je rode autour des mots , je cherche une porte pour revenir au texte, sentir les mots, le texte, puiser une inspiration et trouver la clef qui vous permettrait de prendre le pas à la place des miens. Je suis encore sonné. Je voudrais me retirer du texte et vous laisser y entrer à votre tour...
Je referme le livre et je me demande encore ce que j'ai lu, ce qui était dans le texte, ce que l'auteure cherchait à dire et ce que je vais vous transmettre. Ce livre parlait-il de musique, d'exil, d'identité, de vérité, de faux-semblants, de folie, de chimères, d'amour finalement plus que tout... ? L'idéal serait que tout ceci soit aligné comme les planètes...
Les racines d'Anna Song se situent au Viêtnam, elle se sent déracinée sans être née là-bas, sans y avoir encore mis les pieds. Elle le fera un jour...
Et puis ses doigts un jour se crispent, frappés de dystonie... Et puis un autre jour, plus tard, bien plus tard la maladie vient, inexorablement. C'est un peu comme si le corps disait non, alors que l'âme fait encore semblant d'y croire encore un peu. C'est comme si à chaque fois le corps renonçait à ce voyage vers une destination qui n'était pas celle promise par les rêves, les attentes, la musique... Son voyage, sa musique, c'est un coeur qui bat accroché à une image, une photographie, celle d'un grand-père dans sa maison là-bas au Viêtnam, devant un arbre, et quel arbre ! Un ginkgo biloba ! L'arbre aux quarante écus. Un arbre qui survit à tous les désastres. On prétend même que seuls les ginkgo biloba sont les seuls arbres qui ont survécu aux deux effroyables drames d'Hiroshima et de Nagasaki... C'est peut-être cette photo d'un grand-père inconnu posant fièrement devant son arbre qui la fait tenir debout ou plutôt tenir devant son clavier, jeter ses doigts éperdus dans ce vide sidéral...
N'avez-vous jamais imaginé ce qui pouvait sommeiller derrière les doigts d'une pianiste, surtout lorsque les doigts de cette pianiste se crispent dans la douleur ? Ne veulent plus se déplier sur les touches noires et blanches ?
Le temps s'arrête parfois sur une photo. Un arrêt sur image, on appelle cela comme ça alors que l'image continue de bouger dans notre tête, ça devient même un film, un retour en arrière, sur un passé invisible, un passé qu'on n'a pas vécu, un pays pour lequel on est en exil et dans lequel on n'a jamais mis les pieds. On pourrait presque inventer le concept de double déracinement...
Ce court roman est magnifique comme une mélodie triste, remplie de chagrin et d'amour. Derrière les appoggiatures et les croches, j'ai cru parfois entendre Pavane pour une infante défunte venir à moi.
Cette ligne étrange entre l'imaginaire et la réalité, parfois elle existe... Comme j'aime la rechercher dans les livres, dans la vraie vie aussi... !
La musique n'est-elle pas pour Anna Song une manière d'écrire son histoire, de la réécrire, de la réinterpréter, de se projeter dans le miroir de son égarement ? Son amour de la musique est sincère, sa manière de l'interpréter l'était-elle tout autant ?
« Anna s'était raconté une belle histoire, comme les enfants qui croient aux légendes qu'on leur lit le soir avant de s'endormir, et celle-ci s'accordait si parfaitement avec ce qu'elle avait besoin d'entendre qu'elle n'était jamais allée voir au-delà. »
La fin du roman est un voile qui se déchire sous nos yeux pour faire entrer simplement sur les pages un peu de nos vies avec étonnement.
Bien sûr je vous laisse avec plein de mystères...
Une question continue plus tard de me tarauder comme dans un écho : jusqu'où peut-on aller par amour ?

Je ne résiste pas au plaisir de vous partager les deux magnifiques citations en exergue du récit et qui font écho au texte :
"Ton ombre qui s'étend sur moi, je voudrais en faire un jardin." Paul Éluard.
"Vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir." René Char.
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C'est complètement pas hasard que j'ai rencontré cette auteure qui offrait une séance de dédicaces lors des dernières "Correspondances" de Manosque (04) et j'avoue que je l'ai trouvé vraiment captivante, tout comme cet ouvrage d'ailleurs. Inspiré d'une histoire vraie qui a fait un gros scandale dans le monde de la musique classique en 2007. Dans cet ouvrage, le lecteur découre d'un côté est l'histoire d'une jeune fille d'origine vietnamienne, Anna Song, qui a une véritable prédisposition, semble-t-il, pour jouer du piano. le chemin de cette dernière semble donc tout tracé : devenir une virtuose célèbre et reconnue. de l'autre, celle de Paul Desroches, un jeune orphelin et narrateur par la même occasion, qui a été privé de ses parents trop tôt et qui vit dorénavant seul avec sa grand-mère. Ces deux protagonistes vont se rencontrer dès leur plus tendre enfance et, sitôt que Paul entendra Anna jouer du piano, il ne pourra plus jamais s'enlever cette douce mélodie de la tête, tout comme il ne pourra d'ailleurs plus jamais effacer de sa mémoire ce visage angélique. Une amitié qui ne va pas tader à tourner à l'obsession pour Paul car lorsqu'Anna sera obligée de quitter la France pour s'installer aux Etats-Unis avec ses parents, Paul, lui, aura sans cesse l'impression de la voir partout, de l'imaginer et de ne plus penser qu'à une chose : leurs retrouvailles...
Cependant, même si celles-ci sont décrites à merveille dans ce roman, avec un mariage à la clé, les choses ne sont pourtant pas toutes roses. Anna étant atteinte d'une grave maladie qui lui paralyse les doigts dès qu'elle s'installe devant un piano, les choses commencent à se compliquer car, même si, elle, aurait tendance à baisser les bras, Paul, lui, ne l'entend pas de la même façon et n'aspire qu'à une chose : faire découvrir au monde entier le talent de celle qu'il n'a pas cessé d'aimer et d'idolâtrer alors qu'il n'était encore qu'un enfant, qui, à l'époque, n'y entendait rien en question de musique.

Un roman poignant, vraiment très bien écrit et qu je ne peux que vous conseiller de lire jusqu'à la dernière page (voir même de relire) car, en ce qui me concerne, je me suis prise une très grosse claque. Je ne vous en dis pas plus et vous laisse le soin de juger par vous-mêmes. Pour ma part, mon opinion est déjà faite et cela ne m'a donné qu'une envie : faire des recherches plus approfondies sur ce qui s'est réellement passé concernant le destin de la femme dont cette histoire est inspirée !
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Un double coup de coeur pour une double vie, celle d'Anna Song.
J'ai découvert ce texte lors de sa parution en 2009.
Je me souviens de l'émotion ressentie alors.

« La double vie d'Anna Song » est une magnifique histoire d'amour et de musique qui nous est narré par Paul Desroches, le mari d'Anna.
Il se souvient d'une musique qui avait touché son coeur d'enfant :

« Ma grand-mère s'est arrêtée devant la maison d'où provenait la musique et m'a expliqué que la petite fille de Mme Thi jouait depuis qu'elle était toute petite. Elle était très douée, et avait ému tous les parents lors d'une fête de fin d'année, en juin dernier. Et c'est ainsi que j'ai commencé d'aimer Anna avant même de l'avoir vue. »

Au fil des chapitres nous suivons les différentes étapes de cette amitié très forte. Paul s'attarde sur le lien étroit entre musique et sentiment, jusqu'au départ de la famille Thy pour la Californie, où la jeune enfant prodige ne manquera pas d'entreprendre une carrière remarquable.

Paul reste seul avec le vide du départ, absence physique qui le laisse aussi démuni que lors du décès accidentel de ses parents, légèrement antérieur à sa rencontre avec Anna.
Entre chaque chapitre nous découvrons des articles de revues musicales vantant les qualités d'interprète d'Anna Song.

Ce roman, peut de prime abord sembler être une belle histoire d'amour, mais on découvre très vite que s'y ajoute une intrigue fort bien menée dont le fin mot ne nous est dévoilé qu'à la fin du roman.

Jusqu'où peut-on aller par amour ?
Minh Tran Huy trouve les mots pour parler de la passion, ou plutôt des passions.
L'amour et la musique se partagent ces pages. L'écriture est belle.

Il m'est très difficile de parler de ce livre. Il a pour moi une place à part.
Coup de coeur en 2009, je l'ai dit. Il reste indissociable d'un évènement heureux de ma vie à cette époque.
Le relire était à la fois une nécessité et une crainte.

Quelles émotions allaient remonter ? le ressenti est forcément différent, mais le principal reste : la qualité du roman qui est indéniable.
Anna Song m'a accompagné avec bonheur à deux périodes bien différentes avec toujours le même plaisir.
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Ce roman est pour partie inspiré d'une affaire réelle qui a fait grand bruit dans le milieu artistique en 2007 concernant la pianiste Joyce Hatto.

"La musique est le langage de l'âme, l'âme est la seule chose qui ne meurt pas" (p.60)

Il était une fois .... un petit garçon, Paul, qui tomba amoureux d'une jolie petite fille brune aux yeux en amande, Anna, et aux doigts de fées, qui sur son piano l'a subjugué.

Ils se sont aimés, puis la vie les a séparés.

En mémoire de celle qui fût et qui n'est plus que poussières de miel qui flotte dans l'atmosphère ; Paul monte une immense imposture afin qu'Anna ne soit pas oubliée, et que son nom brille au firmament des pianistes célèbres pour toujours.

Un amour désespéré pour donner le "la" à une pianiste qui se rêvait Génie !

Une fable inventée par un coeur amoureux pour que le nom de sa belle ne soit pas oublié.

"Si tu avais laissé échapper un signe de désarroi, un simple appel ; j'aurais traversé l'océan comme ta grand-mère et ton père autrefois, en avion, en bateau, à la nage s'il l'avait fallu , je serais parvenu jusqu'à toi et je t'aurais retenue, et je t'aurais sauvée, mais tu n'as rien dit, ni à moi, ni à tes parents, tu as choisi de te taire et tout s'est arrêté là". (p.220)

Belle passion absolue où tout sonne juste même ce qui est faux.
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Il y a quelques mois, j'ai découvert les romans de Minh Tran Huy, son écriture poignante et poétique qui transperce et qui bouleverse ; et son univers soyeux, très tourmenté et d'une grande cohérence.
Ce furent d'abord «Les Inconsolés » -sublime-, puis « La Princesse et le Pêcheur » -touchés par la grâce -. Je m'étais alors promise de dévorer aussi « La double vie d'Anna Song » quand j'aurai le temps et que la pile décadente de livres à lire qui colonise le parquet de ma chambre aurait diminué (soyons clairs : elle ne diminue jamais!).
Prise par d'autres auteurs, d'autres romans, j'ai oublié Anna Song jusqu'à ce que je lise, il y a quelques jours, ce qu'en a écrit berni_29 ici, un billet sensible et très beau qui a achevé de me convaincre de rechercher « La double vie d'Anna Song » et de m'y plonger.

Une fois de plus (jamais deux sans trois!) j'ai été complètement happée par l'histoire racontée par l'auteur, par son style à la fois très écrit, extrêmement poétique mais qui fait également la part belle aux sens, à la chair et à l'instinct ; par son univers torturé et mystérieux, cruel et pourtant plein de grâce, oppressant quoique fait de dentelle, à la lisière du conte ; par ses obsessions qu'on retrouve d'un roman à l'autre et qui les hantent comme autant de fantômes ; par son sens du récit et de la construction, par ce chemin qu'elle fait emprunter au lecteur, un peu brumeux, jusqu'à la chute vertigineuse qui poignarde et qui donne envie de reprendre le roman dès le début, pour tenter de trouver les clefs, les codes et de comprendre...

Anna Song avait quarante-neuf ans, elle était belle et talentueuse. C'était une grande pianiste, une virtuose méconnue. Une artiste maudite.
Anna Song n'a pas eu la carrière qu'elle méritait : une dystonie lui a fermé les portes des institutions de la musique classique, et lorsqu'elle a enfin pu se remettre à jouer, elle a préféré se retirer pour enregistrer les morceaux les plus célèbres et les plus difficiles dans le studio construit pour elle dans le jardin de la propriété qu'elle partageait avec son époux Paul Desroches. Alors même que ses enregistrements trouvaient enfin leur public grâce au travail et à l'abnégation de Paul, que critiques et musiciens reconnaissaient enfin le talent infini de la musicienne, elle a été emportée par le cancer qui la rongeait depuis des années et la laissait exsangue après chaque séance d'enregistrement.
Il n'en faut pas plus pour naisse la légende : les gens ont toujours aimé les destins brisés, les artistes maudits, les tragédies...
Il paraît que parfois pourtant les légendes se fendillent, que le réel les met à mal et qu'elles tombent alors de leur piédestal et se brisent.
Anna Song, peu après sa mort, va tomber du sien : ses enregistrements ne seraient pas les siens mais de vulgaires copies, des enregistrements piratés, des performances pillées à d'illustres inconnus. le scandale éclate et on somme le gardien du temple, l'époux éploré, l'imprésario endeuillé de s'expliquer.

Le roman alterne entre des articles de presse relatant « l'affaire Anna Song », de la mort de la pianiste à la découverte de l'escroquerie et le récit de Paul Desroches qui tente de se justifier, d'expliquer. En filigrane, son amour fou pour Anna, de cet amour qui confine à la folie et « la pavane pour une infante défunte » qui résonne encore et encore.

C'est l'histoire d'un enfant et de sa petite voisine qui commence quelque part en Normandie sous le regard bienveillant de deux grands-mères qui ne parlent pas la même langue mais qui se comprennent quand même.
Le petit garçon est timide, mélancolique et depuis la mort de ses parents, il s'éteint, sans bruit jusqu'au jour où il passe la porte de la maison d'à côté. Dans le salon, la fillette est au piano et ses mains courent sur le clavier, la musique en ruisselle et Paul est hypnotisé. Dès lors, Anna et lui deviennent inséparables -ou presque-.
Quand elle ne joue pas, Anna lui raconte sa vie et ses parents, le Vietnam d'où ils viennent mais qu'elle ne connaît pas, les légendes de cette terre qu'elle rêve au creux de l'exil européen de ses parents -c'est aussi le sien- et l'histoire de son grand-père et de sa propriété de conte de fées qu'il détruisit lui-même un soir de guerre mais qu'elle rebâtira un jour. Elle lui dit ses rêves de piano et de musique et lui rêve avec elle, de ce passé qui ne lui appartient pas et de ses projets dont il sera.
C'est un amour d'enfants qui se perdent puis se retrouvent et s'épousent.

Un amour fou entre deux grands blessés.

Au terme du récit de Paul Desroches, on comprendra le sens de l'imposture, des mensonges et tout le reste.
On saura les blessures inguérissables, celles de l'exil et de l'Histoire, celles de ses ancêtres qu'on porte en soi et qui nous hante, celles des échecs, celles du déracinement ; celles des rêves trop grands et qui ne se réaliseront pas, celles des amours blessées ; celles que même l'amour ne guérit pas.
On saura le poids des secrets et celui des racines trop longtemps étouffées.
On saura la force des contes et de la fable, celle de l'abnégation des amoureux transis, celle -implacable et tyrannique- de la réalité.

« La double vie d'Anna Song » est un roman captivant, cruel, très dense qui se lit d'un souffle. Il m'a étouffée et mise mal à l'aise parfois : exquise douleur dont je ne pouvais ni ne voulais sortir. C'est un roman hypnotique et triste, une mélopée lancinante qui abolit la frontière entre la réalité et le fantasme, où les silences sont assourdissants et dangereux comme les épines des contes ; un roman qui joue avec les miroirs, la folie et les rêves ; un roman, enfin, qui raconte la douleur des déracinés et la nostalgie des pays qui ne sont plus, plus vraiment.








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Citations et extraits (77) Voir plus Ajouter une citation
Je songe à l'histoire d'un homme qui pour pénétrer à l'intérieur d'une cité étrange et miraculeuse, peuplée de licornes au pelage doré, où il sait trouver une immense bibliothèque- contenant, au lieu de livres, les enregistrements de la mémoire de milliers d'êtres, dont la sienne, autrefois perdue- se voit contraint d'abandonner la seule présence amie qui l'ait toujours suivi, son ombre. Car c'est la règle au sein de cette cité que d'y entrer entièrement neuf, en solitaire, vierge de toute trace du passé, alors même qu'on désire se retrouver et faire surgir son identité cachée au milieu de tant d'autres rangées les unes à coté des autres dans la tour hélicoïdale de la bibliothèque. Tour dont le sommet est gardé non par un cerbère ou un monstre aux mille yeux, mais par une délicate et mystérieuse jeune femme, qui bien que souriante, amicale même, n'a pas d'autre choix que de laisser vos questions sans réponse... A l'illusion de pouvoir découvrir qui il est, l'homme sacrifiera son ombre, et n'aura en retour qu'une conscience plus aigüe de l'énigme qui le ronge, et s'étend devant lui comme un désert où rien n'a survécu, à part sa conscience.
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La réussite, au moins partielle, des manœuvres de Desroches — il aura
floué les journalistes et le public pendant plusieurs mois — souligne en tout
cas à quel point la réception d’une œuvre d’art, qu’il s’agisse d’ailleurs de
musique, de peinture ou de littérature, est toujours liée à son contexte. Les
critiques auraient-ils prêté une attention aussi soutenue aux performances
d’Anna Song si l’interprète à l’origine de tous ces enregistrements avait été
présenté comme un homme d’âge moyen, en bonne santé, sans signe
particulier, plutôt que comme une femme superbe, condamnée par une
maladie incurable, et douée d’un destin d’autant plus tragique que la
reconnaissance qu’on commençait à lui accorder intervenait trop tard pour
jamais compenser les années et les années de négligence dont elle avait
souffert ? En théorie, cela ne devrait faire aucune différence, mais dans la
réalité on admire et on aime un artiste à la fois pour ce qu’il crée et pour ce
qu’il est, ou du moins ce qu’il paraît — pour sa personnalité, son histoire,
ses opinions, etc. Ce constat, évident en ce qui concerne les acteurs, est tout
aussi valable dans le cas d’Anna Song : au-delà d’un morceau bien
exécuté et interprété, les admirateurs de la pianiste se sont attachés à son
parcours; à la statue, grandiose, que lui avait érigée Paul Desroches, et qui
a sans nul doute influé sur leur jugement. Où l’on voit une fois encore que
le phénomène de starisation s’est étendu jusqu’à la sphère de la musique
classique. Les virtuoses qui rencontrent le plus de succès aujourd’hui, ceux
que les médias fêtent sans discontinuer, le doivent parfois moins à leur
génie qu’à un petit plus "glamour" qui les a distingués du tout-venant et
leur a conféré une identité, une personnalité à même d’attirer les caméras
et les objectifs des photographes : un physique exceptionnel, une passion
pour les loups, un talent parallèle pour le basket-ball de haut niveau ou un
passé riche en drames peuvent également faire figure d’atout maître sur le
CV d’un musicien s’il veut réussir aujourd’hui.
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Elle avait beau arpenter cette terre, elle semblait vivre sur une autre, bien plus riche et poétique que celle que je connaissais, et qu'elle me faisait entrevoir chaque fois que nous nous retrouvions.
C'était comme un secret qu'elle portait en elle et que, me semblait-il, j'étais toujours sur le point de pénétrer lorsque ma grand-mère et Mme Thi nous rappelaient à elles pour rentrer à la maison.
C'était ce secret, j'en étais intimement persuadé, qui donnait à la musique créée par ses mains ce caractère absolu. Derrière la délicatesse des nuances et le toucher assuré, on décelait quelque chose d'autre, comme une soif d'exister, une aspiration inextinguible dotant chacune des notes jouées par Anna d'une vibration particulière; elle partait du ventre pour parcourir tout l'organisme, dans un fourmillement irradiant coeur, poumons, muscles, peau, avec une intensité telle qu'il me semblait parfois que j'allais imploser.
Que mon corps, semblable à une prison de chair, était trop étroit pour contenir tout ce que je ressentais en écoutant Anna. p.47
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Nous nous aimions, et prévoyions donc de nous installer, de vivre et de
vieillir ensemble, comme dans les contes de fées, mais les choses étaient
loin d’être aussi simples et solaires que dans un conte : passé les premières
semaines, les premiers mois d’euphorie, je me suis rendu compte que tout
mon amour ne suffirait jamais à faire oublier à Anna ce que son mal lui
avait enlevé. Elle ne s’est plainte à aucun moment, ce n’était pas son genre,
mais ses gestes parlaient pour elle : elle avait fait installer un piano droit
dans l’appartement de la rue Toullier et tous les jours, en se levant, elle
testait sa main, avec cette idée que, puisque son handicap avait surgi un
beau matin de nulle part, il pourrait bien s’en aller pareillement, et
disparaître de lui-même... En dépit des consultations infructueuses, des
opérations inutiles, des traitements aussi lourds qu’inappropriés, elle gardait
l’espoir de retrouver un jour ses capacités d’antan. Il ne lui restait plus rien
à part cette frêle mais inextinguible conviction qui peu à peu la consumait
sans qu’elle eût la force de s’en débarrasser.
Elle s’asseyait donc quotidiennement face au clavier, pour tenter de jouer
quelques mesures de la Rêverie ou de la Ballade de Debussy, ou encore
d’une transcription d’une symphonie de Beethoven par Liszt, avant de
s’interrompre dans une suite de couacs qui retentissaient de manière cruelle,
comme tombe un couperet. Rien ne me déchirait davantage que d’entendre
ces fragments épars, ces bris sauvés d’un naufrage qui témoignaient de la
richesse et de la beauté de son répertoire passé, à présent réduit à un brouet
informe de notes sur lesquelles elle ne faisait que trébucher, encore et
encore, désespérant d’en extraire la moindre phrase, la moindre mélodie.
Mon cœur se serrait tandis que je voyais les épaules d’Anna s’affaisser un
instant sous le coup de la déception, puis se redresser dans un sursaut avant
d’entamer la journée comme si de rien n’était, en silence. Sans le moindre
commentaire sur l’échec qu’elle venait de subir — échec d’autant plus
terrible qu’elle n’en était pas responsable et ne pouvait y voir qu’un obscur
acharnement contre elle, sa persévérance, et ses dons qui lui avaient été
retirés de la même façon qu’ils lui avaient été donnés : sans raison.
J’aurais voulu lui dire de se résigner et d’accepter cette situation, aussi
intolérable fût-elle — de faire son deuil des promesses que la maladie
l’avait empêchée de tenir. Elle n’aurait pas la gloire dont elle avait rêvé, ni
la carrière qui aurait dû être la sienne, soit ; elle ne ferait pas autant honneur
qu’elle l’avait imaginé à sa famille, à son grand-père, à ses parents ; elle ne
serait pas l’artiste accomplie qu’elle avait été si près de devenir. Mais elle
m’avait, moi; nous nous avions. J’avais admiré sa musique, qui avait
certainement contribué à la fascination que j’éprouvais pour elle, enfant.
Mais c’était elle que j’aimais. Elle que je tenais contre moi la nuit et qui me
charmait par sa gentillesse, sa douceur, ses accès de mélancolie qui
tendaient sur son visage un voile de lumière pâle, donnant à sa peau la
teinte d’une perle unie, où ressortait d’autant mieux son regard noir, ombré
de longs cils. Elle dont le refus de renoncer, l’obstination à lutter
m’impressionnaient toujours davantage alors même que je tentais de la
convaincre de tourner la page et de ne plus s’épuiser dans cette quête
insensée…
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Jusque-là, et c’était une impression qui la poursuivait depuis qu’elle avait
posé le pied sur le sol vietnamien, Anna n’était pas parvenue à se défaire du
sentiment de glisser sur la surface lisse et chatoyante d’une carte postale,
quand bien même elle en entrevoyait régulièrement l’envers grâce aux
récits de ses parents qui s’efforçaient, en s’appuyant sur leurs souvenirs, de
donner une coloration personnelle à tous les lieux qu’ils visitaient. Ces
derniers restaient inscrits au sein d’un parcours soigneusement balisé,
encadré, qu’il fallait suivre une étape après l’autre, si bien qu’Anna avait
beaucoup plus de difficultés à se sentir proche de ce pays qu’elle arpentait à
présent depuis cieux semaines que lorsqu’elle ne le connaissait que par ouï-
dire et m’avait confié, enfant, l’histoire de son grand-père. A cette époque,
elle était convaincue que chaque note qu’elle jouait était le maillon d’une
chaîne la reliant à la maison au ginkgo, et le Viêtnam était pour elle une
terre de légende à laquelle ses rêves seuls donnaient corps, comme le
suggérait une question posée à sa mère l’été de ses neuf ans, quand elle
avait découvert, émergeant du sable d’une plage de Normandie, un ravissant
coquillage aux bords nacrés. Aux compliments de Liên Thi, qui la félicitait
de sa trouvaille, Anna n’avait d’abord rien répondu. Puis, passant et
repassant les doigts sur les reliefs de son petit trésor, comme si elle tentait
de déchiffrer une inscription en braille ou un message secret que l’eau de
mer aurait arasé, elle avait lâché, dans un murmure : "Maman, est-ce qu’il y
en a d’aussi beaux au Viêtnam ?" La petite fille qu’elle était alors n’aurait
pu mieux dire sa fascination — et dans le même temps son ignorance — à
l’égard de cette contrée dont l’ombre planait sur elle dès que ses mains
caressaient le clavier de son piano. En riant, sa mère lui avait assuré que,
"là-bas", les coquillages étaient infiniment plus beaux, colorés et brillants,
et qu’elle lui en rapporterait de son prochain séjour… Elle ne le fit jamais,
et le fantasme de mon amie n’en acquit que plus de puissance.
Or, quand Anna était enfin arrivée "là-bas", elle s’était sentie
désemparée, Elle ne parvenait pas à faire coïncider l’image née de l’histoire
familiale et de ses songes personnels et celle, éclatée, pittoresque,
artificielle, que ce séjour lui déroulait — elles appartenaient à des univers
parallèles. Entamant le voyage, elle avait suivi l’itinéraire de tous ceux qui
découvrent le Viêtnam pour la première fois, Ses origines et sa
connaissance de la langue en faisaient une visiteuse particulière, une "Viêt
kiêu" selon le terme des Vietnamiens restés sur place, qui désignaient ainsi
ceux de la diaspora et, par extension, leur descendance. Ils oubliaient
seulement qu’Anna, contrairement à ses parents ou à sa grand-mère, n’était
jamais partie : elle était née ailleurs, et n’aurait pu sans se mentir parler de
retour au pays. Ils ne se sentaient plus chez eux, mais elle ne l’avait jamais
été, et ne le serait jamais.
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Videos de Minh Tran Huy (16) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Minh Tran Huy
A l'occasion du Festival "Le livre sur la place" 2022 à Nancy, Minh Tran Huy vous présente son ouvrage "Un enfant sans histoire" aux éditions Actes Sud. Rentrée littéraire automne 2022.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2640619/minh-tran-huy-un-enfant-sans-histoire
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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