Sept jours de deuil, sept jours assis, comme les sept nains de Blanche-Neige, sur de petites chaises basses, à recevoir, sept jours durant, les condoléances de parents, d'amis, de membres de la communauté, sept jours de surabondance alimentaire, sept jours de huis clos familial : l'enfer...
Ainsi le veut la shiv'ah, en usage dans les familles juives orthodoxes.
Et pourtant Morton Foxman, le père défunt, n'était pas pratiquant. Il était même plutôt athée…
Qui a pu lui mettre cette idée de shiv'ah dans la tête?
Pas le rabbin, un ancien pote des enfants - Judd, Wendy, Philipp et Paul- aimablement surnommé Erectus, et qui aimerait bien que ses vieux copains de bringue le respectent un peu, à présent qu'il est rangé des voitures et officie dans la synagogue...
Pour Judd, le narrateur, qui vient de se faire cocufier très théâtralement et nage en pleine déprime c'est une épreuve dont il se serait bien passé...
Il lui faut revoir ses frères et soeur : Paul, son aîné, avec lequel les relations sont difficiles et les contacts...mordants, Philipp, le petit dernier, un éternel enfant gâté avec sa nouvelle conquête- surprenante, et Wendy avec ses enfants braillards et son mari trader, soudé à son Blackberry et à son portable...
Et tous les quatre, doivent endurer les mini-jupes et les décolletés vertigineux de leur mère, psy de son état, bien décidée à ne pas se laisser enterrer avec cet époux pourtant tendrement aimé..Sa vitalité est inépuisable et sa vie amoureuse semble prendre des directions inattendues.
Des enfants gravitent autour de ce noyau en état de fission permanente, comme des électrons libres: ceux qui existent déjà, ceux qui vous arrivent dans le dos...et ceux qu'on n'arrive pas à faire malgré des efforts louables et répétés - jeunes couples en plein exercice de procréation, méfiez-vous des Baby Phone qui ne font pas seulement entendre au cercle de famille les vagissements de votre progéniture!!-
Dit comme cela, on a le sentiment de résumer une aimable comédie familiale, bien déjantée - et parfois bien trash: la scène de rupture de Judd et Jen, à l'issue d'un flagrant délit haut en couleur, restera, si j'ose dire, dans les an(n)ales..."Portnoy complex" n'a qu'à bien se tenir...
Et pourtant non: si on rit- et on rit beaucoup, j'ai vraiment ri à gorge déployée à certains passages- le fond du roman ne manque ni de profondeur, ni de gravité ni surtout de tendresse.
Quand
Jonathan Tropper entonne le grand air de "famille, je vous hais!", il le fait avec une dérision et un cynisme tellement volontaristes, qu'on ne peut s'empêcher de voir, derrière, l'immense affection de cette tribu déboussolée par la mort de son chef.
Ces sept jours de shiv'ah sont entre-tissés de souvenirs d'enfance, lumineux ou douloureux, de flash-backs qui compliquent et éclairent la narration, et de rêves délirants et signifiants à la fois - ceux de notre Judd-narrateur (cette jambe de bois qu'il perd, retrouve, remet, oublie, et qui revient dans chacun de ses rêves est comme la métaphore parlante de ce père perdu qui fait boiter sa vie) ! Les sept jours de shiv'ah s'en trouvent bien enrichis et étoffés!
La mère, un peu fofolle, qui refuse de vieillir et qui, en bonne psy pratique, seule, le parler -vrai dans cette famille pudique et peu "communiquante", n'est pas aussi fofolle qu'elle en a l'air.
Elle fait à ses enfants cadeau de l'amour vrai qu'elle a eu pour son mari- sans s'en trouver ligotée.
Amour et liberté. Solidarité et droit à la différence.
Un vrai sésame.
Elle leur donne ainsi la chance inespérée de se retrouver, de se reconnaître pour ce qu'ils sont : une fratrie singulièrement unie malgré les divergences, les différends, les différences.
Et d'avoir la force nécessaire pour devenir ce qu'ils doivent être: des hommes et des femmes libres, même si leurs choix ne sont pas faciles. Pour Judd, pas de happy end, et c'est bien mieux comme cela: la grande, l'effrayante, la magnifique incertitude de la liberté et de la solitude.
Même s'ils restent immatures comme Philipp, ou blessés comme Judd, Paul, et peut-être Wendy…
Enrichis, après cette shiv'ah et ce cadeau maternel mais pas changés : seul leur libre arbitre sera, un jour, déterminant.
Mais en disant à ses enfants qu'elle les aime et qu'ils s'aiment, au fond, tout au fond, leur mère rebat les cartes et met tous les atouts dans leur jeu.
Une mère juive à cent lieues des stéréotypes à la
Woody Allen...Un beau et revigorant personnage!