Hitonari Tsuji signe ici un roman étrange où la frontière entre réalité et surnaturel n'est plus très bien définie.
Ujiie Tôru, jeune collégien introverti et solitaire, passe son temps avec Hikaru, un ami que lui seul peut voir, en fait son double désinhibé. Il constate la présence accrue de ce qu'il appelle "la grisaille". Il s'agit une sorte de brouillard sur la ville qui masque le bleu du ciel et tend à s'insinuer dans l'âme et le coeur des gens, instillant angoisse et mal-être. Seuls quelques endroits échappent à cette grisaille et lui sert de refuge.
Dans son collège, une fillette a été retrouvée morte trois ans auparavant. et à nouveau, un enfant disparaît. Pour Tôru, pas de doute, la grisaille a un rôle dans cette disparition.
Pour lutter contre l'ambiance mortifère qui s'abat sur l'école, des collégiens vont décider de mener leurs propres rondes de surveillance. ce, à l'instigation de Shirato, jeune garçon à l'identité sexuelle trouble mais à l'âme entière et lumineuse. Il raconte tirer ses conseils auprès du fantôme de la petite fille assassinée. Se rapprochant de Tôru, qu'il force à prendre part et à sortir de sa solitude, les enfants vont mener l'enquête qui se transforme rapidement en quête initiatique.
L'ambiance du roman est lourde, empesée de toute cette grisaille qui plane sur la ville et le collège en particulier. Pourtant la relation toujours plus étroite entre Shirato et Tôru procure de belles bouffées d'oxygène. Shirato apparaît comme un adolescent très mûr pour son âge et plein de sages conseils. Grâce à sa persévérance et à son naturel plein de franchise, il réussit à briser la carapace autour de Tôru et l'aide à traverser une mauvaise passe faite de mépris et d'aversion, voire de violence envers ses parents (qu'il surnomme ses "Beurks"...).
La dimension fantastique rejoint une tradition littéraire japonaise dans laquelle les fantômes et autres réalités jouent un rôle important. En partant à la recherche du coupable et au dénouement de ces disparitions, Tôru se trouvera lui-même et affrontera son propre reflet.
Hitonari Tsuji raconte avec brio un récit complexe où les enfants vont suppléer des adultes complètement effacés, abattus par la grisaille. Il dénonce la sinistrose des grandes villes où tous se côtoient sans communiquer, y compris en famille. Il apporte également un beau message de tolérance par le biais de ses deux héros collégiens. de par la spécificité de Shirato, le lien très fort qui les unit déchire les cadres conventionnelles de l'amour et montre que l'important c'est l'être et non le genre.
Malgré les passages oppressants, ce livre est un grand moment de lecture, ambigüe, complexe, labyrinthique et pleine de symboles.