Belles-mères de tous les pays, unissez-vous!
Belles-mères, je vous hais!
L'enfer, c'est les belles-mères.
Si le traducteur Johan-Frederick Hel-Guedj traduit le titre original “ Daughters -in-law ” par “
Les femmes de ses fils ”, c'est qu'il a fait le choix de viser la belle -mère plutôt que le couple des heureux parents des heureux mariés. Car on va vite découvrir en Rachel le prototype de la belle-mère pleine de bonnes intentions, intrusive et gaffeuse, au nom bien sûr du bonheur de ses fils. Elle en a trois, différents les uns des autres mais tous font l'objet de son attention aimante. Rien ne dit qu'il s'agit de LA mère juive bien connue, type d'ailleurs assez bien partagé par cette engeance nommée belle-mère, y compris dans d'autres cultures. Repas du dimanche dans le si coquet cottage du Suffolk, prise en compte des désirs et soucis de chacun de ses fils, mère parfaite en quelque sorte. Elle a pour mari Anthony, artiste peintre et professeur qui a introduit dans le paradis familial une de ses élèves, la silencieuse et indépendante Petra, qui sera vite présentée au fils un peu marginal, Ralph, afin que lui aussi rentre dans le moule d'une vie de famille bien traditionnelle.
Il y a aussi l'aîné, Edward, chef d'entreprise qui réussit et son épouse suédoise Sigrid, leur délicieuse Mariella de huit ans, ainsi que Luke, le dernier marié, et sa toute jeune et ravissante épouse Charlotte. Entre affaires, activités artistiques, campagne verdoyante et bord de mer, la vie est si douce! Une vraie pub pour du café soluble!
Sauf que le bel édifice de Rachel repose un peu sur du sable: non-dits, petites rancunes cachées, rivalités (cette Petra qui recueille tous leurs suffrages, laissant les deux autres belles-filles remâcher leur déception et leur jalousie), compromis mal digérés, petits secrets de couples: une vie de famille au final pas si joyeuse que cela.
Et quand Rachel vexe Charlotte par une réaction idiote quand on lui annonce l'arrivée d'un bébé (Déjà!), quand Ralph perd son entreprise et suscite l'aide de son aîné avec pour corollaire l'obligation de vivre à Londres, quand Petra finalement se tourne vers un possible amoureux en bord de mer, la belle harmonie s'effondre et la “ mamma ” perd pied, déboussolée, trahie par sa belle-fille préférée.
Il est assez curieux de constater que l'exploration psychologique des personnages, bien menée, ne concerne quasiment pas le personnage principal, dessiné par les commentaires de ses proches. On s'attache au jeu des relations entre les membres de cette famille, les liens se resserrent en cas de coup de vent, mais les moments de tension sont fréquents.
Comment Rachel va-t-elle faire sortir sa tribu de cet épisode? Est-ce d'ailleurs bien elle qui en a le pouvoir?
Quand on est belle-mère de belles-filles, c'est qu'on a des fils et chacune d'entre celles qui sont dans ce cas saura quel lien profond, charnel, viscéral, unit une mère à son fils. Tout semble passer sans recours aux mots, comme si un fluide nous parcourait, lui et nous. Andromaque l'exprime très bien face à sa rivale: “ Vous saurez quelque jour, Madame, pour un fils, jusqu'où va notre amour. ” Et bien sûr, la belle-fille devient la rivale, celle qui nous a volé notre fils, jamais assez bien pour le mériter. (cf p.178:
« - le fait est qu'elle éprouve envers Luke ce que j'éprouve pour toi. Luke est son fils (dit la mère de Charlotte à sa fille)
Luke est à moi, fit Charlotte en se mouchant à nouveau. Luke est mon mari. D'abord.
Parfois, les gens mettent un certain temps à se faire à ça.
A quoi ?
A ça...à ce transfert d'allégeance.
Eh bien, elle va être forcée, merde. Il n'est plus son petit garçon. »
Mais être belle-mère, c'est aussi avoir un jour été belle-fille! Et avoir connu les mêmes vexations, les mêmes exigences, les mêmes remarques perfides de la part de celle qui a enfanté notre amour! Est-ce que cela va nous rendre indulgente, compréhensive, vis-à-vis de la jeune femme qui fait irruption dans notre environnement? Pas si sûr...
Un de mes amis disait que la “ bonne belle-fille ” c'est celle qu'on aurait voulu avoir pour fille. Peut-être, encore que je connaisse des mères navrées de ce qui leur est échu en guise de fille et vice-versa! Rien n'est simple.
Tout l'amour du monde ne peut pas forcément tout résoudre mais cela doit bien y contribuer.
Un livre dans lequel certaines (et certains!) devraient se reconnaître...
Traduction je suppose faite par un Belge si je repère le “ Ed voulait sonner son frère ”!!